Si la chute de la livre a fait reculer le PIB de la Turquie (-2,5 % en 2019) et relégué le pays au 18e rang mondial derrière le Mexique et l’Indonésie, il ne faut pas mésestimer sa solidité et… ses ambitions internationales sous la houlette du régime Erdogan, dont le nouvel aéroport d’Istanbul et la forte expansion de sa compagnie nationale Turkish Airlines sont un porte-étendard.
C’est quoiqu’il en soit le sentiment qui prévaut à la lecture de la dernière étude pays de l’ICDM (Institut pour la conquête des marchés) consacrée à la Turquie*. Riche en données et cartes économiques, politiques, géopolitiques, sociologiques et culturelles pertinentes mais aussi en témoignage d’entreprises, elle montre différentes facettes d’une Turquie beaucoup plus complexe qu’on peut le croire au premier abord, offrant de nombreuses opportunités malgré la conjoncture défavorable actuelle.
En témoigne, par exemple, la composition de son tissu économique.
Un profil proche du Brésil ou de l’Argentine
Certes, le PIB par habitant de la Turquie se situe, avec 10 537 USD, au 65e rang mondial, mais en parité de pouvoir d’achat, il est au 13e rang mondial, non loin du Mexique et de l’Italie. En fait, le modèle économique turc se situe « entre pays industrialisé moderne et économie émergente », observe l’ICDM : l’agriculture ne représente plus que 7 % du PIB contre 33 % pour l’industrie et 60 % pour les services.
Son profil se rapproche davantage du Brésil ou de l’Argentine. Il reste très vulnérable sur le plan financier et économique, comme l’a montré la crise monétaire qui a frappé le pays en 2018 (chute de la livre de 25 % par rapport au dollar), et son risque est considéré comme élevé par les analystes de risques pays (prime de risque estimée à 533 points de base par TAC Economics), mais il possède des capacités de rebondir.
A l’ouest, l’économie moderne qui se développe autour des grandes métropoles d’Anatolie et du Bosphore, avec l’axe Istanbul-Ankara-Izmir et les « nouveaux tigres anatoliens » nés des mesures de libération économiques prises à partir des années 80 (Bursa, Adana, Gazantep, Konya, Kocaeli, Antalya, Kayseri, Mersin). Istanbul, qui génère 31 % de la richesse du pays, est le cœur de ce poumon économique. A l’est, le pays rural, et son agriculture qui fait vivre près de 31 millions de personnes.
La Turquie possède aujourd’hui un tissu d’entrepreneurs et de chefs d’entreprises dense. « Plus de neuf entreprises sur dix sont des entreprises familiales » estime l’ICDM. Une donnée à prendre en compte pour les PME et ETI qui aborde ce pays, en quête de débouchés ou de fournisseurs.
Il existe ce socle formé de grandes familles (dont les groupes se retrouvent au sein de la TÜSIAD, le « grand patronat » turc) concentré surtout à Istanbul, une « élite » réputée ouverte au monde. Les plus anciennes holdings familiales, créées dans les années 20 à l’instar de Koç Holding (9 % du PIB turc !) et Sabanci Holding, ont développé leurs activité dans l’industrie, la banque, la construction, le commerce-distribution. Elles ont été rejointes par d’autres conglomérats comme Eczacibasi, Dogus, Dogan, Andadolu, Enka…
Mais il existe aussi un tissu de nouveaux entrepreneurs, empreints de valeurs islamiques, surnommés les « calvinistes musulmans », qui ont fleuri avec l’expansion industrielle (électroménager, agroalimentaire, matériaux de construction) des grandes villes secondaires d’Anatolie, avec de nombreuses PME. Typiquement, ils forment les gros des troupes de fédérations telles que la TUKSON ou la MÜSIAD et sont réputés plus conservateurs.
Toutefois, l’Etat turc conserve une forte tradition interventionniste et centralisatrice, qui n’a pas faibli sous le régime autoritaire et islamo-conservateur du président Erdogan. C’est lui qui a impulsé la réforme du code du Commerce en 2012 et libéralisé l’économie ces vingt dernières années, il est vrai, à l’époque, stimulé par la perspective d’une adhésion à l’Union européenne. Aujourd’hui fermée, cette dernière perspective a été remplacée par une autre : devenir une puissance régionale, rayonnant d’Asie centrale en Afrique, en passant par le Moyen-Orient. A suivre…
Christine Gilguy
* L’étude pays sur la Turquie est disponible auprès de l’ICDM. Site Internet : icdm-countryreports.com / Contact : [email protected]