Industriel français spécialisé dans la conception et la fabrication d’équipements et systèmes de pesage, dosage et autres mesures, Precia Molen réalise un chiffre d’affaires consolidé de 158 millions d’euros, dont la moitié à l’international, grâce à un réseau de filiales et de neuf usines. Il vient d’annoncer un renforcement de sa présence en Afrique de l’Ouest grâce à l’acquisition de la totalité du capital de son partenaire et distributeur Capi Côte d’Ivoire, dont le fondateur reste toutefois aux manettes. Une occasion de faire le point sur la stratégie de développement à l’international de cette ETI familiale installée depuis 1951 à Privas, en Ardèche, cotée en bourse mais dont la deuxième génération est aux manettes (55 % des droits de vote) au travers de la fille du fondateur, Anne-Marie Escharavil, présidente du conseil de surveillance. Le président du directoire de Precia SA, Frédéric Mey, répond aux questions du Moci.
Le Moci. Pourquoi cette décision de vous renforcer en Afrique en rachetant une société partenaire, Capi Côte d’Ivoire, votre distributeur ?
Frédéric Mey. Precia Molen avait racheté 80 % de Capi Côte d’Ivoire en 2017, et nous avons décidé de racheter les 20 % qui restaient parce que l’Afrique est l’une de nos zones prioritaires en termes de d’expansion géographique. Nous nous étions renforcés également en 2022 en rachetant Capi Sénégal, une société qui était initialement dans la même constellation que Capi Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, nous sommes présents en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Sénégal.
Le Moci. Au Burkina Faso, n’est-ce pas compliqué actuellement du fait de la situation politique et sécuritaire ?
Frédéric Mey. Nous avons quand même des équipes qui travaillent sur place, ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir encore au Burkina Faso une société qui fonctionne bien. Bien entendu, nous sommes très vigilants sur les conditions de sécurité et nous ne prendrons pas de risque avec les équipes en place.
Siège de Precia Molen à Privas (DR)
Les chiffres clés de Precia Molen
Date de création : 1951 C.A. consolidé 2022 : 158,313 M EUR (+ 5 %) Part de l’international : environ 50 % Effectif : plus de 1350
L’Afrique est « un marché en pleine croissance »
Le Moci. Qu’est-ce qui vous pousse à vous renforcer en Afrique ? Quels sont les secteurs porteurs pour vos équipements ?
Frédéric Mey. Precia Molen est un groupe qui est mondialement présent de la balance de boucher jusqu’aux très grosses balances industrielles, donc présent sur quasiment tous les secteurs industriels. En Afrique plus spécifiquement, ce qui nous intéresse, ce sont les marchés des produits agricoles, et également les mines et carrières, pour lesquelles nous avons également des solutions. La Côte d’Ivoire est ainsi un gros producteur agricole, notamment de cacao.
Le Moci. Quelles sont les tendances de ce marché ?
Frédéric Mey. C’est un marché en pleine croissance, notamment tout ce qui est mines et carrières. Il y a actuellement de très gros développements dans ce secteur en Afrique, notamment en Afrique de l’ouest.
Afrique de l’Est : « pour l’instant, on gère ce marché depuis Dubaï »
Le Moci. Ces filiales adressent-elles l’ensemble de la sous-région ?
Frédéric Mey. Nous adressons tous les pays de la sous-région jusqu’au Cameroun depuis les filiales en Côte d’Ivoire, Sénégal et Burkina. On a également une filiale au Maroc qui couvre plutôt l’Afrique du Nord.
Le Moci. Avez-vous des visées plus à l’est et au sud du continent ?
Frédéric Mey. Nous regardons ces marchés depuis notre implantation à Dubaï, notamment pour des questions de langues, car ces pays d’Afrique de l’Est sont beaucoup plus anglophones. L’équipe de Dubaï est plus à l’aise dans cet environnement linguistique et nous vendons déjà des équipements en Afrique de l’Est via cette implantation à Dubaï. Ce qui ne veut pas dire qu’un jour, on ne cherchera pas une implantation en Afrique de l’Est, mais pour l’instant, on gère ce marché depuis Dubaï.
Un robot Precia Molen (DR)
Le Moci. Vos équipements sont délicats à manier et à maintenir. Comment assurez-vous la maintenance dans ces zones de l’Afrique ?
Frédéric Mey. D’une manière générale, il y a trois schémas possibles. Dans les pays où nous avons une implantation locale, c’est elle qui assure le service, et nous avons donc une grosse activité de service dans nos filiales. Sinon il y a deux autres schémas possibles : soit nous envoyons, dans certains cas, des experts de filiales proches, par exemple d’Afrique de l’Ouest, et parfois, des experts de France ; soit nous avons des accords avec des entreprises locales à qui nous sous-traitons le service de maintenance.
« Le plus important succès
du groupe à l’international, c’est l’Inde »
Le Moci. Votre internationalisation s’est accélérée à partir de la fin des années 2000. Depuis, constamment, vous avez accru votre présence en rachetant des sociétés ou en créant des filiales. Concernant l’Afrique, quelle a été le facteur qui a déclenché la décision de s’y renforcer ?
Frédéric Mey. La stratégie du groupe est assez simple. Souvent, Precia commence par être présent avec de l’export depuis la France et lorsque ce flux est suffisamment important, nous essayons de monter une filiale, si possible par l’acquisition d’une société locale, pour assurer plus de services. L’étape d’après, quand nous pensons que le marché est dynamique, c’est d’avoir une base industrielle locale. Nous sommes en train de regarder cette option en Afrique. En résumé, il y a trois étapes successives : d’abord l’export depuis la France ou bien via un distributeur, puis la création ou l’acquisition d’une structure sur place, et enfin le développement d’une production locale d’une partie de nos produits. En Afrique de l’Ouest, nous sommes véritablement entre la deuxième et la troisième phase.
Le Moci. Vous avez neuf usines dans le monde, quelles sont les pays ou les zones où vous avez vraiment été jusqu’au bout de cette stratégie ?
Frédéric Mey. La zone qui constitue le plus important succès du groupe à l’international, c’est l’Inde, où nous avons trois usines et 4 ou 5 bureaux. Nous avons véritablement un dispositif complet en Inde, qui permet de faire de la production, de la vente et du service. C’est également le cas en Irlande, aux Pays-Bas, au Maroc.
« Avec l’augmentation des coûts de transport dans le monde, nous avons intérêt à avoir des bases de production locales »
Le Moci. Ces dispositifs vous permettent-ils de faire de la réexportation dans d’autres pays ?
Frédéric Mey. Oui, nous avons une vision régionale des choses. Nous considérons que de toute façon, avec l’augmentation des coûts de transport dans le monde, nous avons intérêt à avoir des bases de production locales qui puissent avoir un rayonnement régional et servir ces marchés. Dans les instruments de mesures, il y a des parties plus ou moins complexes : les plus complexes restent produites en France et sont exportées, les parties moins complexes, qui sont souvent les plus lourdes et les plus difficiles à transporter, peuvent être produites localement pour servir un marché régional.
Le Moci. L’international représente déjà 50 % du CA de votre groupe. Cette part est-elle appelée à encore augmenter ?
Frédéric Mey. Je vais vous répondre indirectement. Aujourd’hui, sur le marché français, nous avons une part de marché très importante qui laisse peu de place à la possibilité de croître encore. L’activité française va avoir une croissance proportionnelle à la croissance de ce marché, qui est mature, et elle sera modeste. En France, le groupe pourrait encore trouver des relais de croissance dans des activités connexes au pesage, comme la métrologie légale par exemple, qui demande des certifications régulières. Mais la stratégie du groupe Precia étant de continuer à faire de la croissance, celle-ci se fera principalement à l’international. Et donc, nous continuons à regarder les opportunités d’acquisitions. En moyenne, le groupe a dû en faire trois à quatre par an ces dernières années, et nous allons continuer.
Le Moci. En dehors de l’Afrique, quelles sont vos zones d’expansion ? Plus à l’est de l’Asie ?
Frédéric Mey. Nous avons une implantation en Malaisie destinée à servir l’Asie du Sud-Est que l’on cherche à développer. Et, à l’Ouest, sur le continent américain, nous avons des perspectives intéressantes avec deux filiales au Brésil et aux États-Unis qui sont en pleine expansion.
Le Moci. Portées par le secteur agricole dans ces deux pays ?
Frédéric Mey. C’est exclusivement de l’agricole. La filiale au Brésil, créée en 2011, est spécialisée sur le marché du grain, comme celle des États-Unis.
La crise sanitaire n’a eu aucun impact « grâce à notre implantation géographique très variée »
Le Moci. La crise sanitaire est largement derrière nous mais comment avez-vous été impacté ?
Frédéric Mey. Quand vous regardez les chiffres du groupe Precia, il n’y a eu quasiment aucun impact. C’est justement grâce à notre implantation géographique très variée car les pays ont été touchés différemment par la crise sanitaire. Quand certains pays comme l’Australie et la Nouvelle Zélande étaient fermés et souffraient, d’autres continuaient à se développer comme l’Inde, notamment, qui a beaucoup compensé le reste du périmètre. De la même façon, l’Afrique a été relativement peu impactée, du point de vue économique par la crise Covid.
C’est la force du groupe : comme il est très diversifié géographiquement, très diversifié également sur les secteurs qu’il adresse, il obtient une stabilité du résultat qui est intéressante.
Le Moci. Avez-vous toutefois été impacté, comme beaucoup d’industriels, par les perturbations des supply chain ?
Frédéric Mey. En effet. Nous l’avons d’ailleurs mentionné dans notre dernier communiqué sur les chiffres financiers de 2022. Nous avons beaucoup de commandes et nous avons eu du retard pour les honorer en raison des difficultés d’approvisionnement en composants électroniques, dont les livraisons ont été très erratiques en 2021 et 2022. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux.
« Nous n’exportons plus rien en Russie »
Le Moci. Et êtes-vous touchés d’une manière ou d’une autre par la guerre en Ukraine ?
Frédéric Mey. Nous avons toujours une filiale en Ukraine, à Kiev, qui n’a plus d’activité pour le moment. Et nous avons une filiale en Lituanie, Milviteka, très active sur le grain et dont les principaux marchés étaient la Russie et l’Ukraine. Elle a donc été impactée, d’autant que nous respectons les embargos européens et que nous n’exportons plus rien en Russie.
Le Moci. Ne craignez-vous pas que durant cette période de sanction, les marchés soient pris par d’autres ?
Frédéric Mey. C’est possible et même probable. J’ai l’impression que nos concurrents européens et américains respectent les mêmes sanctions que nous mais d’autres peuvent en effet en profiter. Cela étant dit, nous ne nous sommes même pas poser la question, nous avons appliqué les sanctions.
Le Moci. Pour l’Ukraine on parle déjà de reconstruction : espérez-vous que le marché reparte ?
Frédéric Mey. Bien sûr nous espérons que les Ukrainiens pourront reconstruire leurs infrastructures d’exportation de grains. Mais nous ne pouvons pas complètement nous réjouir car si l’on parle de reconstruction, cela signifie qu’il y a eu des destructions.
« Comme Precia est connu pour racheter des entreprises, nous sommes très sollicités » »
Le Moci. Precia Molen est une ETI familiale qui a aujourd’hui une taille non négligeable à l’international. Comment êtes-vous organisé pour gérer ces filiales et ces usines ? Avec un management plutôt centralisé ou décentralisé ?
Frédéric Mey. C’est un mix entre les deux, un modèle plutôt classique. Nous avons un réseau de filiales assez indépendantes car dans ces sociétés il y a souvent des actionnaires minoritaires. C’est un choix stratégique du groupe que d’avoir des minoritaires impliqués dans la gestion, donc dans les résultats des filiales. En même temps, nous centralisons un certain nombre de fonctions dont la R & D et le développement de produits. Nous avons donc une équipe Corporate classique, qui veille au respect d’un certain nombre de normes, fait de la R&D et du développement de produits, gère les sujets qualité et réglementaires. En revanche, pour les filiales, l’approche est très locale, les dirigeants gèrent les ventes, leur centre de profit, sont responsables de leur P&L [profit and loss].
Le Moci. On imagine assez bien que cela leur convient d’avoir un partenaire industriel qui est également un groupe familial, avec un état d’esprit qui est proche du leur…
Frédéric Mey. Exactement. En fait, c’est d’autant plus facile quand les partenaires sont des familles, car ce sont des relations de famille à famille, ils ont le même ADN.
Le Moci. Avec une vision à long terme…
Frédéric Mey. A très long terme même, puisque c’est la volonté de la famille Escharavil et c’est celle des familles des partenaires de transmettre l’entreprise de génération en génération. Il faut donc que celle-ci soit pérenne.
Le Moci. Avez-vous d’autres cibles d’expansion hors de France ?
Frédéric Mey. Oui, nous regardons toujours des cibles identiques : des entreprises qui font quelques millions de chiffre d’affaires et emploient quelques dizaines à une centaine d’employés. Comme Precia est connu pour racheter des entreprises, nous sommes très sollicités. Chaque fois que les banques d’affaires ont un dossier d’entreprises dans le secteur du pesage, elles nous communiquent le dossier. Nous en recevons donc un à peu près tous les mois ou tous les deux mois, exclusivement des entreprises à l’étranger.
Dans ce domaine, notre stratégie est très claire : nous ne faisons une acquisition que si elle colle à la stratégie du groupe, si le prix est conforme au marché et si nous sommes convaincus que nous pourrons intégrer la société au groupe Precia.