C’est la startup Zéphyr et Borée, basée à Lorient, qui a été retenue en juillet par l’Alliance des chargeurs pour un transport maritime décarboné (en anglais Shipper Coalition for a Low Carbon Maritime Transport), créée en février dernier, pour construire et opérer les futurs cargos à propulsion vélique qui assureront le nouveau service transatlantique décarboné. Revue de détail.
Géraud Pellat de Villedon, secrétaire général de l’Alliance et par ailleurs responsable RSE pour la Supply Chain de Michelin, ne boude pas son plaisir : six mois après son lancement, la coalition de chargeurs dont il est un pilier a franchi plusieurs étapes décisives pour son projet inédit de création ex nihilo de deux nouvelles liaisons transatlantiques de transport de conteneurs décarbonées, grâce à des porte-conteneurs à propulsion vélique.
Le processus d’appel d’offre lancé au début du printemps par la coalition auprès de 14 compagnies maritimes pour la création de deux liaisons hebdomadaires transatlantiques entre l’Europe et l’Amérique du Nord, qui seraient opérées dès 2024 par des porte-conteneurs majoritairement propulsés à la force du vent, a été mené avec succès : six offres ont été réceptionnées, dont trois retenues lors du premier tour en avril. Une seule a été sélectionnée au terme du deuxième tour : celle de la startup Zéphyr et Borée, basée à Lorient, qui conçoit, fabrique et opère des navires à propulsion vélique. Sa dernière réalisation : le cargo vélique Canopée, qui doit transporter la fusée Ariane 5.
18 grands chargeurs ont rejoint l’association
« C’est une étape importante mais c’est maintenant que l’on entre dans la phase la plus compliquée du projet » souligne Géraud Pellat de Villedon. En effet, le modèle économique du projet repose sur des pré-commandes fermes, de la part de chargeurs, de capacités sur les futurs navires, pour une période de 10 ans, et à un tarif plus élevé que le transport conventionnel. Un véritable pari pour des groupes industriels plutôt habitués à tirer les prix de leurs fournisseurs.
Toute l’ingénierie des contrats est à construire, et, surtout, « il faut aller chercher des engagements de long terme auprès des chargeurs » explique le secrétaire général de l’Alliance. Celui-ci est toutefois confiant : depuis sa création en février 2022, avec le soutien de l’AUTF (Association des utilisateurs de fret) et de France Supply Chain, 18 grands chargeurs ont rejoint l’association et marqué leur intérêt. Le dernier en date, Bolloré Logistics, est un poids lourd des services internationaux de transports.
C’est la clé pour que Zéphyr et Borée mobilise les financements pour lancer la construction des navires. « Ces navires seront totalement repensés pour naviguer à une vitesse de 11 à 13 nœuds, avec des énergies de bords revues pour réduire au maximum les émissions de CO2 » souligne Géraud Pellat de Villedon. « Pour les construire, il faut trouver des banques prêtes à financer, mais pour cela, il devra y avoir des commandes fermes de chargeurs » déroule le dirigeant.
Le « Go !» sera donné dès qu’un taux de remplissage de 80 % sera atteint. Autrement dit, ce sont les chargeurs qui porteront l’essentiel du risque. Mais le dirigeant, qui préfère rester discret sur les noms de ceux qui planchent effectivement sur des projets de contrats, affiche une confiance prudente. « Si tout se passe bien, la construction pourra commencer début 2023 ».
« Une véritable décision d’entreprise »
Deux nouvelles liaisons maritimes sont prévues dans le projet, à partir de 2024 : une « route Nord », qui desservira Anvers-Le Havre-New York-Charleston, et une « route Sud », Gêne-Fos-Valence-New York. « Aujourd’hui, j’estime à 80 % le taux de chance que des contrats fermes soient signés en octobre » souligne Géraud Pellat de Villedon.
L’une des difficultés pour les chargeurs est d’évaluer le surcoût généré par leur engagement sur une aussi longue durée, d’ici 2035, compte tenu des bénéfices attendus en termes de décarbonation de leur supply chain, mais aussi de la volatilité des taux de fret et des prix du carbone. « C’est un véritable pari, une véritable décision d’entreprise, on n’est pas dans de l’opportunisme » insiste le dirigeant. « Nous voulons transformer cette industrie et c’est maintenant qu’il faut s’engager ».
Car l’autre pari des chargeurs impliqués est que si le projet marche, les majors du secteur maritime, qui ont plutôt misé jusqu’à présent sur les carburants alternatifs au fioul lourd pour décarboner la propulsion de leurs navires (gaz naturel liquéfié, biocarburants…), investiront davantage dans la propulsion vélique. A cet égard, les récentes annonces du géant français CMA CGM, qui investit dans Neoline, une autre startup du vélique, et crée un fonds d’investissement de 1,5 milliards d’euros pour la transition énergétique du secteur est regardé avec intérêt.
Prochaine étape, les engagements fermes des chargeurs, avec un objectif de remplir à au moins 80 % les premiers navires. On saura en octobre si le pari est relevé. Si c’est le cas, l’Alliance se tient prête à lancer de nouveaux appels d’offres pour ouvrir de nouvelles liaisons maritimes.
Christine Gilguy