Bien que freinée par les deux ans de crise sanitaire qui ont perturbé l’industrie du tourisme partout dans le monde, l’expansion internationale de la « trottinette des mers » BlueWay, conçu par la startup provençale Next Blue Tech, suit son cap. Déjà la moitié de sa production est livrée à l’export grâce à un réseau de distributeurs qui ne cesse de grossir.
Le Blue Way se présente comme un paddle transformé en un engin léger à propulsion électrique, doté d’un manche et d’une batterie qui lui garantit 7 heures d’autonomie, et complètement silencieux. Un must have pour ceux qui sont lassés par les pédalos mais renâclent à adopter les « scooters des mers » trop bruyants et polluants. Eco-responsable, respectueux de l’environnement, mais avec toute les sensations d’une glisse douce (7 km/h) : de quoi bousculer l’univers des loisirs nautiques.

Cet engin de nouvelle génération a été conçu par la startup Next Blue Tech, créée en 2017 par Hubert Thomas, serial entrepreneur qui avait déjà plusieurs success stories à son actif, déjà dans l’univers du loisir nautique éco-responsable (le bateau taxi Lili de A2V, c’est lui). Elle vient de se doter d’un centre de production à Aubagne, d’une capacité de 900 unités par an, inauguré début 2021.
Des cibles professionnelles, qui varient selon les pays
Ses cibles : principalement les professionnels du tourisme et du loisir. Et ceux-ci varient beaucoup d’un marché à l’autre.
En France, ce sont les loueurs de plages, clubs sportifs et autres clubs de vacances. Mais en Polynésie, ce sont les resorts (stations balnéaires), tout comme aux Émirats arabes unis, où les clients sont aussi des loueurs de plages et de riches particuliers. En Irlande, le client est un guide touristique qui organise des virées sur un lac. Le BlueWay a même trouvé une clientèle pour des missions de surveillance ou d’accompagnement.
« Le produit est hyper robuste, souligne Laure Houdaille, directrice du Marketing et des ventes de la startup (notre photo de couverture). Son autonomie de 7 heures est rassurante pour ces usages professionnels divers ». Selon elle, aucune concurrence à l’horizon pour le moment : « On a la chance d’être seuls sur notre créneau ».
Une belle longueur d’avance qui lui a permis de tenir son cap malgré les à-coups de la conjoncture. Et cette dernière n’a pas été d’un calme plat ces deux dernières années.
Un démarrage en plein Covid
Car c’est en décembre 2019, lors du salon nautique de Paris, que le produit a été lancé. Si l’accueil des milieux nautiques a été très prometteur, le déclenchement de la pandémie de Covid-19 début 2020 et la vague de restrictions sanitaires qui ont déferlé sur le monde ont bouleversé l’industrie du tourisme.

Ainsi, impossible de confirmer l’essai dans les salons « Boat Shows » qui jalonnent normalement le calendrier international de l’industrie nautique et qui auraient dû rythmer l’année de lancement international du Blue Way et remplir l’agenda de Michael Lambert, le directeur export (photo ci-contre). Tous annulés.
Mais le produit était tellement innovant qu’il a continué sa percée, y compris dans des pays improbables comme l’Irlande du nord, où il a séduit un organisateur de circuit sur un grand lac. Un miracle de la digitalisation des pratiques de prospection et de sourcing durant la pandémie.
« On devait faire le BOOT à Dusseldorf, le graal des salons nautiques car il rayonne en Europe et au-delà, mais il a été annulé à cause du Covid, se souvient Laure Houdaille. Par chance, on était sur la liste des exposants. C’est comme ça qu’on a été repéré par les Irlandais qui nous ont contacté et sont venu essayer le Blue Way chez nous ».
Durant cette période des confinements et des restrictions aux voyages, tout le travail d’identification des prospects potentiels et de prise de contact a donc basculé sur le Web : « On les a repérés grâce à leur communication sur Internet, ce qui nous a permis de créer des bases de données » explique la responsable marketing. Positionnement des cibles, état de la concurrence, étendue de leur rayonnement territorial, capacités en showroom…
A partir de ce défrichage, des short-list ont été établies, puis des prises de contacts ont été faites par mail ou téléphone avant une éventuelle visioconférence. « Quand nous avions une bonne accroche, nous proposions une réunion en visio, qui pouvait conduire à une proposition d’accord. Et lorsqu’on est tombé sur un os, comme en Espagne où le contact remettait sans cesse le rendez-vous, on a fait appel au réseau Team France Export pour nous aider localement à dénicher la perle rare. »
Construire un réseau de distributeurs « pas à pas »
D’entrée, pour la stratégie de déploiement à l’international, l’entreprise a misé sur le développement d’un réseau de grossistes distributeurs sélectionnés avec le plus grand soin, selon leur positionnement sur leur marché local et leur capacité à investir sur le développement du produit.
« Nous leur demandons un business plan et les moyens qu’ils vont mettre en œuvre pour le réaliser, détaille Michael Lambert, directeur export de Next Blue Tech. Ensuite, nous allons travailler la main dans la main avec lui car il connaît le mieux son marché. On va aussi l’aider à s’orienter sur les bonnes cibles en prenant en compte les spécificités du marché .»
Pas question, par exemple, de mettre en concurrence plusieurs distributeurs présents sur le même marché : « on préfère que le client augmente sa flotte plutôt que de lui mettre un concurrent à côté » explique Michael Lambert. Next Blue Tech mise sur le long terme : « la où on décide de s’implanter, c’est pour installer le produit dans la durée », complète Laure Houdaille.
La startup met en place des contrats cadres qui incluent donc le plan de commande et les objectifs annuels validés par les deux parties, des engagements qui incitent le partenaire à mettre en valeur les produits. Dans les petits pays, ce sont des contrats d’exclusivité. « Le plus gros challenge, c’est de trouver le bon distributeur » insiste insiste Michael Lambert. Laure Houdaille complète : « on les cible en fonction de leur appétence pour investir dans notre produit ».
« Aujourd’hui on sent une volonté de repartir »
Cette stratégie du pas à pas s’avère payante alors que les salons ont commencé à rouvrir leur porte : d’une centaine de ventes en 2020, première année de commercialisation dans les pires conditions, la PME en est déjà à 400 à fin avril 2022. Son chiffre d’affaires a atteint de l’ordre du million d’euros en 2021, bien en dessous de son potentiel.
Les effets de la crise sanitaire se font encore sentir mais l’optimisme est de retour : « Nous sortons de deux ans d’arrêt, durant lesquelles les gens n’osaient pas anticiper; aujourd’hui on sent une volonté de repartir » témoigne Michael Lambert.
La guerre en Ukraine impacte peu les perspectives, même si 15 jours avant le déclenchement du conflit, la startup avait réussi à nouer un contact prometteur avec un prospect russe. Si ce projet est enterré, cette conjoncture géopolitique tendue ne remet pas en cause la réouverture du tourisme et des voyages ailleurs dans le monde.
En revanche, comme de nombreuses entreprises, la PME a dû s’adapter au nouveau contexte des perturbations des chaînes d’approvisionnement qui perdure aujourd’hui : augmentation des stocks de composants sensibles, délais de livraison plus longs. « Cela a un impact mais il est fortement anticipé » souligne Laure Houdaille.
A court terme, la priorité de Next Blue Tech est de consolider sa pénétration des marchés européens, où sa « trottinette des mers » continue sa percée partout où se pratiquent des loisirs nautiques de bord de mer ou de lacs (Allemagne, Italie, Espagne…). Mais déjà, elle voit plus loin. L’Asie, où elle a commencé à placer des produits en Thaïlande. Et surtout les États-Unis, marché de référence pour le paddle, où le potentiel est énorme.
« Aux États-Unis, l’enjeu se chiffre en centaines, voire en milliers d’unités, c’est une autre échelle, explique Michael Lambert. On ne veut pas faire d’erreur et ça prend plus de temps ». Mais l’objectif est d’avoir trouvé la porte d’entrée sur le marché américain d’ici à la fin de l’année.
Christine Gilguy