Alors que le nouveau locataire de la Maison Blanche a maintes fois brandi la menace d’une hausse des droits de douane pendant sa campagne, il n’a (pour l’instant) pris aucun décret en ce sens laissant ses partenaires commerciaux dans le flou. En réponse, l’Union européenne se prépare elle aussi à imposer des surtaxes sur les importations américaines en guise de riposte. La France y est favorable. Mais ces contre-sanctions pourraient s’avérer une arme à double tranchant.
« L’Europe ne doit pas se laisser faire », a déclaré le ministre en charge du Commerce extérieur Laurent Saint Martin à l’antenne de RTL le 23 janvier. La solution ? Mettre en place « des mesures de rétorsion », à savoir des surtaxes douanières, en réponse aux fortes hausses de droits de douane promises par Donald Trump. Pour l’ancien directeur de Business France, s’il n’a toujours pas, quatre jours après son investiture, pris de décret en ce sens, c’est qu’augmenter les tariffs sur les importations européennes constituerait « d’abord une mauvaise nouvelle pour les Etats-Unis » car « cela créerait un effet inflationniste ».
Toujours est-il que la fixation du président américain sur ces questions douanières concerne d’abord la Chine, dont les importations seraient surtaxées de 10 % et ses voisins canadien et mexicain (+ 25 %). Mais deux jours avant la prise de parole de Laurent Saint Martin, il rappelait néanmoins que les pays européens étaient également « bons pour les droits de douane », qualifiant au passage l’Union européenne de « petite Chine ». Cette bouffée de protectionnisme se justifierait, selon l’argumentaire trumpiste, par la lutte contre les importations depuis ces pays de fentanyl et de ses composants, un puissant opiacé responsable d’une grave crise sanitaire aux Etats-Unis.
L’UE, deuxième déficit commercial des Etats-Unis après la Chine
Mais elle permettrait également de « make America great again » en réduisant son déficit commercial, notamment vis-à-vis de la Chine, bête noire de la politique commerciale de Washington, et en incitant fortement les entreprises étrangères à produire sur place plutôt qu’à exporter. Ces mesures permettraient également de mettre la pression sur l’Union européenne, qui représente son deuxième plus gros déficit commercial (214 milliards de dollars) après la Chine (270Md EUR). Et sur ses réglementations encadrant les activités des géants de la tech américaine, mises en place ces dernières années par la Commission pour contrer leur domination sur le marché européen, à l’instar du Digital Markets Act (DMA) et du Digital Services Act (DSA).
Ursula von der Leyen a résumé la réaction européenne en une phrase dans une déclaration en visioconférence diffusée au Forum économique de Davos, le 21 janvier : « Nous nous montrerons pragmatiques, mais nous ne renoncerons pas à nos principes ». Fait intéressant : la présidente de la Commission n’a évoqué qu’une fois les Etats-Unis dans son discours, préférant insister sur la nécessité de « tendre la main » à la Chine et « approfondir » sa relation avec Pékin. « Il est temps de rééquilibrer notre relation avec la Chine, dans un esprit d’équité et de réciprocité », a-t-elle estimé.
Contre-sanctions et diversification des partenariats commerciaux
La veille le commissaire européen à l’Economie Valdis Dombrovskis allait dans le même sens en déclarant que l’Union européenne était « prête à défendre ses intérêts économiques » si nécessaire, mais aussi « travailler sur la résilience de son économie » en « diversifiant » ses accords commerciaux. Bruxelles a d’ailleurs annoncé le 17 janvier le renforcement de son partenariat commercial avec le Mexique. Et malgré les réticences d’une partie des pays de l’Union, cette dernière pousse à la conclusion définitive d’un accord de libre-échange avec le Mercosur, qui regroupe l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie.
L’Europe se trouve donc aujourd’hui dans une position d’équilibriste, tiraillée par la nécessité de « ne pas se laisser faire » et celle de maintenir des flux commerciaux avec son premier marché hors de ses frontières (plus de 500 Md EUR en 2023) qui demeure crucial pour des secteurs comme l’automobile et l’agroalimentaire. Des mesures de rétorsion pourraient s’avérer contre-productives pour l’économie du Vieux continent.
Des mesures de rétorsion contre-productives ?
Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asteres, a ainsi déclaré à 20Minutes que « quel que soit le pays en face et ses droits de douane, aussi offensives soit la nation »adverse », on ne sort pas vainqueur en augmentant nos droits de douane. C’est de l’ego plus qu’un bon calcul. » En effet l’excédent commercial de l’Union européenne n’a beau atteindre « que » 20,9 Md EUR, les Vingt-Sept n’en vendent pas moins 157 Md EUR de plus de biens qu’ils n’en achètent aux Etats-Unis.
Le brouillard douanier dans lequel se trouvent pour l’instant les Vingt-Sept devrait bientôt se dissiper, les fameux décrets sur les droits de douane étant attendus le 1er février. En attendant, Laurent Saint Martin a appelé a appelé le 22 janvier sur France Inter à appeler à « une forme de sérénité, mais un regard combatif, c’est-à-dire une prise de conscience que l’Europe doit s’unir pour pouvoir être plus forte, plus puissante et s’affirmer comme puissance économique, ce qu’elle est ». « Moi d’abord, je veux que l’élection de Donald Trump soit un réveil, voire un coup de pied au derrière pour l’Europe dans sa globalité », a-t-il ajouté.
Sophie Creusillet
Cet article vous a intéressé ?
Mettez-vous en veille, recevez gratuitement la newsletter hebdomadaire du Moci, L’Info Export, diffusée chaque jeudi. Pour s’inscrire, cliquez ICI.