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Entreprises : comment gagner au Qatar

Il ne faut pas tarder. Seules ou avec un partenaire, les entreprises françaises, notamment les PME, peuvent gagner leurs places. Le Qatar est riche, les entreprises et les industries des hydrocarbures se modernisent.

 

Au milieu des années 2000, le Qatar n’était couru que des spécialistes des hydrocarbures. Depuis cinq ans, tous les secteurs d’activité suscitent l’engouement. Dubai a connu une grave crise financière, ce dont a profité le Qatar, mais surtout l’attribution de la Coupe du monde de football 2022 a entraîné un pays aux moyens financiers conséquents à se doter d’infrastructures modernes.
« J’ai aidé nombre de sociétés à s’installer en 2009-10, y compris des gens qui se sont relocalisés des Émirats vers le Qatar », se rappelle l’avocat d’affaires Arnaud Depierrefeu.

Mais alors que les projets arrivent en même temps depuis quatre ans, le marché est déjà en train d’arriver à maturité, affirment les opérateurs. « Un très gros effort a été fait pour 2022 mais une fois que les projets seront réalisés, les besoins seront couverts pour un certain temps, » explique Adil Guissi, le représentant d’Egis au Moyen-Orient.

Le marché « en outre » est perçu par beaucoup de sociétés comme le plus difficile de la région. Au palmarès des griefs : la lenteur des décisions. « C’est simple, vous prenez le délai prévu et vous le multipliez par deux. Les procédures d’appels d’offres sont extrêmement longues et peuvent changer à tout instant », se plaint un entrepreneur.

La démographie est un autre facteur d’explication. « La richesse redistribuée est telle qu’il y a assez peu de Qatariens qui travaillent effectivement, » explique un diplomate. « Les décisions sont donc prises par très peu de personnes, ce qui provoque des goulots d’étranglement énormes. » Un projet aussi stratégique que le nouvel aéroport international de Doha a connu plus de cinq ans de retard, freinant gravement l’expansion de Qatar Airways.

Autre difficulté : une concurrence mondiale devenue féroce, qui encourage les Qatariens à privilégier le facteur prix. « Dans la construction, vous trouverez toujours un kamikaze qui sera 30 % moins cher que vous, au détriment de la qualité », regrette un homme d’affaires. « Les seuls domaines où j’ai vu circuler des chiffres pharaoniques par rapport à la prestation, c’était dans le domaine artistique où les Français sont assez bien positionnés comme dans l’architecture d’intérieur » ajoute Arnaud Depierrefeu.

Pour toutes ces raisons, le Qatar n’est pas un pays de PME. Si la plupart des entreprises du CAC 40 sont présentes – regroupées essentiellement dans deux des tours les plus prestigieuses du quartier de West Bay – le nombre de PME françaises se compte presque sur les doigts de la main. Peu sont suffisamment solides pour supporter les délais d’attribution de contrats ou retards de paiement. Beaucoup plient bagages au bout de trois ans, en ayant parfois perdu beaucoup d’argent.

Il y a toutefois des stratégies plus payantes que d’autres : suivre un grand groupe comme sous-traitant, ou avoir un profil unique. Pour Christian Dumond, conseiller du Commerce extérieur, « soit vous avez un produit haut de gamme, qui n’a pas d’équivalent et là, le marché est très ouvert, soit vous avez un partenaire efficace qui saura vous dire comment gérer l’approche d’un projet, soit encore votre prix est très compétitif ».

Une PME doit enfin savoir s’organiser rapidement pour éventuellement partir quand le contrat est terminé. « Quand on est une petite société il faut essayer de sécuriser un contrat avant de s’installer », ajoute Arnaud Depierrefeu.

Raisonner régionalement peut aussi s’avérer une bonne solution. « Si vous êtes dans de la prestation intellectuelle, du service, de la distribution, de l’IT, de l’organisation d’événement, vous pouvez créer une société en free zone à Dubai dans des conditions économiques et simples sans tout de suite vous lancer dans une JV avec un partenaire local ici », explique un analyste.

Dans le domaine de la construction, l’engouement est donc déjà retombé. « Tout ce qui reste, ce sont des projets de moindre importance qui vont être traités par des sociétés régionales », affirme Christian Dumond. Les nouveaux arrivants se concentrent donc sur des métiers de spécialité et les nouveaux secteurs en développement : éducation, services, conseil, sport business, luxe, hautes technologies.

 

Prendre ou ne pas prendre un sponsor

Une entreprise étrangère qui s’installe au Qatar doit généralement créer une joint-venture (JV), dans laquelle un partenaire local détient 51 % des parts. On l’appelle sponsor lorsque ce partenaire local est inactif. Cette notion de sponsor en droit des sociétés ne doit pas être confondue avec le sponsor en droit de l’immigration (« kafil »), auquel est soumis à titre individuel tout employé étranger. Choisir le bon sponsor pour une entreprise est fondamental. « Pas de précipitation », conseille l’avocat Arnaud Depierrefeu, qui a aidé à s’établir une trentaine d’entreprises françaises. « Dans des cas plus nombreux qu’on ne pourrait le croire, un sponsor qatarien n’est pas nécessaire ». Dans le secteur des grands projets, il est très fréquent qu’une société étrangère créée une succursale. Dans d’autres secteurs comme les services intellectuels (consulting, architecture), il est parfois possible de créer une filiale sans sponsor. Lorsqu’on cherche un sponsor, mieux vaut en tout cas privilégier une grande famille marchande qui connaît le marché et peut faire du lobbying ; éviter les Qatariens novices déconnectés des affaires et tentés d’exiger des retours sur investissement irréalistes ; éviter aussi le sponsor trop haut placé car indisponible. « Certains vivent dans la stratosphère : ils possèdent un Airbus 320 pour déplacer leur famille, achètent des chevaux. Ces gens ne vont pas forcément décrocher leur téléphone pour vous », prévient Arnaud Depierrefeu. « Quelqu’un de plus mid-market aura un intérêt à mouiller la chemise et sera fier d’avoir une relation avec une société française ». Reste enfin le sponsor dormant qui prend sa commission sans s’investir. Une option facile, mais onéreuse et pas dénuée de risque pour autant.

 

Créocéan : le « petit » porté par Total qui transplante les coraux

 

Créocéan, un bureau d’étude de 65 employés, spécialiste de l’environnement maritime, est l’exemple type d’une PME qui a réussi au Qatar en s’appuyant sur les structures françaises de soutien.

En 2002, au cours d’un déplacement organisé par le Service économique français pour prospecter le marché au Qatar, son directeur général Jean-Marc Sornin, s’entend avec le pétrolier Total pour un portage et un premier appui logistique.

« On travaillait déjà beaucoup avec Total en France et à l’international, » explique Édouard Hörlin, le représentant du bureau de Doha. « Au début, on travaillait surtout avec eux, dans leurs bureaux. On y est resté le temps de déterminer s’il y avait un marché qui permettait de grandir indépendamment de Total ».

Édouard Hörlin est arrivé au Qatar en 2009 dans le cadre d’un contrat de Volontariat International en Entreprises (VIE), avant d’être embauché plus tard pour représenter Créocéan à Doha puis à Abu Dhabi. Biologiste marin de formation, il ne peut toutefois se limiter à sa casquette scientifique : « Je fais un peu de tout ici : du commercial, du financier, j’ai frappé à toutes les portes de clients potentiels pour prospecter le marché et connu quelques périodes très creuses. »

Mais depuis la création fin 2008 d’un ministère de l’Environnement, le marché s’est développé. Plus question pour une compagnie pétrolière de poser un pipeline sans étude d’impact ou transplantation de coraux sur les sites explorés.

L’an dernier, Créocéan a ainsi décroché auprès de Qatar Petroleum le plus gros projet de son histoire : 3,5 millions de dollars pour la transplantation de coraux. Moins d’un mois plus tard, la société a été recontactée pour un projet similaire. « Cela faisait longtemps qu’on essayait de percer sur ce marché, mais il y avait toujours un concurrent américain qui remportait le contrat », se souvient Édouard Hörlin. « On a réussi à se créer un nom et des contacts et je suis capable de mobiliser des petits bateaux très rapidement », précise-t-il. À ce jour, Créocéan a transplanté 5 000 coraux au total. Confiante, la société française va bientôt créer avec un partenariat qatarien une entité locale, Créocéan Qatar, qui s’ajoutera ainsi à sa filiale indonésienne.

 

Egis : un ingénieriste qui joue à anticiper l’avant et l’après Coupe du Monde

 

Dans un environnement dominé par les consultants anglo-saxons, Egis est l’un des spécialistes français à percer au Qatar, avec Systra et Setec.

Ses métiers : l’étude et la gestion de bâtiments et d’infrastructures. L’entreprise, qui compte 12 000 employés dans le monde, a remporté l’an dernier les études et la supervision de 120 km d’autoroute express à Doha, ainsi que la supervision de l’une des trois lignes de métro de Doha et des principales stations de métro. Son chiffre d’affaires au Qatar atteindra 30 millions d’euros cette année (sur un total de 900 millions) et devrait passer à 40 millions en 2015. Près de 95 % de l’activité régionale est  réalisés à part égale entre le Qatar et l’Arabie saoudite.

L’activité dans l’émirat n’a vraiment démarré qu’en 2008, avec une série de contrats d’audits d’un montant modeste, mais qui se révélèrent la clé du succès. « Via ces petits contrats on s’est construit un nom auprès de l’administration, explique Adil Guissi, directeur régional Moyen-Orient. « Ils touchaient à de grands projets, donc plutôt sensibles, ce qui nous a mis en contact avec des décideurs au sein de différentes autorités qatariennes ».

La deuxième bonne idée fut d’investir en amont. « En 2010, nous avons placé à Doha une équipe commerciale en contact permanent avec les clients », raconte Adil Guissi. Après la nomination du Qatar pour la Coupe du monde 2022, l’entreprise était donc déjà positionnée. « Aujourd’hui nous sommes une centaine de personnes au Qatar, et notre objectif d’ici la fin de l’année, plus précisément lorsque les travaux que nous supervisons auront démarré, est d’atteindre le chiffre de 300 ».

La visibilité est bonne jusqu’à la Coupe du Monde de 2022. Se projetant déjà après cette date, Egis veut dès aujourd’hui se diversifier dans l’eau, l’environnement et le développement aéroportuaire (gestion du trafic aérien).

 

Qatari Diar Vinci Construction : quand Vinci bâtit une alliance avec un fonds souverain

 

C’est la plus grande success story française du Qatar. Son secret : avoir été le premier à nouer un partenariat avec un fond souverain du Qatar et… principal donneur d’ordre, Qatari Diar.

C’est en 2005 que Vinci Construction Grands Projets lance une stratégie d’implantation dans les pays pétroliers. Le groupe travaille alors sur un gigantesque projet de pont entre le Qatar et le Bahreïn – actuellement en stand-by – et entre en contact avec Qatari Diar. « C’est à l’occasion de cette collaboration que l’idée de créer une société ensemble a émergé », se rappelle Yanick Garillon, directeur général de Qatari Diar Vinci Construction (QDVC), filiale à 51 % de Qatari Diar et à 49 % de Vinci Construction Grands Projets. Une proposition du qatarien, qui, en raison du boom économique régional, avait à l’époque le plus grand mal à trouver des candidats pour ses nombreux appels d’offres. Sa solution à l’époque a été de trouver un bras armé dans la construction.

Décision fut donc prise en mai 2006. « Nous étions prêts à faire l’effort pour nous mobiliser, mais il fallait que cela parte sur un projet très rapidement, » explique Yanick Garillon. « Nous avons finalement signé un contrat de quatre parkings souterrains dans la nouvelle ville de Lusail, avant même que la société soit formée. »

Pourtant le vent tourne. En 2008, la crise financière précipite les constructeurs en mal de cash au Qatar et Qatari Diar n’a soudain plus que l’embarras du choix. Il siffle poliment mais fermement la fin de la récréation.

À partir de 2011, QDVC doit voler de ses propres ailes et chercher ses projets tout seul. L’attribution en 2010 de la Coupe du Monde 2022 au Qatar vient offrir de nouvelles perspectives. Le premier marché remporté dans le nouveau contexte a été la conception d’une des quatre lignes de métro de Doha, puis un projet d’autoroute en périphérie et celui du tramway de la ville nouvelle de Lusail, au nord de Doha. En juin dernier, la dernière phase de ce tramway a été remportée pour 2 milliards d’euros, en groupement avec Alstom. Vinci réalise également un immense parking souterrain dans le quartier d’affaires de West Bay et a livré la plus grande station de pompage d’eaux usées du pays.

Le partenariat QDVC a connu des hauts et des bas, en raison notamment des premières attentes de Qatari Diar. « On a passé des nuits et des jours à expliquer que même le n° 1 mondial ne pouvait pas réaliser tous ses projets », se rappelle Yanick Garillon. « Aujourd’hui c’est ce qui fait que nous sommes toujours ensemble. Nous ne leur avons pas fait miroiter autre chose que la réalité. »
Le chiffre d’affaires annuel de QDVC atteint en moyenne entre 300 et 350 millions d’euros. Et son effectif de 3 200 personnes (dont 2 100 ouvriers) devrait bientôt augmenter.

 

Mediatree : un spécialiste de la vidéo qui en fait un sport

 

Ingénieur en informatique et en imagerie électronique, Marwan Nader a découvert le Qatar en 2001, comme salarié d’une société en contrat avec le gouvernement qatarien pour du mediamonitoring.

Avec deux autres ingénieurs, il a créé Mediatree en 2007, qui réalise des logiciels dans le domaine de la vidéo sur IP. « Notre premier contrat a été signé en 2008 avec l’académie sportive qatarienne Aspire », explique Marwan Nader. « Ils voulaient un logiciel pour enregistrer les matchs sportifs diffusés sur une centaine de chaines. Aujourd’hui ils ont une gigantesque base de données qui permet aux coachs d’étudier les techniques des équipes concurrentes. »

Un contrat qui en a entraîné d’autres pour le ministère de l’Intérieur, le centre antidoping et le Super globe de handball, ajouté à l’installation de 200 écrans dans les murs d’Aspire ou la fabrication d’un studio pour la chaîne sportive BeIn. « Ce n’est pas toujours notre corps de métier, mais ici ils veulent tout clé en main, alors on s’adapte. »

Le Qatar représente aujourd’hui 90 % du chiffre d’affaires de cette PME de 18 personnes, qui a créé Mediatree Doha en 2011 avec un partenaire local. « Le meilleur modèle pour une PME, c’est d’avoir un gérant sur place et de garder le savoir faire en France. C’est moins cher, » explique Marwan Nader qui représente la société au Qatar.

L’Émirat offre plus d’opportunités que Dubai, déjà saturé, mais la concurrence pointe son nez. De quatre sociétés à répondre aux appels d’offres, elles sont passées à une quarantaine. « Certaines sociétés internationales sont prêtes à casser les prix pour se placer sur le marché avant la Coupe du Monde ». Mais Marwan Nader n’est pas inquiet en raison de son réseau de contacts et de la petite taille de son entreprise : « C’est notre force. Nous sommes malléables et plus capables de nous adapter à la mentalité qatarie. Le dimanche n’est pas férié pour nos équipes en France. »

Si certains projets les dépassent financièrement, il reste beaucoup d’opportunités. « Il faut garder l’œil, quitte à donner l’idée du projet soi-même », conseille Marwan Nader.

Nathalie Gillet

 

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