L’édition 2024 du rapport annuel de l’Organisation mondiale du commerce, qui vient de paraître, porte cette année sur l’inclusivité. Chiffres à l’appui, il interroge la relation entre augmentation des échanges mondiaux et enrichissement des pays les plus pauvres au cours des trois dernières décennies. Si les analystes de l’institution concluent à une baisse des inégalités, il reste encore beaucoup à faire.
Mondialisation et inclusivité. Deux mots qui ont l’art de déchaîner les passions, en particulier chez les Français. Selon un sondage réalisé par Opinion Way en 2018, 60 % d’entre eux en ont une perception négative ou très négative et l’associent à la pauvreté, au chômage, aux inégalités et à l’uniformisation culturelle. Si toute le monde s’accorde à conclure à une augmentation du PIB mondial depuis les débuts de la globalisation, il y a trente ans, les gains ont-ils été redistribués ? Ont-ils permis aux pays les plus pauvres de sortir de l’ornière ?
« Le principal message à retenir du rapport est peut-être qu’il réaffirme le rôle transformateur du commerce dans la réduction de la pauvreté et la création d’une prospérité partagée — contrairement à l’idée actuellement en vogue selon laquelle le commerce et les institutions telles que l’OMC n’ont pas été une bonne chose pour la pauvreté, ou pour les pays pauvres, et engendrent un monde plus inégalitaire », estime la directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, dans l’avant-propos de l’étude.
Baisse de l’extrême pauvreté
Selon les données collectées par l’organisation, entre 1995 et 2023, le revenu mondial par habitant a bondi d’environ 65 %, tandis que celui des économies à faible et moyen revenu a augmenté de plus de 50 % et que celle des pays à revenu faible et intermédiaire s’est envolée de 191 %. Dans ces économies la croissance économique a contribué à réduire l’extrême pauvreté de 40,3 % en 1995 à 10,6 % en 2022.
Le commerce entre les économies à revenu faible et/ou moyen ont augmenté, passant de 5 % en 1995 à 19 % du commerce mondial de marchandises en 2021. Les réductions des coûts commerciaux entre 1995 et 2020 ont représenté 5,7 % du PIB réel mondial au cours de cette période.
En revanche, le rapport souligne la persistance, pour nombre de pays à revenu faible ou intermédiaire, de difficultés les empêchant de tirer profit de l’accélération des échanges et de l’accroissement de la richesse mondiale : coûts commerciaux élevés, infrastructures inadéquates, éloignement géographique, problèmes institutionnels, inefficacité des marchés du travail et des capitaux, restrictions à l’investissement direct étranger, capacité limitée à absorber les technologies étrangères.
13 % de la population mondiale ne profitent pas de la mondialisation
Pour mesure la part de ces laissés-pour-compte de la mondialisation, quelle que soit la nature des résistances observées, les économistes de l’OMC ont analysé la relation entre la participation aux échanges et la convergence des revenus au cours du dernier quart de siècle, par groupe de pays. Résultat : une convergence des revenus plus rapide est généralement associée à une plus grande participation aux échanges.
En outre, bien que les deux tiers des économies à revenu faible et intermédiaire aient connu une convergence des revenus entre 1996 et 2021, un tiers n’a pas convergé. Ces économies « divergentes » représentent 13 % de la population mondiale et les plus pauvres sont surreprésentés puisqu’elles sont à revenu faible pour 43 %, devant les groupes moyen inférieur (30 %) et moyen supérieur (27 %).
L’inclusivité ne dépend pas du seul commerce
Il s’agit à 56 % de pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont la plus forte proportion d’économies divergentes (56 %), suivis par l’Afrique subsaharienne (42 %) et l’Amérique latine et des Caraïbes (40 %). Seules l’Asie et l’Europe sont exemptes. La majorité (71 %) des économies divergentes à faible revenu étaient des PMA (pays les moins avancés selon la classification de l’ONU). Mais, sur la période étudiée, tous les pays ayant quitté ce statut appartenaient au groupe convergent (sauf le Vanuatu).
Mais, sur la période étudiée, tous les pays ayant quitté ce statut appartenaient au groupe convergent (sauf le Vanuatu). De même tous les pays adhérant à l’OMC ont vu leur taux de croissance accélérer dans les années suivantes.
« Moins d’échanges ne favorisera pas l’inclusion, et le commerce ne pourra pas non plus promouvoir l’inclusion à lui seul, a résumé l’économiste en chef de l’OMC Ralph Ossa. Une véritable inclusion nécessite une stratégie globale – c’est-à-dire intégrant l’ouverture commerciale et des politiques nationales de soutien ainsi qu’une coopération internationale forte. »
Sophie Creusillet