La visite d’État du président brésilien en France, où il participe cette semaine à l’UNOC, la Conférence des Nations unies sur les océans, à Nice, a été précédée d’une séquence bilatérale qui confirme le haut niveau des relations politiques et économiques entre les deux pays. Sauf sur le Mercosur…
[Mis à jour le 11/06/2025, 15h00, accords signés]
C’était l’un des objectifs affichés de Luiz Inácio Lula da Silva pour sa visite d’État en France début juin, avant de se rendre à Nice pour assister à la conférence des Nations unies sur les océans (UNOC) : convaincre la France d’adopter l’accord conclu entre l’Union européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) début décembre dernier en marge du Sommet de cette organisation à Montévidéo.
Le président brésilien y tient d’autant plus que ses relations avec le président Emmanuel Macron sont au beau fixe, qu’il veut prendre ses distances avec les États-Unis de Donald Trump, et que son pays va assurer pour six mois la présidence tournante du Mercosur, après la fin du mandat en cours de l’Argentine.
« Je ne vais pas laisser la présidence du Mercosur sans un accord »
« Mon cher Macron, ouvrez un petit peu votre cœur pour cette possibilité de conclure cet accord avec notre cher Mercosur, a lancé le président Lula lors d’une conférence de presse commune avec Emmanuel Macron, le 5 juin à l’Elysée. Cet accord ce serait la meilleure réponse que nos régions puissent apporter face au contexte incertain créé par le retour de l’unilatéralisme et du protectionnisme tarifaire ». Et d’insister : « Je vais assumer la présidence du Mercosur (…) pendant un mandat de six mois. Et je voudrais vous dire une chose : je ne vais pas laisser la présidence de Mercosur sans un accord avec l’Union européenne ».
Le moment est jugé d’autant plus propice qu’un tel accord serait un pied de nez à la guerre commerciale unilatérale déclenchée par l’administration Trump avec l’ensemble de la planète, mettant dans le même sac tous ses partenaires commerciaux, y compris ses proches alliés. Ce protectionnisme agressif et débridé est condamné par les deux pays, à l’instar de toute l’Union européenne et du « Sud Global » dont le Brésil est un porte-parole.
Mais Emmanuel Macron est resté ferme sur les positions défendues jusque là par la France, qui cherche inlassablement depuis des mois à réunir une coalition de pays membres de l’UE pour bloquer l’adoption par le Conseil de l’UE de cet accord de libre-échange décrié par le monde agricole. Cet accord, en l’état, fait « peser un risque sur l’agriculture », a déclaré le président français, ajoutant travailler pour l’introduction de « clauses de sauvegarde ». Même son de cloche auprès de la presse brésilienne : il s’est dit prêt à conclure avant la fin de l’année à condition que soient introduites « des clauses miroirs » ou « des clauses de sauvegarde », au micro de la chaîne de télévision GloboNews.
Ambition commune sur le climat
Ce désaccord sur l’accord de libre-échange UE-Mercosur n’a pas empêché les deux pays d’afficher leur proximité sur d’autres enjeux internationaux, notamment le soutien à la solution à deux États sur la question palestinienne, et surtout le climat.
A quelques mois de la COP 30, que le Brésil doit accueillir en novembre prochain à Bélem, en Amazonie, les deux présidents ont signé une déclaration réaffirmant leur volonté commune de soutenir des engagements forts en matière de réduction des émissions de CO2, rappelant l’objectif de limiter à 1,5° le réchauffement climatique.
Elle met l’accent sur le renforcement du multilatéralisme, en particulier en ce qui concerne la gouvernance climatique, le soutien à des engagements tenant compte des conséquences économiques et sociales du changement climatique et des opportunités de l’économie bas-carbone et enfin l’accélération de la mise en œuvre des engagements pris, y compris par des actions menées au-delà du cadre de la CCNUCC et de l’Accord de Paris.
La coopération dans le domaine environnemental est déjà importante entre les deux pays. Un Centre franco-brésilien sur la biodiversité en Amazonie a récemment été initié par l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et l’AFD (Agence française de développement) vient de signer un pré-accord pour octroyer un financement de 250 millions d’euros à la Banco do Brasil afin qu’elle soutienne des projets en Amazonie et dans la savane du Cerrado et de la Caatinga.
Des relations économiques et commerciales dynamiques
Sur le volet économique bilatéral, les deux pays entretiennent une coopération forte dans le domaine de la défense, avec un accord qui a permis notamment à la marine brésilienne de se doter de sous-marin. Mais l’un des temps forts de la visite du président brésilien a été la tenue d’un forum d’affaires à Paris, co-organisé par Business France et son homologue brésilienne ApexBrasil, avec la participation d’environ deux cents patrons français et brésiliens. La presse n’y a pas été conviée mais les échos remontés sur les réseaux sociaux ont fait état d’un événement à guichet fermé.
Le Brésil est un des points d’ancrage principal des entreprises françaises en Amérique latine : entre 1150 et 1300 (selon les chiffres cités par diverses sources) sont déjà présentes sur le territoire brésilien, dont la presque totalité du CAC 40, employant plus de 554 000 personnes. L’Hexagone est le troisième investisseur étranger en termes de stock d’investissements directs étrangers (66 Md USD en 2023, selon les données de la Banque centrale brésilienne) alors que les investissements directs brésiliens en France ne dépassent pas 2 Md EUR.
« On veut montrer aux chefs d’entreprise français le bon moment que traverse le Brésil pour les inciter à y faire de nouveaux investissements » aurait déclaré le président brésilien avant sa visite en France, selon Les Echos.
Des relations culturelles dynamiques
Le volet culturel des relations franco-brésiliennes ne manque pas d’intérêt tant il constitue, pour les deux pays, un point clé de leurs relations. La visite du président Lula intervient alors que saison croisée du Brésil en France bat son plein. Fin mai, le ministère français de la Culture a annoncé la signature d’un protocole d’accord avec son homologue brésilien pour la création d’un Centre Pompidou dans l’État brésilien du Parana. « Implanté au cœur de la région de la triple frontière [Paraguay, Brésil, Argentine], à proximité des chutes d’Iguaçu, site classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, ce futur Centre Pompidou, dont l’ouverture est prévue en novembre 2027 […] proposera une programmation pluridisciplinaire mêlant expositions, spectacle vivant, grands cycles de cinéma, festivals, conférences et résidences d’artistes », précise-t-il.
Une dynamique « business » très positive
Les principales thématiques abordées lors du forum d’affaires ont porté sur l’énergie, la santé, l’industrie, la décarbonation, l’agroalimentaire. De quoi réaffirmer « la dynamique très positive de la relation économique entre nos deux pays » se sont réjouis les Conseillers du commerce extérieur (CCEF) dans un post sur Linkedin.
Leur présidente Sophie Sidos, y a pris la parole au nom de son homologue du Medef, Patrick Martin pour rappeler « l’importance d’un cadre de confiance et de visibilité pour les entreprises, le rôle moteur des entreprises dans la transition verte et la volonté de renforcer et d’accélérer les échanges économiques et industriels avec le Brésil » selon cette source.
L’intérêt pour le marché brésilien des entreprises françaises, y compris des PME et ETI, reste important : près de 400 y ont été accompagnées par Business France l’an dernier, et le nombre de jeunes VIE y est en augmentation (+8 %), selon un post sur Linkedin de Benoit Trivulce, directeur général par intérim de l’agence française. Quelque 4 Md USD de nouveaux investissements ont été annoncés en 2024 par les entreprises françaises, dont les fleurons CMA CGM, Engie et Vinci.
Des annonces de nouveaux investissements
D’après la Chambre de commerce du Brésil en France, lors du Forum, plusieurs entreprises françaises se sont engagées à investir environ 100 milliards de reals (Md BRL), soit environ 18 Md EUR, au Brésil sur cinq ans. Ils concernent notamment l’énergie (Engie, 8,5 Md BRL, TotalEnergies, 6 Md BRL), les infrastructures (CMA CGM, 13,5 Md BRL dans le port de Santos, Vinci Highways, 12 Md BRL dans la concession de la BR-040), et l’agroalimentaire (Lactalis, 291 M BRL pour agrandir son usine à Uberlândia).
Par ailleurs, parmi les accords de coopération signés entre les deux gouvernements intéressant les entre prises, signalons des accords pour développer un corridor maritime vert et coopérer sur l ’hydrogène bas carbone, en mettant l’accent sur les échanges de réglementation et de certification dans le domaine énergétique. Dans le domaine de la santé, les partenariats ont été renforcés entre la Fiocruz et des institutions françaises comme l’Institut Pasteur, Sanofi, la Fondation Mérieux et BioMérieux. Ils concernent la R&D, les vaccins, les échanges de scientifiques et la surveillance épidémiologique.
Un niveau d’échange à redresser
Le potentiel est important. Rien qu’en matière de commerce extérieur, les échanges de biens sont en dents de scies, en recul en 2024 (-4,1 %) et relativement peu important par rapport à d’autre partenaires, représentant 0,6 % seulement des échanges de la France d’après les données de la DG Trésor.
Dans le détail, les exportations françaises ont atteint 4,1 Md EUR en 2024 (-5,4 %), plaçant le Brésil au 30ème rang seulement de ses clients, tandis que ses importations en provenance du Brésil se sont élevées à 3,9 Md EUR (-2,6 %), situant la France au 36ème rang des clients du pays. Mais le Brésil « demeure le premier partenaire de la France en Amérique latine, concentrant 28 % des échanges de la région, devant le Mexique », rappelle la DG Trésor, qui note aussi que l’Amérique latine, plus globalement, est un parent pauvre du commerce extérieur français avec seulement 2 % du total.
Du pain sur la planche pour redresser la barre ! C’est l’une des raisons pour lesquelles Business France et ApexBrasil ont signé un memorandum d’entente renouvelant leur partenariat, et coopèreront pour l’organisation d’un Forum d’affaires au Brésil, en amont de la COP 30. Par ailleurs, deux accords de financement ont été signés : l’un par l’AFD (Agence française de développement) , d’un montant de 1,6 Md BRL (environ 251 M EUR), pour des projets développement durables au Brésil, l’autre de Natixis, de 1,1 Md BRL (157 M EUR), pour des projets d’assainissement et d’agriculture à faible émission carbone.
Laurent Saint-Martin, ministre délégué en charge du Commerce extérieur et de l’attractivité, a annoncé dans un post sur Linkedin qu’il se rendrait dans trois semaine au Brésil pour une visite officielle, avec une délégation d’entreprises françaises.
Christine Gilguy