Initié par la France en 2022, lorsqu’elle assurait la présidence de l’Union européenne (UE), le travail d’évaluation des menaces douanières pesant sur le marché européen vient de donner lieu à un rapport inédit, le Customs threat assessment – CTA. Pour la première fois, une vision globale de la situation est donnée à l’échelle européenne, justifiant la nécessité d’une coopération et d’une intégration accrues des douanes nationales. Sa publication constitue aussi un bon point pour la candidature de Lille pour accueillir le siège de la future autorité douanière européenne.
Jusqu’à présent, la vision des menaces douanières pesant sur l’Union européenne était essentiellement nationale, donc fragmentée entre les Ving-sept pays membres : en l’absence d’une douane européenne unifiée, chaque administration nationale livre en effet chaque année son propre bilan d’activité, égrenant les multiples interventions menées pour lutter contre les trafics illicites, les contrefaçons ou encore la fraude à la TVA.
Document de 78 pages issu des travaux conjoints de 16 administrations douanières nationales, avec le soutien de la DG TAXUD (direction générale Fiscalité et union douanière), de l’Olaf (Office européen de lutte antifraude), de Frontex (Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) et d’Europol, le rapport Customs threat assessment – CTA (Evaluation des menaces douanières), donne pour la première fois un aperçu vraiment global de ces menaces à l’échelle européenne.
Ces menaces prennent, du coup, une ampleur bien plus significative car aux luttes traditionnelles contre les trafics de tabacs, d’alcool ou d’armes, les contrefaçons et autres fraudes à la TVA ou aux droits de douane, se sont ajoutées les complexités nées des nouveaux outils numériques de ces trafics comme ceux du e-commerce, des supply chains de moins en moins transparentes, sans compter les tentatives de contournement des sanctions internationales contre des pays tiers comme la Russie ou l’Iran.
Un défi gigantesque
Les chiffres que l’on découvre au fil des pages du rapport CTA sont sidérants. En 2023, plus de 532 millions de tonnes de marchandises ont été importées et plus de 534 millions de tonnes ont été exportées dans l’Union : un énorme enjeu pour les 80 000 agents impliqués dans des activités douanières au sein des 27 États membres !
D’autant que le e-commerce a explosé –doublement des flux rien qu’entre 2022 et 2023 à 4,6 milliards de colis, pour la plupart de faible valeur- et les saisies de drogues ont atteint des records.
Les saisies de substances illicites étant effectuées à 70 % dans les ports européens, l’UE a d’ailleurs initié une alliance des ports européens pour renforcer leur coordination dans ce domaine. Concernant le e-commerce, les autorités sont également en train de s’attaquer au contrôle des gigantesques flux qu’il entraîne.
Le e-commerce, exemple emblématique des nouvelles menaces
Le rapport CTA livre un point sur différentes catégories de menaces, entre le e-commerce, la criminalité financière, la protection des intérêts financiers de l’UE ou encore le contrôle des sanctions internationales. Drogues, contrefaçons, biens soumis à accises, armes et explosifs, protection de l’environnement : les trafics illicites concernent de nombreuses thématiques. Mais parmi tous ces sujets, le e-commerce offre un exemple emblématique des nouveaux défis auxquels font face les douanes européennes
En 2023, plus de 87 % de tous les articles importés dans l’UE entraient dans la définition du commerce électronique. Cependant, ces éléments représentaient moins de 3 % de la valeur totale des importations, signe qu’une énorme majorité des colis passent sous les radars des contrôles douaniers, notamment en vertu des règles dites de minimis, qui exonèrent de déclaration douanière et de droits de douane les colis d’une valeur inférieur à 150 euros.
Pour les autorités douanières, le commerce électronique s’entend en effet comme suit : « tous les envois déclarés sous H1, H6 ou H7 d’une valeur supérieure à 150 euros », le terme « H » suivi d’un numéro définissant le formulaire de déclaration à remplir par l’expéditeur ou l’importateur.
La déclaration H1 fait référence à un ensemble complet de données des déclarations en douane utilisées pour la déclaration du fret traditionnel. La déclaration H6 est un ensemble de données réduit utilisé pour le fret postal d’une valeur inférieure à 100 euros. La déclaration H7 est simplifiée et spécialement conçue pour les envois de faible valeur, inférieure à 150 euros : c’est celle qui domine dans le e-commerce. Son caractère simplifié permet d’accélérer le processus douanier et de réduire la paperasserie requise pour des articles tels que les achats e-commerce.
« La multitude et la diversité des acteurs impliqués dans l’approvisionnement chaîne de produits en ligne crée de nombreux et complexes défis, notamment dans l’identification des parties prenantes des opérations douanières d’importation, telles que les vendeurs, les acheteurs, professionnels du dédouanement et intermédiaires divers tels que les places de marché et les exploitants d’entrepôts, observe le rapport. La complexité est encore aggravée par la mise en place de centres logistiques sur le territoire de l’UE ».
Afin d’endiguer le risque d’évasion fiscale via la fraude ou le non-paiement de la TVA, et de collecter des données utiles à son suivi, l’UE a mis en place un nouveau système dédié au e-commerce, le « paquet TVA » sur le commerce électronique, en vigueur le 1er juillet 2021. Il a été accompagné de trois mesures qui affectent l’activité des autorités douanières européennes : la création d’un nouveau système d’imposition de la TVA, soutenu par la création d’un système de guichet unique à l’importation (IOSS), la collecte de la TVA dès le premier euro et l’introduction d’une nouvelle déclaration en douane avec un ensemble réduit de données pour les importations d’une valeur inférieure à 150 euros, la déclaration H7.
« Ces modifications permettent aux autorités douanières d’accéder à de nouvelles données, offrant un nouvel aperçu des flux qui étaient auparavant difficile à suivre, souligne le rapport. Cependant, le commerce électronique apparaît également comme un vecteur important de fraude, infiltrant les flux commerciaux réguliers et sapant les capacités de contrôle douanier, présentant des risques à la fois fiscaux et non fiscaux ». Les organisations criminelles, qui utilisent les nouveaux outils numériques, sont de plus en plus flexibles, diversifiées dans les trafics, et de plus en plus difficiles à tracer.
Pour une approche nouvelle et innovante
Autrement dit, le flot reste complexe à appréhender, les contrôles compliqués à mettre en œuvre et ne peuvent plus s’effectuer sans un recours massif aux outils numériques. Ce rapport justifie a posteriori la nécessité d’une plus forte coordination et intégration des services des douanes européennes, l’un des principaux axes de la réforme en cours de l’Union douanière, inspirée du rapport des Sages de 2022, qui doit mettre en place une autorité douanière européenne.
« Tous ces défis auxquels sont confrontées les autorités douanières de l’UE doivent être traitées au moyen d’une évaluation robuste de la menace douanière (CTA) spécialement adaptée pour faire face aux principales menaces dans la lutte contre le trafic illicite et la criminalité organisée, souligne le rapport dans son introduction. De plus, il est essentiel d’adopter une approche nouvelle et innovante pour anticiper et répondre efficacement aux évolutions stratégies criminelles ».
Ce premier rapport CTA publié alors que la Pologne assure la présidence tournante de l’UE jusqu’à fin juin, est donc une étape dans cette direction. Marche de Malgorzata, sous-secrétaire d’État au ministère des Finances polonais et cheffe adjoint de l’Administration nationale des recettes appelle même à ce qu’il devienne « un outil permanent » au nom de la sécurité de l’Union.
Pour la France, dont la direction générale des Douanes et droits indirects (DGDDI) a coordonné ces travaux, la publication du premier CTA deux ans après l’avoir initié est aussi un très bon point pour obtenir que la future autorité douanière européenne s’installe sur son sol, à Lille précisément. Le dossier de candidature de la métropole des Hauts-de-France a été officialisé le 16 juin dernier. « La mobilisation des experts douaniers de l’Union européenne pour aboutir à une évaluation commune des menaces douanières, a constitué un exercice novateur, ouvrant la voie aux futurs travaux de l’Autorité des douanes européennes », conclut Florian Colas, directeur général de la DGDDI, dans un communiqué.
C.G
Consulter le rapport CTA (en anglais) : cliquez ICI