La campagne de lancement en France des règles Incoterms® 2020 de la Chambre de commerce international (ICC) est bien lancée. Les principaux changements introduits dans cette version 2020, dont Le Moci avait révélé l’essentiel fin juin dernier, ainsi que l’édition papier du guide bilingue français / anglais ont été présentés le 25 septembre lors d’une conférence de presse organisée à Paris par le comité français ICC France.
Étaient présents Emmanuelle Butaud-Stubbs, sa directrice générale, Julian Kassum, directeur Global membership & Services d’ICC, et deux des experts d’ICC France, dont Christophe Radtke, avocat associé de Fiducial Legal by Lamy et coprésident du groupe de travail international ayant planché sur les nouvelle règles Incoterms® au niveau mondial, et Karen Poujade, directrice des Affaires douanières du groupe Orano (ex-Areva).
Entrant en vigueur le 1er janvier prochain, officiellement dévoilées par l’ICC le 10 septembre à travers la diffusion d’un communiqué, ces règles sont appelées à succéder aux Incoterms® 2010, appliquées depuis dix ans.
La version 2020 est toutefois moins révolutionnaire que la précédente, comme nous l’avions indiqué fin juin : les 11 Incoterms de la version 2010, avec leur classification entre « tout mode de transport » (multimodal) et « maritime » demeurent, un seul changeant de nom et de signification le DAT (en DPU, voir plus bas).
En revanche, de gros efforts on été fait pour améliorer leur présentation et leur lisibilité dans le guide ICC, les connaisseurs pourront en juger : introduction plus pédagogique, illustrations améliorées, notes explicatives sur les conséquences pratiques de chaque Incoterm intégrées (auparavant elles étaient dans des ‘notes conseil’) ce qui permettra une utilisation plus simple par des juges ou des arbitres …
Confirmation des principaux changements
Les quelques changements de fond que nous avions dévoilés fin juin ont donc été confirmés lors de la conférence de presse :
– Un seul Incoterm change de nom: le DAT (Delivered at terminal / Rendu terminal), qui est redéfini DPU (Delivered at Place Unloaded / Livré déchargé à un endroit convenu). Ce changement de DAT à DPU précise mieux le lieu de livraison.
– L’assurance obligatoire devient « tout risque » pour l’Incoterm multimodal CIP (Carriage and Insurance Paid to / Port payé, assurance comprise jusqu’à…). Ce qui répond mieux aux exigences des marchandises en conteneur, souvent des biens industriels ou des biens de consommation dont la valeur relative (en poids ou en volume) est souvent plus élevée que celle les marchandises transportées en vrac (matériaux de construction, matières premières…).
– Une option est introduite pour l’Incoterm multimodal FCA (Free Carrier / Franco transporteur), l’un des plus utilisés par les exportateurs: la possibilité d’ajouter « on board bill of lading », autrement dit « une option pour la présentation d’un connaissement de mise à bord ». Avec cette option, l’exportateur livre son bien chargé sur le transporteur et peut exiger ce document de transport, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Les banques pourront cesser d’exiger un « FOB », Incoterm purement maritime, pour une marchandise transportées par conteneur, pour lesquelles les Incoterms multimodaux sont plus adaptés.
– L’Incoterm EXW (Ex Works / À l’usine) demeure, mais son utilisation est fortement déconseillée à l’international, le guide ICC recommandant son utilisation uniquement sur le plan national.
Quel succès pour ces nouvelles règles ?
Quel va être le succès de ces nouvelles règles ?
Elles vont sans doute bénéficier de l’ancrage des précédentes, auxquelles se sont habitués les opérateurs. Toutefois, n’étant pas obligatoires, leur application se fera sur la base du volontariat. C’est donc leur diffusion la plus large qui sera le facteur clé. A cet égard, elles ont quelques atouts.
Considérées comme « la langue commune du commerce international » depuis la création de la première version en 1936, pour reprendre l’expression de Julian Kassum, elles devraient progressivement s’imposer aux opérateurs dans tous leurs contrats de vente de marchandises, car elles sont reconnues dans de nombreux pays – et notamment de plus en plus en Asie, particulièrement en Chine- par les différents acteurs du commerce international : importateurs, exportateurs, commissionnaires en douane, transporteurs, banquiers, arbitres et juges…
Reste à mieux les diffuser dans le monde. La encore, l’ICC a fait des efforts. La version anglaise du guide papier est en vente depuis le 10 septembre sur le site de l’ICC au prix de 45 euros pour l’édition papier (40 euros pour la version eBook et il existe des éditions simplifiées moins coûteuses), presque deux fois moins cher qu’il y a dix ans.
En outre, 29 traductions sont en cours, dont une en chinois. La version française est sortie de presse et sera également disponible au prix de 50 euros sur le site d’ICC France.
Autre effort pour démocratiser ces règles, à la demande insistante du groupe de travail international, une édition 100 % numérique a été mise en chantier pour amplifier leur diffusion auprès des étudiants et auprès des opérateurs des pays en développement, où elles sont encore méconnues, à l’instar de l’Afrique. C’est d’ailleurs le comité français d’ICC qui va organiser le lancement des règles Incoterms® 2020 en Afrique francophone, à Dakar fin octobre.
Enfin, une application officielle de l’ICC « Incoterms® 2020 » est déjà téléchargeable gratuitement sur smartphone sous iOS ou Android, récapitulant de façon succincte les principales règles et donnant des informations sur les événements à venir de l’ICC sur ces nouvelles règles. Elle a pour le moment été assez peu téléchargée, mais la situation devrait évoluer dans les prochaines semaines, avec la campagne de lancement qui se déploie au niveau mondial.
« Si on choisit le bon Incoterm, on a fait 80 % du travail »
Pour rappeler l’importance et l’utilité de ces règles dans la rédaction des contrats de vente de marchandises internationaux, Christophe Radtke a une expression radicale : « Si on choisit le bon Incoterm, on a fait 80 % du travail ».
Les Incoterms précisent à quel moment se fait le transfert des risques et des charges entre un vendeur et un acheteur dans une opération de livraison de marchandises : qui emballe, qui charge et décharge, qui s’occupe du transport, qui souscrit une assurance, ceci, tout au long du cheminement.
Leur révision tous les dix ans permet de les faire évoluer en fonction des pratiques du commerce international. Les règles Incoterms® 2020 sont ainsi le fruit de trois ans de consultation qui ont impliqué près de 48 comités nationaux et des contributeurs de 80 pays. Pas moins de 3 000 commentaires sont remontés vers le groupe de travail durant cette période. Pour Christophe Radtke, c’est aussi ce qui fait le succès de ces règles, malgré leur caractère privé et non obligatoire : « elles sont le reflet de la pratique du commerce international ».
« Avec trois petites lettres, vous couvrez une grosse partie du contenu d’un contrat de vente »
Présente lors de la conférence de presse, Karen Poujade, qui s’apprête à rejoindre Alstom, n’a pas démenti l’avocat : « c’est un très bel outil à la disposition des importateurs et des exportateurs, avec trois petites lettres, vous couvrez une grosse partie du contenu d’un contrat de vente ». A condition de savoir bien les utiliser.
Chez Orano, qui, dans ses activités internationales, peut se retrouver tout autant en position d’exportateur que d’importateur, le sujet n’est pas pris à la légère : une procédure spécifique Incoterms est en place au sein du groupe, avec des recommandations sur mesure pour chaque type d’opération (achat ou vente) et de produit (colis, produits chimiques, pièces détachées, etc.). Des formations sont organisées en interne pour sensibiliser tous les métiers potentiellement intéressés : juristes, financiers, commerciaux, acheteurs, logisticiens, etc.
« Notre enjeu, c’est d’avoir une démarche globale de maîtrise des risques et d’optimisation de la performance », résume encore Karen Poujade. La négociation sur le choix de l’Incoterm doit être faite en amont pour le contrat de vente, et il faut en tenir compte dans la négociation des contrats annexes : transport, assurance, voire paiement.
« Souvent, les litiges viennent du manque de cohérence entre ces différents contrats », poursuit-telle. « Si vous choisissez un Incoterm de vente au départ (type FCA), il faut faire attention à ne pas faire dépendre le paiement d’un justificatif de transport » a-t-elle encore prévenu. Dans le FCA, normalement, le transporteur ne remet pas de document de transport au vendeur… sauf à utiliser la nouvelle option.
Afin d’amplifier encore la diffusion des nouvelles règles, ICC France, pour sa part, a d’ores et déjà formé une vingtaine d’experts et déploiera jusqu’à la fin de l’année -avec probable prolongation au cours du premier trimestre 2020- un programme d’ateliers d’information et de formation à Paris et dans les principales métropoles de province (information sur : http://formation-incoterms2020.com/).
D’autres acteurs se mobilisent, comme les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) et les fédérations professionnelles. Premier rendez-vous le 3 octobre pour un événement Medef / Douane dans la capitale, mais bien d’autres suivront.
Christine Gilguy