Treefrog Therapeutics, jeune pousse bordelaise spécialisée dans la production industrielle de cellules souches, ouvre son nouveau laboratoire en septembre à Cambridge, près de Boston, dans la ville américaine considérée comme la Mecque des biotech de la santé. Le but de cette startup se résume dans son slogan : « la thérapie cellulaire pour tous ». Autrement dit, dans le pays qui concentre 75 % des investissements mondiaux dans la thérapie cellulaire, elle veut accélérer l’industrialisation de son innovation.
Treefrog Therapeutics, startup bordelaise créée en 2018 a pour ambition de rendre accessible à tous la thérapie cellulaire. Grâce à une levée de fonds de 64 millions d’euros réalisée en septembre 2021, elle se lance dans l’aventure américaine avec l’ouverture en septembre d’un nouveau laboratoire à Cambridge, près de Boston, qui abrite la plus forte concentration de biotech dans le domaine des sciences de la vie au monde.
La thérapie cellulaire, une technologie d’avenir
Pour comprendre l’ambition de Treefrog Therapeutics dans ce projet américain, un petit retour en arrière s’impose pour comprendre l’innovation qu’elle apporte sur ce marché d’avenir qu’est la thérapie cellulaire.
Qu’est-ce que cette thérapie ? Cela consiste, à partir de cellules souches, à reproduire des cellules pour les greffer dans le corps humain afin de restaurer la fonction d’un tissu ou d’un organe. Le but est de soigner durablement un patient grâce à une injection de cellules thérapeutiques. Un principe pas révolutionnaire en soi, avec l’exemple de la transfusion sanguine qui date du 17e siècle. Les avancées dans ce domaine se situent aujourd’hui dans les traitements du diabète, des maladies dégénératives ou encore des cancers.
Treefrog a développé une technologie baptisée C-Stem, capable d’encapsuler les cellules et de les protéger pendant la phase de reproduction, en vue d’une production en masse. Une fois protégées par une capsule, les cellules sont mises dans un bioréacteur (voir photo ci-dessous) qui les multiplie et les différencie dans le type cellulaire souhaité.

« L’idée de départ m’est venue assez rapidement, en master, il y a 14 ans. Je me suis aperçu que les cellules n’étaient cultivées qu’en boite de pétri. J’ai souhaité faire des capsules de cellules », raconte Kevin Alessandri, co-fondateur et directeur technique opérationnel (CTO) de la startup, au Moci. Et d’ajouter : « quand on souhaite faire pousser des cellules en grande quantité, c’est plus intéressant de les protéger et donc de faire une capsule autour pour ne pas les abîmer ».
Jusqu’à présent, lorsque l’on faisait pousser des neurones dans des boites de pétri, on « cassait » les neurites. Avec la technologie inventée par Treefrog, en créant des boules de neurones, plus besoin de les séparer pour les implanter. On parle désormais de nouveaux produits qui n’étaient pas possibles avant.
Mais entre l’idée de départ et y arriver, le scientifique y a consacré plus d’une dizaine d’années. Une rencontre avec Maxime Feyeux, biologiste, auteur d’une thèse sur les cellules souches pluripotentes à l’Université de Genève en 2013 a tout fait basculé. Entre les 2 normaliens qui ont fait des thèses dans des disciplines différentes, ça « matche ».
Une solution d’encapsulation
« J’ai rencontré Max qui souhaitait produire de façon plus industrielle ces fameuses cellules souches. J’avais trouvé un système d’encapsulage qui marchait pas trop mal de mon côté mais je ne savais pas trop quoi en faire. Quand on a commencé à travailler ensemble, on a donc encapsulé des cellules souches. Ça a tout de suite marché », explique Kévin Alessandri.
Fin 2013-début 2014, les cellules arrivent à se multiplier dans des conditions proches du corps humain, grâce à l’encapsulage. Et comme aime le rappeler le responsable technique opérationnel, « dans notre domaine quand ça marche tout de suite, c’est un signe, car généralement, ça ne marche pas. On a besoin d’un temps de recherche ».
Huit ans de développement, et l’impératif d’industrialisation
Mais il leur faut encore 8 années supplémentaires pour se rapatrier dans un laboratoire en France, créer une entreprise et développer la technologie. Aujourd’hui, l’entreprise emploie 90 salariés.
« Quand on regardait des projets longs courts industriels avec des bases technologiques très fortes, la France est un bon pays qui soutient très bien dans toutes les phases préparatoires puis dans le déploiement jusqu’à l’ouverture de l’entreprise », explique le physicien, en martelant que c’était un vrai choix de s’implanter en France à Pessac, près de Bordeaux, puisqu’ils étaient également dans un incubateur situé à San Diego, aux Etats-Unis et qu’ils avaient la possibilité de s’exiler à ce moment-là.
Très rapidement, ils réfléchissent à un axe industriel à leur innovation, principale source de difficultés : « il faut cultiver des cellules à des échelles complètement différentes de celle d’un laboratoire et dans des conditions de qualité complètement différentes », ajoute Kévin Alessandri.
Des projets en cours
« Je pense qu’on est la seule entreprise au monde à avoir réussi à industrialiser la thérapie cellulaire pour pouvoir faire des versions commerciales », se félicite-t-il. « Nous avons un produit pour la maladie de Parkinson et nous sommes entrain de développer des partenariats pour d’autres produits ».
Pour Parkinson, dont l’objectif est de lancer un premier essai clinique d’ici 2024, la startup gère tout de A à Z et souhaite aller jusque chez le patient. Cela lui permet d’avoir un retour d’expérience sur la qualité des cellules. Le seul moyen aujourd’hui pour la jeune pousse d’avoir un retour du règlementaire.
L’entreprise songe également à des partenariats. « C’est un monde extrêmement nouveau. Quand une entreprise fait un deal de codéveloppement, elle ne souhaite pas juste le brevet. Elle souhaite les gens qui ont développé le brevet, savent l’utiliser et avoir accès à la ressource. Ici, la ressource première ce sont les gens », insiste le co-fondateur.
« Et c’est ce que viennent chercher les nouveaux partenaires. La capacité de produire à une échelle commerciale avec une qualité qui garantie la sécurité des produits et d’en faire des nouveaux produits », s’enthousiasme le chercheur.
Lever des fonds pour accélérer
Tous ces efforts payent. Mi-juin 2022, Treefrog s’est associé à Umoja Biopharma, entreprise américaine spécialisée dans l’immuno-oncologie, notamment pour le traitement de tumeurs hématologiques et solides.
« Notre but sera de monter des partenariats avec tout ce que cela entraîne de complexité. Ce sont déjà des domaines nouveaux et nous apportons en plus une rupture technologique. Il va falloir que l’on arrive à avoir de l’adoption », explique le chercheur.
Or, certains des concurrents de la startup française ne jouent pas dans la même cour et sont financés à hauteur du milliard de dollars, soit dix fois plus, regrette ce dernier. Pour exemple, la biotech allemande Saya a réussi une levée de fonds d’1,3 milliards de dollars.
« Ce que je trouve particulièrement intéressant aux États-Unis est leur mentalité. S’ils considèrent que c’est un savoir important et que la technologie marche alors ils sont prêts à dépenser énormément d’argent et ne craignent pas d’investir. On parle de prise et de conquête d’un marché, en pleine crise des biotech », précise le scientifique. Selon lui, en France, et plus généralement en Europe, il est plus difficile re ramener autant d’argent, d’être aussi efficace à avancer rapidement sur une technologie.
Et pour faire partager sa propre technologie au plus grand nombre, Treefrog a levé 64 millions d’euros en septembre 2021, deux ans après un premier tour de table de 6,5 millions d’euros, mené par Bpifrance, accompagné du fonds d’investissement américain Leonard Green & Partners (plus de 65 milliards d’actifs en portefeuille) et du groupe pharmaceutique américain Bristol Myers Squibb. Une bonne partie de l’argent frais va servir à créer la première filiale aux Etats-Unis.

Une petite part de cet argent frais va être utilisé pour de nouveaux locaux. Treefrog a annoncé début décembre avoir investi 3,5 millions d’euros dans le doublement de la surface de salles blanches pour environ 300 mètres carrés et la construction d’un nouveau bâtiment de 900 mètres carrés, toujours à Pessac.
L’entreprise se donne un point d’honneur de garder toute la partie technologique en Europe en raison du nombre élevé de ressources humaines hautement qualifiées disponible dans le vieux continent. « Certains laboratoires d’Harvard sont vidées de leurs cerveaux et sont recrutés par les grands groupes pharmaceutiques », explique Kévin Alessandri.
Première entreprise française à être acceptée dans l’incubateur Lab Central
Dans cette stratégie, les États-Unis étaient un passage obligé. « L’attraction pour ce genre de technologie est très forte sur ce marché. Environ 75 % des investissements dans les thérapies cellulaires se font là-bas », détaille le dirigeant, qui va prendre la tête de la filiale. Et d’ajouter : « c’est donc indispensable d’aller aux États-Unis si on veut déployer notre technologie ».
Le laboratoire servira également de showroom. « Nous sommes la première entreprise française à être acceptée à Lab Central », souligne Kévin Alessandri. Situé sur le campus de l’Université de Harvard, cet incubateur regroupe environ 125 biotech, comprenant plus de 1 000 scientifiques, au cœur de Kendall Square. D’ici décembre, une dizaine de personnes travailleront dans ce laboratoire d’une surface de 150 m2. « Il pourra accueillir jusqu’à une vingtaine de laborantins », indique ce dernier.
Pour l’heure, Treefrog a signé un bail de deux ans. « Soit on a réussi, et on a quadruplé nos effectifs, donc il faudra déménager. Soit on a raté et il faudra partir parce qu’on a plus de financement ! », plaisante le responsable États-Unis.
Le chiffre d’affaires aux États-Unis de Treefrog est « marginal ». Une fois que des produits seront commercialisés, alors ce sera « intéressant ». « N’importe quel produit dans la thérapie cellulaire qui dépasse une phase 1 vaut plus d’un milliard de dollars », souligne Kévin Alessandri.
Nous n’en saurons pas plus sur l’état d’avancement du ou des produits d’immuno-oncologie, sur lesquels travaillent actuellement Treefrog et Umoja. « Ce que nous pouvons dire est que nous travaillons à la production industrielle d’immunothérapies cellulaires, issues d’IPSC modifiées génétiquement avec la plateforme RACR/CAR d’Umoja », conclut ce dernier. L’objectif, on l’aura compris, est d’aller en phase clinique très rapidement, avec un produit commercial qui puisse être déployé sur des dizaines de milliers de patients ou plus par jour.
Claire Pham