Phil Hogan, le nouveau commissaire au Commerce, s’était fixé comme objectif de « réinitialiser notre relation avec les États-Unis » lors de sa première visite officielle à Washington, du 14 au 16 janvier. Preuve que la bonne volonté ne suffit pas, surtout dans le contexte électoral américain actuel, « le bilan est plutôt maigre », confiait au Moci un expert des questions commerciales à la Commission européenne.
Bruxelles déplore un « maigre bilan »
Derrière le discours officiel, dans lequel Phil Hogan a salué « un bon début » pour la relance du lien transatlantique, difficile de cacher les difficultés qui persistent, et qu’il a reconnues lors de sa conférence de presse à Washington. « Je ne m’attendais pas à remettre à plat les relations en deux jours », a ensuite tempéré l’Irlandais, laissant entendre que la mission s’annonçait complexe et particulièrement délicate à la veille d’une nouvelle échéance électorale américaine.
En dehors de l’accord trilatéral scellé avec les États-Unis et le Japon, pour demander de concert à l’OMC de revoir sa politique de subventions aux entreprises et de condamner les transferts de technologies forcés, le commissaire au Commerce n’a obtenu aucun engagement ferme de ses homologues américains concernant les différents dossiers qui fâchent sur le plan commercial.
Pas d’embellies en vue dans le dossier Airbus/Boeing
Dans le contentieux opposant Boeing et Airbus, par exemple, ces derniers restent campés sur leur position. Autorisés en décembre dernier par l’OMC à taxer pour 7,5 milliards de dollars de produits européens (avions, vins, fromages, etc.) à l’importation, en raison de subventions accordées à Airbus, les États-Unis rejettent toujours les propositions européennes d’une solution négociée.
« Ce sera œil pour œil, dent pour dent », rétorque une source bruxelloise. Faute d’accord préalable entre les deux blocs, l’UE a promis à son tour des mesures de rétorsion dès que le gendarme mondial du Commerce lui aura donné son feu vert.
Des négociations commerciales toujours au point mort
Même désaccords persistants concernant les négociations de libre-échange au point mort entre les deux blocs, les Européens refusant d’y inclure l’agriculture malgré les pressions répétées de Washington en ce sens.
« L’accord conclu en juillet 2018 entre Jean-Claude Juncker et Donald Trump exclut le secteur agricole » du champ des pourparlers, a rappelé Phil Hogan à ses interlocuteurs américains.
Pour dégeler les discussions, Bruxelles suggère de conclure un « mini accord » relatif à la convergence réglementaire et de s’entendre « au cas par cas » sur certains sujets liés à l’agriculture. Une approche qui a déjà porté ses fruits, a souligné le commissaire européen, qui avait en tête deux dossiers déjà débloqués : l’accord autorisant les Etats-Unis à porter jusqu’à 35 000 tonnes leurs exportations de viande bovine « de haute qualité » ou celui relatif à l’augmentation des importations de soja américain au sein de l’UE.
« Si nous procédons de la bonne façon et travaillons ensemble, les avantages mutuels seront très importants », a insisté Phil Hogan.
Washington hausse le ton sur le dossier iranien
Autre contentieux, le dossier iranien qui ne figurait pourtant pas au menu des discussions lors de la visite de Phil Hogan à Washington.
Mais à la grande surprise du commissaire européen, la nouvelle est publiée le mercredi 15 janvier par le Washington Post, au deuxième jour de sa visite : Donald Trump aurait à nouveau menacé d’imposer des taxes de 25 % sur les automobiles européennes si la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne prenaient pas des mesures supplémentaires pour condamner les décisions récentes de Téhéran, violant les termes de l’accord sur le nucléaire conclu en 2015.
Refusant de commenter cette énième menace tarifaire, le commissaire européen au Commerce a cependant déploré, lors d’un événement organisé par le Centre pour les études stratégiques et internationales, à Washington, avoir de plus en plus de mal à défendre une économie ouverte « alors que nos entreprises peuvent à tout moment être frappées par des taxes ou autres restrictions ».
Des engagements incertains sur la taxe visant les géants du numérique
« Les Américains ont une position tranchée sur la taxe française », car à leurs yeux, elle représentent une discrimination de fait à l’encontre des entreprises américaines, a reconnu Phil Hogan pendant sa conférence de presse finale à Washington. De quoi s’attendre à des discussions tendues, malgré la trêve tout juste scellée entre le France et les États-Unis.
Paris a en effet annoncé la suspension provisoire de la taxe « pour donner du temps aux négociations au sein de l’OCDE », selon l’entourage d’Emmanuel Macron. Mais la partie est loin d’être gagnée, comme en témoignent les discussions qui se sont tenues à huis clos lors d’une réunion des ministres des Finances de l’UE, lundi 20 janvier à Bruxelles.
Selon les informations qui ont filtré de cette réunion, pour la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, pas question de valider la proposition américaine visant à rendre cet impôt optionnel en donnant aux entreprises la possibilité de s’y soumettre ou pas. « Je ne connais pas de taxe optionnelle », a ironisé Thierry Breton, le commissaire français en charge du Marché intérieur, portefeuille incluant notamment le numérique. « Par définition, les taxes sont obligatoires », a renchérit Valdis Dombrovskis, vice-président de l’exécutif européen.
Si l’objectif reste un accord au sein de l’OCDE d’ici à la fin de l’année, les négociations s’annoncent « très difficiles », a confirmé le ministre français Bruno Le Maire à l’issue du Conseil. D’autant que la France ne serait plus le seul État membre visé par Washington. En marge du Forum économique de Davos, Steve Mnuchin, le secrétaire américain au Trésor, a en effet saisi l’occasion pour brandir la menace de sanctions contre l’Italie et le Royaume-Uni – deux pays qui envisagent aussi d’imposer les géants du numérique – s’ils ne suspendent pas leur taxe.
Pas de trêve à court terme selon Phil Hogan
S’il assure avoir eu « échanges positifs », notamment avec Robert Lightizer, son homologue américain, le commissaire irlandais n’a toutefois pas caché son pessimisme quant aux possibilités de conclure une nouvelle trêve commerciale avec les États-Unis, imputant la responsabilité d’un échec au président américain.
« Il n’y aura pas d’unité à court terme. Pour accentuer sa popularité dans certains États, Donald Trump a besoin de focaliser ses griefs » sur l’un ou l’autre de ses partenaires. « Il est obsédé par la réduction du déficit commercial et il a parlé beaucoup de la façon dont il peut remporter les prochaines élections », a-t-il indiqué.
Autrement dit, les Européens ne prévoient aucune embellie dans les liens transatlantiques à court terme. Il faudra donc attendre l’issue du scrutin présidentiel américain, en novembre prochain, qui soit prolongera le mandat de Donald Trump soit consacrera l’arrivée d’une nouvelle équipe à la Maison-Blanche…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles