📌L’essentiel : Lancer un produit agroalimentaire innovant aux Etats-Unis en pleine guerre commerciale avant même sa mise en marché en Europe ? C’est le défi d’une jeune pousse parisienne sur son invention : une protéine de lait produite à partir de végétaux pour l’industrie laitière et fromagère. Son credo ? Se focaliser sur l’innovation et partir à l’export grâce à des partenariats avec des multinationales du secteur.
🔑Les clés du succès :
– Un projet international dès le départ, pour augmenter les volumes de production et améliorer la rentabilité d’une technologie en plein essor.
– Le portage à l’international par le géant Bel et des partenariats de R&D exclusifs.
– Des levées de fonds qui permettent de mener de front l’internationalisation et le passage à la phase industrielle.
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L’HISTOIRE
Une idée née sur un coin de table de cuisine
Les bonnes idées de business naissent parfois sur un coin de table de cuisine. Et quand une pandémie confine leurs auteurs, ils ont tout le temps de mûrir leur projet. Pour Romain Chayot le déclic a lieu en 2020 à la naissance de son premier enfant, intolérant au lactose.

De retour au travail chez Global Bioénergies, où il mène des recherches sur les biocarburants, le jeune papa, microbiologiste et ingénieur agronome de formation, reste le soir dans son laboratoire pour mettre au point le process de production d’une caséine fabriquée par fermentation de végétaux (betteraves, maïs) et offrant les mêmes qualités nutritives que le lait.
La même année il cofonde Standing Ovation avec Frédéric Pâques, rencontré chez Global Bioénergies, et se consacre entièrement à son projet. Dans la foulée il fait breveter son procédé de production d’une caséine végane par fermentation de précision.
« L’international était présent dès le départ car nous ne souhaitions pas nous installer dans une niche, sur un segment premium, explique Yvan Chardonnens, CEO de la startup parisienne. Proposer à l’industrie une produit innovant et rentable nécessite des volumes et le marché national ne suffit pas. »
Rester focus sur l’innovation mais chercher des partenaires industriels

Le dirigeant prend les rennes de l’entreprise de 34 salariés en mai 2024 tandis que Romain Chayot bascule vers le poste de directeur général et scientifique, se concentrant sur la recherche d’applications de cette caséine végane pour l’industrie (yaourts, fromages, crèmes dessert…).
Le nouveau P-dg met depuis à profit du projet ses 30 ans d’expérience dans l’agroalimentaire BtoB, acquis chez Firmenich, IFF, Barry Callebaut, Roquette et Oterra. Ce citoyen helvétique, polyglotte et passionné d’innovation, a effectué une grande partie de sa carrière en Asie (Chine, Singapour, Thaïlande, Malaisie et Pakistan). Bref, il disposait d’un profil international taillé pour le poste.
Le dirigeant approfondit la stratégie d’internationalisation initiée par les fondateurs : propulser leur innovation au-delà des frontières nationales grâce à des partenariats exclusifs avec des leaders français de l’industrie laitière et fromagère.
Concrètement, l’équipe de R&D de la jeune pousse travaille en étroite collaboration avec celle d’une multinationale pour cocréer des recettes intégrant la caséine. « Nous allons les voir, leur proposons notre alternative et nous inventons ensemble une recette, détaille Yvan Chardonnens. L’idée ce n’est pas de fournir un ingrédient mais d’être à la genèse d’une innovation accessible à tous ». Chacun, bien sûr, gardant pour soi ses secrets de fabrication.
Aux États-Unis dans le sillage de Bel
En 2021, Bel ouvre le bal de ces partenariats exclusifs avec la mise au point en commun d’un camembert à la caséine végétale. Le groupe, convaincu des qualités de cette alternative au lait et de l’intérêt de son industrialisation, mort à l’hameçon et décide d’intégrer cette innovation dans ses fromages produits aux États-Unis, son premier marché en termes de chiffre d’affaires.

Une victoire pour la startup parisienne sur un marché de la caséine ultra-concurrentiel dominé par les Américains et les Israéliens. Autre fleuron tricolore du secteur, Danone a par exemple choisi de nouer un partenariat avec la jeune pousse israélienne Imagindairy. Bel a fait le choix d’une entreprise française dont elle est entrée au capital en septembre dernier lors de sa quatrième levée de fonds, portant à 23 millions d’euros la totalité des capitaux levés depuis 2020.
Surface financière, recherche d’ingrédients innovants, production à l’étranger, logistique rodée… Le partenariat avec une multinationale ne manque pas d’avantages. « Elles sont très utiles également sur les questions réglementaires, avec des services dédiés, témoigne le P-dg. Quant aux droits de douane américains, nous ne sommes pas concernés puisque nous vendons notre caséine à Bel, en France. »
Reste que le premier marché à proposer la caséine végane de la jeune pousse sera les États-Unis et non l’Europe. « Nous devrions obtenir le feu vert de la FDA en 2026 et en 2027 dans l’Union européenne où la procédure d’homologation est plus lente ».
Relocalisation de la production via un partenaire japonais
D’ici là, Standing Ovation poursuit sa politique de partenariats. Dernier en date, celui signé en avril avec Tetra Pack, leader mondial suédo-suisse de l’emballage alimentaire. Objectif : optimiser la production en améliorant les processus de séparation et de purification des protéines, fournir des équipements et de solutions clés en main et accompagner la jeune pousse dans son augmentation d’échelle. Un atout de plus pour réussir sa phase d’industrialisation et parvenir à produire d’importants volumes.
Pour l’heure la production est sous-traitée en Slovaquie, mais Standing Ovation, lauréate du programme French Tech 2030, compte bien relocaliser sa production en France. Pour cette opération, elle compte une nouvelle fois sur un partenariat avec une grande entreprise, japonaise en l’occurrence. L’usine de la filiale européenne d’Ajinomoto Foods, qui produit depuis 20 ans des ingrédients et des additifs à Nesle, près d’Amiens, et maîtrise la fermentation de précision, sous-traitera la production.
Diversification des marchés
Noué en janvier 2025, ce partenariat, décisif pour passer à l’échelle industrielle, doit permettre à la Food tech de servir directement ses clients. En attendant, Standing Ovation garde le cap sur le marché américain, malgré l’actuelle guerre commerciale lancée par Donald Trump.
« Nous regardons également le marché canadien et des pays plus lointains mais mûrs pour notre produit comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud, précise Yvan Chardonnens. Nous travaillons également à d’autres applications de notre technologie dans l’agroalimentaire, car on retrouve de la caséine partout, dans le pain industriel, la viande ou les pâtes, mais aussi dans la cosmétique, par exemple pour produire du collagène végane. » Sky is the limit !
Grâce au portage à l’international de multinationales comme Bel, cette jeune pousse de la Food tech née en pleine crise sanitaire de l’allergie alimentaire d’un nourrisson s’assure un avenir en pleine santé ! « La caséine et la fermentation de précision suscitent beaucoup d’intérêt de la part des industriels, mais la concurrence est rude, concède le dirigeant. Le secret c’est qu’il faut aller très vite. »
📖✨🧠 Les leçons :
- Collaborer étroitement avec les équipes de R&D d’une grande entreprise, tout en veillant à ne pas divulguer ses secrets de fabrication, accélère l’internationalisation et son apprentissage.
- Savoir s’entourer est primordial. En choisissant un profil aussi expérimenté qu’international pour diriger la jeune pousse, le cofondateur a pu se recentrer sur la recherche.
- L’export et plus largement l’international nourrissent l’industrie française. C’est une entreprise japonaise qui va prendre en charge la production en France.
Sophie Creusillet