Contentsquare, licorne de la French Tech vient d’annoncer une levée de fonds de 600 millions de dollars (587 millions d’euros) -400 millions en fonds propre et 200 millions en dette, mené par le fonds d’investissement Sixth Street. Le but est simple : se renforcer aux Etats-Unis et ouvrir de nouveaux marchés en Asie. Entretien exclusif avec Jonathan Cherki, un homme particulièrement pressé, avec un débit de parole mitraillette.
Le Moci : quel est votre parcours ? Et comment on arrive en seulement 10 ans à créer une licorne dans la French Tech avec une 6e levée de fonds de 600 millions de dollars ?
Jonathan Cherki : Je devais en principe rester dans le giron de l’entreprise familiale d’import/export de légumes secs avec mon grand-père, mon père et mon frère. Passionné par les mathématiques et les statistiques, j’ai effectué des études de commerce (à l’Essec ndlr). Et j’ai démarré un projet étudiant qui s’est transformé en projet de vie.
Le Moci : quelle est votre idée de départ ?
J. C. Au départ, il y avait beaucoup de publicité sous forme de bannière sur Internet. Pour autant, il n’y avait pas beaucoup de gens qui cliquaient dessus. Je souhaite comprendre et mesurer l’efficacité des bannières et comprendre l’efficacité entre la publicité et la caisse enregistreuse.
Le Moci : quel est votre constat ?
J. C. Mon résultat est alors sans appel : même si la publicité est géniale mais que le site est ‘pourri’, alors ça ne sert à rien. Ce sont les prémices de la compréhension du parcours utilisateur. Quand tu prends une décision dans ta vie, c’est influencé par plein de critères, notamment le temps de chargement, la loyauté à la marque etc. Tout ça est pris en compte dans la décision d’achat.
Le Moci : est-ce que votre logiciel permet d’améliorer le clic final d’achat ?
J. C. On ne veut pas forcément que l’utilisateur clique mais que son expérience soit réussie, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de problèmes techniques, pas de difficultés de temps de chargement, que les contenus soient engageants, qu’il trouve tout ce qu’il cherche rapidement. Pour ce faire, notre logiciel analyse la manière dont les gens naviguent sur le site suivant leur mouvement de souris, les interactions utilisateurs, tout en respectant la vie privée, qui est un des piliers de notre entreprise.
Le Moci : qu’apporte votre logiciel ?
J. C. Une meilleure analyse du comportement permet de comprendre ce qu’il faut améliorer sur le site. On améliore cela pour les marques. Je me suis entouré alors des bonnes personnes qui ont les compétences techniques pour créer la plateforme d’outils SaaS (Software as a service ou logiciel en tant que service).
Le Moci : comment cela se passe pour le client ?
J. C. Nous mettons à disposition de notre client notre logiciel, on les forme à l’usage et on leur apprend à mieux analyser la performance de leur décision. Derrière, le logiciel prodigue des recommandations d’amélioration continuellement.
Le Moci : possède-t-il les données de ses utilisateurs ?
J. C. Ce sont les données du client qui sont analysées via la plateforme. Et les clients accèdent à la plateforme.
Le Moci : et tout est allé très vite ensuite dans le développement de Contentsquare ?
J. C. Entre 2012 et 2016 : on s’est autofinancé, en passant de 1 à 100 collaborateurs. Fin 2016, on lève 20 millions de dollars et c’est le début de l’aventure américaine. Je pars m’installer à New York en 2017 pour développer les activités américaines.
Le Moci : on arrive à aujourd’hui, et cette 6e levée de fonds de 600 millions de dollars. A quoi va servir l’argent frais ?
J. C. On va utiliser cet argent sur trois domaines. En premier, l’innovation, avec plus d’ingénieurs et plus d’investissement dans l’intelligence artificielle, le renforcement des produits existants et le développement de nouveaux produits.
Aujourd’hui, l’entreprise compte 1 500 collaborateurs dont un peu plus de 430 ingénieurs en recherche & développement et on devrait arriver à 500 d’ici la fin de l’année pour 2 000 collaborateurs. Entre l’année dernière et cette année, on a recruté 700 personnes.
Le Moci : encore plus d’ingénieurs en R&D ?
J. C. Oui, nous voulons aller encore plus loin. On a enrichi les outils avec d’autres dimensions : analyse des erreurs, des temps de chargement, des contenus, du parcours, de l’accessibilité, des contenus, des produits, du prix…
Le Moci : quels sont les nouveaux produits à venir ?
J. C. Nous avons cinq produits aujourd’hui : un sur l’analyse du parcours client, un pour optimiser l’expérience sur application mobile, un pour identifier les erreurs et réduire le temps de chargement, un pour optimiser la performance e-commerce et un pour les recommandations. Et nous allons en lancer trois autres dans les 18 mois.
Le Moci : qui seront de quels types ?
J. C. Je ne peux pas vous en dire plus mais on reste concentré sur l’analytics pour avoir une meilleure compréhension du comportement de l’utilisateur.
Le Moci : vous parlez de croissance organique avec beaucoup de recrutements. Vous avez acheté ces trois dernières années six entreprises. La levée de fonds va-t-elle également servir à aller plus loin dans la croissance externe ?
J. C. Oui, on va continuer sur cette lancée à un rythme soutenu, avec deux entreprises par an. Le tout pour apporter plus de valeur et de technologie. Les critères sont la technologie et l’expertise des personnes, avec une volonté de développer un projet commun. C’est ça qui fait de la valeur.
(Ndlr : en 2019, Contentsquare a racheté son concurrent israélien Clicktale. En 2020, elle prend le contrôle des startups Dareboost et Adaptemonweb. En 2021, c’est au tour d’Upstride et du concurrent maltais Hotjar d’entrer dans le giron de la licorne).
« On va viser les secteurs les plus matures »
Le Moci : il vous reste encore des concurrents sur le marché à avaler ?
J. C. On regarde aussi des adjacents technologiques, avec des activités complémentaires. Il existe pleins d’entreprises de ce type qu’on a dans le radar. On explore et on est très actif.
Le Moci : on parle donc d’internationalisation…
J.C. Oui, l’argent frais va nous servir à renforcer les pays existants, dont la priorité reste les États-Unis, et ouvrir de nouveaux pays, notamment en Asie.
Le Moci : quelle part de marché des États-Unis dans votre chiffre d’affaires ?
J. C. Aujourd’hui, c’est entre 40 à 45 %. Et d’ici 18 mois, cela va représenter plus de 50 % de notre activité.
Le Moci : et l’Asie justement ?
J. C. Pour le moment, on a des bureaux un peu partout : en Australie, Nouvelle-Zélande, Singapour, Japon. On vient de démarrer notre activité dans cette zone et cela représente à peine 5 % de notre activité.
Le Moci : et sur quels secteurs ?
J. C. On va viser les secteurs les plus matures que sont les retailers, la fashion, la banque, la finance, l’assurance, BtoB, automobile, le voyage… On touche tous les secteurs. Il n’y a pas un seul secteur qui n’est pas sur la digitalisation.
On veut également avoir plus d’impact. Cela passe par le sujet du respect de la vie privé, soit une solution sans cookie. Cela passe par développer l’accessibilité numérique. Aujourd’hui, un milliard de personnes sur terre (aveugles, dyslexiques, personnes âgées, malentendants, etc) ne peuvent pas accéder au contenu numérique, 70 % des contenus ne sont pas accessibles. Et on veut rendre le web accessible à tous. L’entreprise a créée il y a trois semaines un plug in pour les dyslexiques leur permettant d’avoir une parfaite utilisation de Google chrome et Microsoft one.
Le Moci : et en matière de développement durable, l’entreprise a-t-elle des objectifs ?
J. C. Exactement, on cherche toujours à améliorer la consommation des sites. C’est-à-dire permettre aux marques de mieux comprendre leurs datas. Moins de temps passé sur les sites entrainent moins de consommation de données et moins de stockages de données et ainsi moins d’impact carbone.
Propos recueillis
par Claire Pham