Startup née globale, et rentable trois ans après sa création ! Laboratoires Kôl, lauréat du palmarès 2023 du Moci dans la catégorie « primo-exportateur », avaient le marché mondial pour horizon dès leur création. Avec leurs médicaments innovants, ils s’attaquent en effet aux maladies rares et orphelines de la cornée, délaissées par l’industrie du secteur.

Sophie Momège n’a pas peur des mots : « nous sommes un laboratoire pharmaceutique en mode startup ». C’est ainsi que cette pharmacienne expérimentée, passée par le laboratoire Théa, aime présenter l’entreprise qu’elle a fondé en 2020 à Clermont Ferrand après 25 ans de carrière dans l’ophtalmologie. L’objectif de Laboratoires Kôl coule de source : développer et commercialiser des médicaments ophtalmologiques destinés à traiter des maladies rares de la cornée, un marché délaissé par l’industrie pharmaceutique.
Une niche, mais quelle niche à l’échelle mondiale ! Depuis la création, la jeune pousse clermontoise enregistre une croissance à trois chiffres, tant en France qu’à l’export, digne des startups de la « tech » les plus prometteuses. Près de 6,2 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022, le double en 2023, dont 10 % à l’international, pour un effectif de 14 personnes.
Des pathologies « sans frontières »
Encore hébergée dans des locaux auvergnats de « Village CA », l’incubateur du Crédit Agricole, Sophie Momège expose avec modestie les fondamentaux de son projet, qui expliquent aussi son succès. « Nos produits ont deux caractéristiques : ils sont connus depuis longtemps mais n’étaient proposés jusqu’à présent qu’en préparation hospitalière et n’avaient fait l’objet d’aucun projet industriel, relate-t-elle. Ils faisaient l’objet de brevets dont nous avons achetés les droits ».
Les molécules en question permettent en effet de traiter des maladies de la cornée graves, pour lesquelles il n’y a pas d’autres alternatives thérapeutiques. Peu de patients en étant atteints -quelques milliers en France suivis par Kôl-, le marché est trop étroit pour intéresser les gros acteurs de la pharma.
Mais « ces pathologies sont sans frontières », de sorte que partout dans le monde, des médecins ophtalmologues sont en quête de solutions pour des patients jusqu’à présent incurables. Ce sont les meilleurs ambassadeurs des produits des laboratoires Kôl.
« Dès la création, nous avons pu commercialiser et aller vite »
Pour Sophie Momège, cette rareté est donc une chance qu’elle n’a pas longtemps hésité à saisir. D’autant plus que connaissant par cœur tous les rouages de l’industrie pharmaceutique, des études pré-cliniques aux procédures d’homologation en passant par l’industrialisation des produits, elle sait que quand un nouveau médicament est efficace pour traiter une maladie orpheline, il peut bénéficier d’une autorisation dérogatoire de la part des autorités de santé dans de nombreux pays, avec en plus une prise en charge à 100 % en France. « Dès la création, nous avons pu commercialiser et aller vite » explique la dirigeante.
Trois après sa création, deux produits sont au catalogue de Laboratoires Kôl : le premier, sur lequel s’est lancée la startup, est un collyre utilisé pour prévenir le rejet de greffe de la cornée. Sophie Momège l’a découvert par hasard, parmi les molécules d’une structure de R&D auprès de laquelle elle effectuait une mission de consultante. Le second, décroché en mai 2023, est le premier collyre à ARN messager mis au point dans le monde : faisant l’objet de brevets mondiaux dont elle a acheté les droits et que Kôl a développé, ce collyre traite une autre maladie rare de la cornée, qui rend aveugle.
La mise en production n’a pas été un frein pour cette spécialiste. Un collyre nécessitant un environnement entièrement stérile, pas question d’investir dans un outil industriel coûteux. « Nous sous traitons à des industriels spécialisés, des CDMO (Contract Development Manufacturing Organisations) » explique la dirigeante. « C’est une pratique très classique dans l’industrie pharmaceutique aujourd’hui. Les études pré-cliniques sont aussi très souvent confiées à des sous-traitants spécialisés ». La fabrication des doses de collyre est donc assurée par un industriel français, Unither.
Premières exportations dès 2021 en Tunisie et au Maroc
Quand on est sur une niche de cette nature, les nouvelles vont vite. Commercialisés en 2020 en France, les premiers collyres des Laboratoires Kôl, uniques au monde, n’ont pas tardé à être sollicités à l’étranger, d’autant plus que la société les a activement fait connaître lors de congrès internationaux d’ophtalmologie. C’est Rudy Marteau, le directeur du développement, qui a épaulé la dirigeante pour gérer cette expansion depuis le début, puis commencé à structurer la stratégie commerciale résolument tournée vers l’international.
Les premiers marchés à s’ouvrir ont été le Maroc et la Tunisie dès 2021, l’accès étant facilité par le fait que les autorités de santé de ces pays suivent généralement les décisions prises par leurs homologues en France pour délivrer des autorisations provisoires. En 2022, la Belgique l’inscrivait dans la liste des traitements médicaux non-couvert. Puis cette année, grâce à un distributeur émirien, se sont ouverts les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït.
L’expansion internationale ne fait que commencer mais Laboratoires Kôl va désormais la gérer à un rythme plus maîtrisé. Car Sophie Momège anticipe déjà le fait qu’il faudra aussi sortir à terme du régime des autorisations provisoires pour obtenir des AMM (autorisations de mise sur le marché) pérennes. Un processus long, qui passera par la réalisation d’études cliniques lourdes et coûteuses.
Prospecter deux pays par an grâce à une assurance prospection
En 2023, la société a obtenu une assurance prospection de Bpifrance de 210 000 euros sur trois ans, adossée à un plan de développement avec des objectifs précis. « Nous allons prospecter deux pays par an » souligne Sophie Momège, avec priorité à l’Europe. Un nouveau succès devrait servir ce déploiement : la société a en effet été sélectionnée comme unique partenaire industriel d’un programme de recherche européen visant à tester 9 molécules dans 7 maladies rares de la cornée. Une belle reconnaissance.
En parallèle, Laboratoires Kôl continuera à être présente dans les congrès internationaux d’ophtalmologie : pas moins de 17 sont inscrits à l’agenda l’an prochain, en Europe mais aussi aux États-Unis. « Les congrès sont de véritables accélérateurs pour nous, sachant que ce sont les médecins qui sont les acteurs principaux, localement, des demandes de dérogation », souligne Sophie Momège.
Hors Europe, la société projette d’engager des discussions avec des interlocuteurs en Amérique latine. Elle a aussi en ligne de mire les États-Unis. Pour ce grand marché, elle fait actuellement évaluer un plan de développement par des partenaires pour l’obtention d’autorisation de mise sur le marché sous statut de médicament pour maladie orpheline.
Signe que la société s’installe durablement dans une dynamique de développement international, l’équipe s’étoffe : un directeur international a été recruté en 2023, pour renforcer la petite équipe commerciale basée à Clermont-Ferrand et composée d’un chef de zone export et d’un chef de projet junior export, ainsi que de commerciaux locaux (un pour le Maroc et la Tunisie, un autre pour l’Espagne et un autre pour l’Allemagne).
Ces derniers pourraient, à terme, prendre les rênes de futures filiales à créer dès les autorisations provisoires de commercialisations obtenues dans ces pays. Dans cette hypothèse, Laboratoires Kôl a déjà prévu de solliciter une garantie de projet international auprès de Bpifrance pour réduire ses risques financiers. Sophie Momège, qui reconnaît volontiers avoir bénéficié d’un « bon accompagnement » pour gérer son expansion rapide, citant Village CA ou Bpifrance, voit loin…
Christine Gilguy