Le spécialiste des véhicules de levage électriques tisse sa toile à l’international grâce à une stratégie de développement mêlant des contrats passés en direct et des licences de production en Australie, à Singapour et au Qatar. L’entreprise, qui vient de signer une importante commande pour Amazon, cherche actuellement des partenaires pour produire ses véhicules aux États-Unis.
« Lorsque nous avons répondu à l’appel d’offre en février 2022, on pensait qu’ils allaient privilégier les acteurs locaux qui produisent sur place. Nous visions 80 véhicules autonomes et nous allons finalement en fournir plus de 300 ». Un an plus tard Christophe Gaussin, P-dg du groupe éponyme, n’en revient toujours pas : sur un marché réputé aussi concurrentiel que protectionniste, sa société a remporté en décembre dernier un appel d’offre d’Amazon pour des véhicules électriques et autonomes destinés à ses centres logistiques américains.
Si le Petit Poucet français des équipements de levage a retenu l’attention du géant de l’e-commerce, c’est grâce en partie à sa réputation internationale dans les engins de transport et de levage, ainsi que dans ses deux autres activités, le portuaire et le souterrain.
Au total, Gaussin, créée par l’arrière-arrière-grand-père de l’actuel dirigeant, revendique 50 000 véhicules dispersés partout dans le monde et dispose de sérieuses références à l’international : le port de Singapour (2019), celui du Qatar (2020), le terminal portuaire d’Abidjan en (2021), les engins pour le métro de la cité Etat asiatique. Plus récemment, le métro de Sydney soit recevoir ses premiers engins souterrains électriques d’ici la fin de cette année.
Le modèle des licences de production, un argument phare à l’international
Mais un autre argument a pesé en la faveur de cette ETI de Saône-et-Loire. Son modèle de développement à l’international repose en effet sur une stratégie à double levier mixant des ventes directes, comme ce fut le cas pour le porte d’Abidjan, et des licences de production sur place, comme l’entreprise le pratique au Qatar, à Singapour et en Australie.
« Il y a des marchés comme Singapour qui nous échapperaient si nous ne fabriquions pas localement », constate le dirigeant qui projette, à terme, de produire aux États-Unis.
Jouer la carte de la production en partenariat avec des partenaires locaux qui reversent des royalties a de quoi séduire à l’heure où la réindustrialisation et la décarbonation sont sur toutes les lèvres…. En 2022, les licences n’ont cependant rapporté que 300 000 euros pour un chiffre d’affaires global de 57,3 millions d’euros (M EUR), en progression de 8,6 % par rapport à 2021. Mais ce n’est qu’un début.
Le contre-exemple canadien
« C’est le temps du déploiement, tempère ainsi Jean-Claude Bailly, vice-président de Gaussin. Notre carnet de commandes a augmenté de 68 % à 130 millions d’euros hors royalties, dont 110 livrables en 2023. »
Si ce système de licences est appelé à se développer, il ne va pas toujours sans accroc. En témoigne, la volte-face de Charbone Hydrogen, groupe canadien spécialiste de l’hydrogène, une source d’alimentation que peuvent proposer également les véhicules Gaussin.
En mai dernier, l’entreprise avait annoncé un accord exclusif d’une durée de 20 ans avec Charbone portant sur l’assemblage local et la commercialisation de véhicules au Canada. En octobre, le groupe canadien a dénoncé l’accord sans concertation, conduisant Gaussin à initier une procédure d’arbitrage pour réclamer 14,1 millions de dollars canadiens de dédommagement (plus intérêts et frais). Affaire à suivre… Mais les ambitions actuelles de l’entreprises en Amérique du Nord se focalisent sur les États-Unis, où elle dispose d’un bureau de représentation.
« Nous sommes en discussion avec des compagnies comme Coca Cola ou Walmart », se réjouit Christophe Gaussin qui n’en est pas à son premier « coup » au pays de l’Oncle Sam. En 2021, Plug Power a fait l’acquisition de 20 tracteurs logistiques à hydrogène de la marque pour les déployer chez ses clients en Amérique du Nord. Ce spécialiste américain des piles à combustibles n’est d’ailleurs autre… qu’une filiale d’Amazon.
L’hydrogène, prochain virage technologique
Après avoir misé sur le tout électrique, une orientation prise il y a plus de dix ans, l’entreprise développe depuis 2020 l’hydrogène, une énergie qui a actuellement le vent en poupe.
Gaussin a ainsi annoncé en 2021 un investissement de 1,7 M EUR sur son site d’Héricourt pour développer son projet NewLine, visant à produire des véhicules à hydrogène en série et à moderniser les lignes de production des véhicules à batteries. L’Investissement est financé à 56 % par l’Etat, via le fonds de modernisation de la filière automobile. Pour ce faire, Gaussin a noué à l’automne 2022 un partenariat avec le fabricant de piles à combustible Symbio, la PME issu de Michelin et Faurecia.
Hydrogène (le nouvel or vert), véhicules autonomes (particulièrement appréciés en cette période de pénurie de chauffeurs), temps de charges réduits (30 mn, soit beaucoup moins que la concurrence), résistance à des conditions climatiques extrêmes… Les avantages comparatifs des véhicules, boostés par l’innovation, sont au cœur de la stratégie de développement international de cette péite industrielle depuis une quinzaine d’années.
Alors qu’à la fin des années 1990, Gaussin est leader en France des remorques industrielles et automotrices sur mesure, elle frôle le dépôt de bilan en 2001 après avoir repris une partie des activités d’Alstom Belfort et s’être lancée dans la construction de trains d’approvisionnement pour le tunnelier de l’A86, en région parisienne. Cet échec conduit Christophe Gaussin à concentrer l’activité sur des véhicules high-tech. Son entrée en bourse en 2010 lui permet de financer son développement sur les marchés étrangers.
Deux sites de production en France
Cette orientation stratégique à l’export et le modèles des licences n’empêchent pas l’entreprise d’investir dans l’outil industriel en France. En 2020, elle rachète Metalliance, PME de Saint-Vallier spécialisée dans les équipements industriels et les engins mobiles, qu’elle dote en 2021 de deux lignes d’assemblage de véhicules électriques pour la logistique et le portuaire. Pour ce faire, elle investit les anciens bâtiments de Konecranes, fabricant finlandais de matériel de levage et de manutention, situés à proximité de ceux de Metalliance.
Cet ancrage industriel sur le territoire français, en complément de la production à l’étranger via des licences, fait également partie de la stratégie de développement à l’international de Gaussin. En musclant ses capacités de productions dans la Drôme, l’entreprise entend en effet y produire des véhicules pour ses clients du commerce de détail et de l’e-commerce en Europe. Avant que ne soit lancée la production sur place, les engins destinés à Amazon seront également construits à Saint-Vallier. Au total, la moitié du carnet de commande de 2023 sera fabriquée en France.
Une organisation qui permet à Gaussin de satisfaire la commande de ce géant américain en attendant de trouver le bon partenaire pour produire sur place. Un impératif sur le marché américain réputé pour son protectionniste. En témoigne l’Inflation Reduction Act et ses généreuses subventions aux industries vertes réservées aux entreprises de droit américain. Gaussin se renseigne d’ailleurs actuellement auprès de Business France sur la possibilité d’en bénéficier…
Sophie Creusillet