Le groupe CMA CGM, champion français du transport maritime, affiche à nouveau cette année des résultats records qui lui permettent de continuer des investissements massifs dans la diversification de ses métiers (logistique, aérien) tout en faisant des « gestes » à l’attention des chargeurs français sur ses prix. Ce qui n’empêche pas la réflexion critique en cours sur le rôle des compagnies dans la flambée des prix.
Mis à jour le 7 septembre
La période faste continue pour les compagnies maritimes, malgré la multiplication des signes de ralentissement de l’économie mondiale et une certaine détente sur les prix du fret.
CMA CGM devrait ainsi franchir un nouveau record de bénéfices cette année, selon ses résultats pour le deuxième trimestre (T2) publiés le 5 septembre : son résultat net a atteint 7,6 milliards d’euros (Md EUR), en hausse de +4,1 % par rapport au T2 2021, pour un chiffre d’affaires de 19,48 Md EUR (+ 57 %). Si on l’ajoute à celui obtenu au T1, soit un résultat net de 7,1 Md EUR (pour un CA de 18,2 Md EUR), le groupe approche donc dès le premier semestre 2022 le niveau de bénéfice déjà record atteint en 2021 (18 Md EUR).
Considéré comme le numéro 3 mondial (derrière MSC et Maersk), l’armateur français est loin d’être le seul dans son cas : Maersk anticipe un bénéfice de 37 Md USD cette année, en hausse de 23 %, malgré une baisse de ses volumes (-2,5 % en mai) et la montée des incertitudes. Et selon une estimation de Blue Alpha Capital, citée par Ovrsea dans sa newsletter du 7 septembre, le bénéfice cumulé des compagnies maritime au cours du seul T2 aurait atteint 63,7 Md USD !
Des gestes commerciaux et des investissements
Critiqué cet été par certains chargeurs, à l’instar du patron de l’enseigne Leclerc, Edouard Leclerc, qui avait pointé dans les médias la hausse du coût du transport comme facteur d’inflation, le groupe basé à Marseille fait profil bas sur ses performances financières dans sa communication. Il met au contraire en avant le fait qu’il réinvestit 90 % de son résultat et rappelle les efforts de baisse des prix consentis cet été en faveur des chargeurs français pour soutenir le pouvoir d’achat des Français avec l’instauration d’une prime de 750 EUR /conteneur à l’import depuis l’Asie, et 100 EUR/ conteneur à l’export.
Côté investissements, en effet, les annonces du deuxième trimestre confirme le grand appétit du groupe de Rodolphe Saadé, lancé dans une stratégie visant à devenir un acteur global des services de transports & logistiques. Dans les services logistiques (près de 20 % de l’activité groupe aujourd’hui, le reste étant assuré par le transport maritime), il a poursuivi son marché au T2 : rachat des activités commerce & lifestyle d’Ingram Micro, rachat de Colis privé, accord pour l’acquisition de Gefco.
Dans les transports, il n’a pas été en reste : outre des investissements dans sa flotte et la transition énergétique (il vient de lancer un fonds de 1,5 Md EUR dédié à ce sujet), il a obtenu le certificat de transporteur aérien pour sa compagnie CMA CGM Air Cargo, lancé les activités de cette dernière début juin (avec 12 avions opérés d’ici 2026), et noué un partenariat stratégique avec Air France KLM dans le fret aérien, assorti d’une prise de participation de 9 %.
« Un prix extrêmement cher pour un service extrêmement dégradé »
Face à l’annonce d’une telle santé financière, les chargeurs, qui restent confrontés à des coûts de transports élevés par rapport à l’avant-Covid et à la persistance de perturbation dans le service (retards, frais de surestaries, etc.) soufflent le chaud et le froid. « Il y a des choses à saluer », indique Jean-Michel Garcia, délégué aux Transports internationaux à l’AUTF (Association des utilisateurs de fret), faisant allusion aux gestes commerciaux consentis aux chargeurs français.
Mais cet effort ne concerne que le marché français. « C’est un enjeu international et les compagnies maritimes ne sont pas seules en cause » rappelle Jean-Michel Garcia, qui pointe les commissionnaires de transports mais aussi la congestion des ports, notamment aux Etats-Unis. « Le vrai problème est que l’on paye un prix extrêmement cher pour un service extrêmement dégradé » souligne-t-il.
D’autant qu’avec le retournement en cours du marché, marqué par le ralentissement de la demande et le retour aux surcapacités, sur l’axe Asie-Europe, on s’attend au retour des blank sailings, ces annulations d’escales de dernière minute.
Les alliances maritimes sur la sellette
Quoiqu’il en soit, les compagnies maritimes, et particulièrement leur système d’alliances*, qui bénéficient en Europe d’une exemption à la réglementation européenne sur la concurrence (dite « block exemption »), sont sur la sellette. CMA CGM n’échappe pas à ce vent nouveau.
Destinées lors de leur lancement en 2017 à mutualiser des capacités afin de réduire les taux de fret et d’élargir les services proposés aux chargeurs, ces alliances sont aujourd’hui critiquées un peu partout, notamment aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Australie, Nouvelle Zélande, et en Europe pour avoir failli à cet objectif et profité excessivement de la crise. Des enquêtes sont en cours concernant des soupçons d’entente sur les prix.
En Europe, la Commission européenne a lancé cet été une consultation auprès des organisations représentatives des acteurs du transports international (chargeurs, transporteurs, commissionnaires, etc.) sur la question de l’avenir de cette exemption aux règles sur la concurrence, qui a permis à plusieurs compagnies maritimes européennes, dont CMA CGM avec son alliance Ocean, de se renforcer au top 5 mondial. Verdict dans le courant de l’automne.
C.G
*Le transport maritime mondial est actuellement dominé par trois grandes alliances qui trustent 95 % du marché du conteneur : Ocean Alliance (CMA CGM, Cosco, Evergreen), 2M (Maersk, MSC) et THE Alliance (Happag-Lloyd, Yang Min, One).