Bretagne commerce international (BCI), l’association en charge du soutien à l’export et à l’attractivité et associant la Région et la CCI de Région Bretagne, se prépare à accueillir un millier d’entrepreneurs à Saint Brieuc le 3 juillet, pour sa 11ème journée annuelle de l’export, l’Open de l’international. Une occasion de faire un point avec Christian Queffelec, figure emblématique de l’univers des télécoms breton (Edixia, Kerlink, Astellia), et président du directoire de BCI depuis deux ans, sur le moral des exportateurs bretons, les enjeux auxquels ils ont à faire face à l’international, et ses attentes vis-à-vis du futur plan export du gouvernement. Entretien exclusif.
Le Moci. Après le Covid, les entreprises ont dû faire face au nouvel environnement créé par la guerre en Ukraine, l’inflation, la crise de l’énergie. Dans ce contexte incertain, quel est l’état d’esprit des exportateurs bretons ? Sont-ils toujours aussi allant à l’export ?
Christian Queffelec. A ma grande surprise et à celle des autres acteurs, oui. Il y a un an, lorsqu’on croisait les chefs d’entreprises, je pense notamment aux membres du directoire de BCI, tous des exportateurs, ils étaient dans les urgences, avec une somme de questions à résoudre autour des problèmes de supply chain nées avec la Covid et qui perduraient, auxquels se sont ajoutés les problèmes d’énergie, d’inflation, de géopolitique. Ce qui pouvait nous faire craindre que l’international soit mis de côté.
Mais en fait, et c’est le constat qu’on présentera lors de notre assemblée générale le 3 juillet, le même jour que l’Open, l’activité de BCI a toujours été aussi soutenue. Les participations aux salons, par exemple, qui avaient diminué pour des raisons évidentes durant la crise sanitaire, ont connu une très forte hausse sur 2022 et sur 2023 et même sur 2024. Les inscriptions à nos opérations sur les salons ont retrouvé leur niveau pré-Covid et c’est extrêmement positif.
Le Moci. Y-at-il eu des changements dans les orientations géographiques ?
Christian Queffelec. Les entreprises ont eu tendance à se recentrer davantage encore sur l’Europe, qui représente déjà la plus forte exportation pour les entreprises bretonnes, de l’ordre de 67 %. Mais la raison principale était qu’au grand export, et notamment en Asie, les pays étaient encore fermés et difficilement accessibles.
Lors de l’Open, seront présentés les résultats d’une étude sur le commerce extérieur breton que l’on fait une fois tous les deux ans avec la Chambre de commerce et d’industrie régionale. Elle montre une photographie 2022 fort semblable à celle du niveau national : une hausse des exportations mais grignotée par une plus forte augmentation des importations sous l’effet de la flambée des approvisionnements en matières premières.
« Les entreprises peinent à recruter »
Le Moci. Avez-vous les problèmes de recrutement que rencontrent de nombreuses entreprises ?
Christian Queffelec. Les entreprises peinent à recruter, c’est vrai au niveau national mais c’est encore plus vrai chez nous car la Bretagne a le plus bas taux de chômage parmi les Régions, avec des bassins d’emplois hyper tendus. C’est notamment le cas pour l’industrie agroalimentaire, qui est notre vaisseau amiral à l’international, qui peine à recruter dans les métiers difficiles.
Le Moci. Au point de constituer un frein à l’export ?
Christian Queffelec. Ça peut être considéré comme un frein à une accélération ou à un déploiement à l’international. Notre tissu industriel breton est souvent constitué de grosses PME, avec des équipes d’encadrement relativement limitées en nombre, notamment dans l’agroalimentaire. Or, lorsqu’on va à l’international, un certain nombre de compétences sont nécessaires et les problèmes de recrutement pour satisfaire ces besoins peuvent créer des difficultés pour certaines entreprises. Cela dit, la Bretagne est une région où il fait bon vivre, qui attire les gens : les arrivées ou les retours nous aideront peut être à terme à résoudre une partie de ces difficultés. En outre, je tiens à signaler l’excellent niveau global de formation de nos jeunes bretons.
Le Moci. Cette année, dans votre événement, vous faites la part belle aux partages d’expériences entre entreprises…
Christian Queffelec. C’est en effet nouveau, et j’observe que les ateliers de partage d’expérience et les échanges entre pairs ont tous été pris d’assaut dès le début des inscriptions. Cela montre qu’il y a en même temps, dans les entreprises, une envie d’aller de l’avant et un réel besoin d’échanger avec des collègues d’autres entreprises pour savoir comment telle ou telle difficulté nouvelle qui s’est présentée ces 4 dernières années est gérée. C’est à mon avis ce qui fait l’essentiel de la richesse de notre association Bretagne commerce international : pouvoir mettre en place ces relations, ces réseaux car on est complètement tourné vers l’entreprise. Le directoire est ainsi constitué d’un ensemble d’entrepreneurs. Cette approche de partage d’expérience et de mise en relation sera un point fort cette année. Il sera extrêmement intéressant d’en faire le bilan après l’événement.
Décarboner son activité : « Ceux qui ne seront pas prêts iront au tapis »
Le Moci. Après la digitalisation, un nouveau thème s’incruste dans le paysage de l’export : la décarbonation, en lien avec les urgences climatiques. Une plénière est consacrée à ce thème lors de votre événement. Est-ce considéré comme un enjeu par les exportateurs bretons ?
Christian Queffelec. Oui, ce thème devient une préoccupation et une priorité à plusieurs niveaux. Au niveau régional, nos tutelles, la Région Bretagne ou la Chambre de commerce et d’industrie régionale, ont mis ce thème des transitions sur le haut de la pile. La prise de conscience s’est renforcée depuis l’an dernier avec les épisodes de sécheresse, voire les incendies qui ont frappé la région, mais aussi tous les enjeux de la planète.
C’est le cas aussi dans les entreprises et tout spécialement dans les entreprises exportatrices. Pourquoi ? parce que celles qui exportent sont souvent des fers de lance de leur secteur : elles sont exposées à la concurrence internationale sur les marchés où elles vont mais aussi aux nouvelles réglementations qui se mettent en place dans différents pays. C’est le sens du titre de notre plénière : « international et performance durable : vers de nouvelles frontières ». Ce sont des barrières nouvelles qui vont se mettre en place et exclure celles des entreprises qui ne seront pas préparées correctement, qui n’auront pas les bons produits ou la bonne façon de les transporter.
Comme toujours, des entreprises sont plus avancées que d’autres mais la prise de conscience est là et ça avance, je suis assez optimiste de ce côté-là. La Bretagne, peut s’appuyer sur son historique de réseau et sa pratique de coopération, comme le montre nos amis de l’association Produits en Bretagne, qui se sont saisi du sujet bras-le-corps.
L’Open de l’international 2023
Journée d’information et de réseautage annuelle des entreprises exportatrices bretonnes, l’Open de l’international se déroulera le 3 juillet 8h30 à 19h au Palais des congrès et des expositions de Saint-Brieuc. Au programme de cette journée organisée par Bretagne Commerce International (BCI) : 5 ateliers de networking (45 minutes pour échanger entre apporteurs de solutions et entreprises autour d’une thématique commune), le Village des Partenaires à l’international (30 organismes régionaux, nationaux et étrangers), des rendez-vous B2B (présence de 70 prestataires BCI agréés à l’étranger, 50 pays représentés), 25 réunions d’information, des retours d’expérience et des échanges de bonnes pratiques. Ces formats seront organisés autour de thématiques en phase avec les enjeux actuels des entreprises : la performance durable et la RSE, les réglementations, les RH, le financement, la supply chain, le développement commercial, le marketing, la cyberdéfense, etc.
Pour consulter le programme cliquez ici !
Le Moci. Et vous qui êtes un ancien chef d’entreprise, personnellement, considérez-vous que décarboner son activité est plus une contrainte que se doter d’un avantage concurrentiel ou, l’inverse, plus se doter d’un avantage concurrentiel qu’une contrainte ?
Christian Queffelec. C’est très clair : c’est plus un avantage concurrentiel. Evidemment, dans un premier temps, c’est une contrainte, il faut trouver des solutions et il y a sans doute autant de modèles de solutions que d’exportateurs. Mais ceux qui ne seront pas prêts iront au tapis, et ceux qui se seront bien préparés pourront se battre à armes égales, voire supérieures, avec leurs concurrents. Là aussi, tout dépendra de la vitesse à laquelle les pays et les zones géographiques feront évoluer leurs législations. Avec l’Europe, nous avons la chance d’être dans un territoire où la législation évolue en parallèle dans tous les pays, avec une dimension européenne. Il n’en reste pas moins que certains pays, certains acheteurs, mettront sûrement des barrières à des entreprises qui ne sont pas prêtes. Plus que jamais, je pense que tout ce qui sera fait pour améliorer le respect de notre environnement et notre responsabilité sociale et sociétale sera l’argument pour être plus fort à l’international.
Le Moci. La digitalisation s’est accélérée durant la Covid. BCI s’est dotée l’an dernier d’une e-vitrine pour promouvoir les savoir-faire bretons à l’international. Quel est le bilan ?
Christian Queffelec. Nous aurons un bilan approfondi à la fin de l’année mais à ce stade, il se présente comme très positif si l’on regarde la rapidité du déploiement des pages de la e-vitrine par les entreprises qui ont adhéré : plusieurs centaines d’entreprises ont une page, c’est très important. C’est l’équipe de BCI qui qualifie les connexions et le site enregistre beaucoup de demandes. On sait que des entreprises ont déjà enregistré des commandes.
PME et TPE : « Celles qui vont à l’export aujourd’hui seront peut-être les grandes entreprises exportatrices de demain »
Le Moci. Dans le contexte compliqué que nous avons évoqué en début d’entretien, avec une augmentation de l’incertitude, comment BCI s’est adaptée pour accompagner ses membres ?
Christian Queffelec. La mission de base de BCI dans l’accompagnement des entreprises, c’est l’information sous différentes formes, du one-to-one jusqu’au collectif. Le travail des équipes a aussi été d’adapter la nature de l’information que l’on recueille et que l’on rediffuse en l’orientant davantage sur les questions de nouvelles obligations réglementaires et bien entendu le suivi des marchés, avec l’objectif de faire gagner du temps à nos membres. D’ailleurs, j’observe qu’on voit des très grands groupes largement structurés pour l’international qui viennent chercher de l’information chez nous.
Le Moci. Un nouveau plan export doit être prochainement présenté par le gouvernement : qu’est-ce que vous en attendez ?
Christian Queffelec. J’attends du plan export une direction partagée qui tienne compte des spécificités régionales. J’ai deux observations à faire à cet égard. La première est qu’il y a des différences notables entre nos régions. Lors d’une manifestation de France Invest en novembre dernier à Paris, je l’ai par exemple observé dans les possibilités d’accueil des entreprises étrangères, qui fait aussi partie de notre mission : la Région Grand Est dispose de territoires immenses de friches industrielles datant de l’époque minière pouvant accueillir de grands pôles industriels dans le cadre de projet de relocalisation, nous n’avons pas l’équivalent en Bretagne.
Deuxième observation : personnellement, j’ai été un peu dépité par ce que j’ai lu du rapport de la Cour des comptes sur le commerce extérieur*, en particulier ses suggestions de ne plus autant accompagner les TPE et PME. Au contraire, je pense qu’en Bretagne, il est nécessaire de bien les accompagner car celles qui vont à l’export aujourd’hui seront peut-être les grandes entreprises exportatrices de demain. Dans notre tissu industriel régional, on a aussi beaucoup d’entreprises dans le numérique, dans la cybersécurité, qui aujourd’hui sont de petite taille mais qui grandiront. Il y a aussi une question de filière derrière, et de stratégie pour les développer.
J’ai été chef d’entreprise pendant 40 ans, des plans pour essayer d’équilibrer notre balance commerciale, j’en ai vu beaucoup et je ne suis pas sûr qu’on ait vraiment trouvé la solution. Il est clair que soit on développe principalement l’export de nos grands groupes, soit on a une politique qui est adaptée aux territoires, avec une certaine autonomie régionale sur ces questions là, à la condition de rester bien sûr dans un cadre prédéfini.
Propos recueillis par
Christine Gilguy
* Les dispositifs de soutien à l’exportations – Une efficacité à renforcer, un modèle à repenser– Rapport public thématique– Cour des comptes- Octobre 2022. Lire à ce sujet : Aides à l’exportation : la Cour des comptes appelle à renforcer leur efficacité et repenser le modèle