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La French Fab à l’export 2019 : entretien avec Philippe Advani

 

 

 

 

 

 

 

Conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF), Philippe Advani co-préside le comité de pilotage pour la rédaction du guide « Les compensations industrielles ». Cet ouvrage, une première « à l’attention des ETI et PME », est le résultat du travail conjoint du CNCCEF (Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France) et du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales).

 

Le Moci. Les offsets ou compensations industrielles sont souvent présentées comme des contraintes. Qu’en pensez-vous ?

Philippe Advani. Il est exact que les compensations industrielles sont d’abord une contrainte. Cette contrainte est d’ailleurs croissante : de plus en plus, les pays clients veulent bâtir de véritables écosystèmes au service de leur développement industriel ou de leur souveraineté nationale. Du coup, leurs exigences de retour industriel, lorsqu’ils ouvrent leurs marchés, sont plus importantes. Une des nouveautés réside dans le fait que cette contrainte se propage maintenant aux ETI et PME.
Le paradoxe est que cette contrainte est aussi porteuse d’opportunités : pour les ETI et PME françaises, c’est l’occasion de s’internationaliser. Mais cela ne peut se réaliser avec succès que si certaines conditions sont réunies. La première est d’être proactif plutôt que réactif à la sollicitation du client étatique étranger ou de l’intégrateur qui transmet la demande de contrepartie industrielle. Car le risque c’est de tâtonner dans un pays que l’on ne connaît pas, c’est aussi de se voir proposer un partenaire que l’on ne souhaite pas. À cet égard, je suis frappé par l’expérience d’Axon Cable dans le domaine du câblage et de la connectique qui, parce qu’il était déjà implanté en Inde, a pu répondre présent lorsqu’il a fallu accompagner Dassault.

 

Le Moci. Quelles sont les autres conditions ?

P. A. La deuxième est qu’il ne faut pas se focaliser sur le seul contrat qui déclenche la demande de contrepartie. Pour qu’un ancrage industriel soit pérenne, il faut élargir son assise, soit en ciblant d’autres clients dans un même secteur, soit en étendant son activité à d’autres domaines. Voyez une entreprise comme Engie-Axima. En Inde toujours, l’entreprise a déployé son expertise dans le conditionnement d’air des milieux sécurisés, d’abord en direction de la Marine indienne, pour s’implanter en Inde. La position de l’entreprise s’en trouve singulièrement renforcée non seulement pour contribuer à l’offre française en direction de la Marine indienne, un marché majeur, mais aussi en direction des marchés du nucléaire et du transport terrestre tout aussi prometteurs.
La troisième, et peut être la plus importante, est que les acteurs d’une même filière se concertent dans leur stratégie d’internationalisation. Les éclaireurs ne sont pas d’ailleurs pas toujours les intégrateurs finaux. Une entreprise comme Latécoère, référence dans les aérostructures et le câblage, a été parmi les toutes premières entreprises aéronautiques à mettre en place une stratégie dynamique d’internationalisation de son outil de production, intégrant à la fois les considérations d’accès au marché et d’optimisation économique. Latécoère est présent à la fois dans des pays de « near-shoring » : en Europe Orientale, en Afrique du Nord ou au Mexique, et dans des pays de grand export comme l’Inde.
Dans un autre secteur, Naval Group, à la suite de son succès retentissant pour la livraison de sous-marins en Australie a organisé, avec l’aide de Business France et du Gican, un programme d’accompagnement de sa supply chain aux antipodes.

 

Le Moci. Quels conseils donneriez-vous à une petite entreprise ?

P. A. Le risque peut être considérable à se mouvoir seul pour une petite entreprise. Par définition, les ressources internes y sont rares. En revanche, l’offre de ressources externes disponibles est très abondante. Le dispositif institutionnel français, que nous envient de nombreux pays, est très orienté vers les ETI et PME : chacun connaît bien sûr le rôle central de Bpifrance et de Business France. L’offre privée est également très riche : tous les grands groupes bancaires privés français disposent de réseaux internationaux étendus. Certains, comme Crédit Agricole CIB, apportent un service dédié aux ETI et PME. Le marché de l’assurance privée propose quant à lui des solutions sur mesure.
Je suis frappé par l’évolution de la perception d’un pays comme l’Inde. On entend toujours que le pays est compliqué, imprévisible, bref qu’il y a des problèmes. Ce qui est neuf c’est qu’il y a des solutions. Je suis impressionné par la rapidité et l’agilité d’entreprises comme Turgis et Gaillard ou le groupe Ametra dans leur implantation en Inde. L’offre de service locale, qu’il s’agisse de cabinets de conseil, d’expertise comptable, d’agence de sourcing, est étoffée, mais il y a aussi sur place une Équipe de France, publique comme privée : il faut l’utiliser. Un de nos objectifs avec le guide que nous publions est de contribuer à une identification rapide et efficace des ressources externes qui peuvent épauler les ETI et PME dans un contexte de compensations industrielles.

 

Le Moci. Est-ce qu’une implantation à l’étranger vous paraît indispensable ?

P. A. C’est un choix stratégique qui dépend du contexte propre au pays. L’internationalisation des chaînes de valeur a enclenché une internationalisation par les achats (« Buy ») au moins égale en volume à celle par la présence industrielle locale (« Make »). L’Inde a fixé un plafond de participation étrangère de 49 % dans une joint-venture dans le domaine de la défense (« Automatic Route »). Notez que cette contrainte a été relâchée dans le temps, puisque la partie étrangère ne pouvait pas détenir plus de
26 % dans le passé. Autant que d’attirer plus d’investissements directs étrangers (IDE) l’objectif est de faciliter la mise en œuvre de la politique d’offset qui peine à prendre de l’ampleur.

 

Le Moci. On a souvent accusé les grands donneurs d’ordre d’écraser leurs sous-traitants. Est-ce encore vrai ?

P. A. Le degré de confiance entre les intégrateurs et leur supply chain s’est accru considérablement. On est passé d’une situation conflictuelle à la réalisation que les approches collaboratives revêtaient un intérêt fondamental et réciproque.
La filière aéronautique en est un exemple patent. Elle compte parmi les filières industrielles les plus intégrées, animée de façon remarquable par le Gifas. Si l’apprentissage de l’esprit collaboratif a parfois nécessité des efforts mutuels, l’envolée des cadences chez les grands constructeurs n’aurait pas été possible sans la progression de l’esprit de confiance. Vu de l’intérieur on ressent les frictions, vu de l’extérieur on réalise le succès que cela représente. Cet esprit de filière prend toute sa valeur dans le domaine du développement international. Il n’est pas étonnant de le retrouver parmi les priorités communes des 18 Contrats stratégiques de filière (CSF) portés par le ministère de l’Économie et des finances et le Conseil national de l’industrie (CNI). C’est à cet effort de concertation et de fléchage des instruments du commerce extérieur à l’attention des ETI et PME que le guide que nous publions ambitionne d’apporter sa contribution

 

Le Moci. Vous l’avez dit, l’international est risqué pour une petite structure. Faut-il s’assurer ?

P. A. L’offre d’accompagnement à la globalisation, privée comme publique, est diversifiée. Elle couvre le risque politique et dans une certaine mesure économique. Il faut noter qu’il n’y a pas à ce jour d’assurance liée directement à l’offset au sens strict. Or, l’émission d’une caution d’offset soumet l’entreprise à un risque d’appel abusif de cette caution. Des produits pourront être élaborés en ce sens.
Parmi les produits de Bpifrance la garantie des projets à l’international (GPI), qui couvre les apports en fonds propres pour une filiale a l’étranger, ou la garantie des projets stratégiques (GPS) créée en 2019 pour les filières essentielles à la sécurité nationale, sont des instruments à relever. Le marché assurantiel privé n’est pas réservé aux grands groupes et offre un degré de flexibilité notable.

 

Le Moci. Le guide s’attarde sur sept pays. Le dispositif de compensations y est parfaitement décrit et les témoignages d’entreprises y sont fort pertinents. Pourquoi ce choix ?

P. A. Nous avons retenu l’Inde, l’Australie, les Émirats arabes unis, la Malaisie, la Corée, le Canada et la Turquie. Ces sept pays ont été identifiés selon deux critères :
1. Le volume prospectif de compensations industrielles sur une décennie. Cela recouvre deux questions sous-jacentes : Combien les Équipes de France industrielles comptent-elles vendre dans ces pays ? Quel est le ratio de compensation industrielle attendu pas y parvenir ?
2. La complexité d’exécution d’un programme de compensation industrielle. Cette dimension recouvre à la fois la complexité réglementaire et l’adéquation du tissu industriel du pays, en définitive la capacité du pays à absorber de tels changements.
Les sept pays que nous présentons dans le guide ont affiché leurs ambitions. L’art est, ensuite, de trouver les bons sujets qui permettent d’assurer le marché et d’offrir un contenu local qui non seulement ne mette pas en péril l’entreprise mais permette d’être un relais de croissance.

Propos recueillis par François Pargny

 

*« Les compensations industrielles – Guide à l’attention des ETI et PME » est téléchargeable gratuitement sur les sites : www.lemoci.com et www.cnccef.org

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