Dans le vin, le Covid-19 a bénéficié à la grande distribution (GD) et aux ventes en ligne dans les sept pays de la zone rhénane, une région représentant un marché de 132 millions de consommateurs potentiels (Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Slovénie, Suisse).
A l’inverse, le secteur de l’hôtellerie, de la restauration et des cafés (Horeca) a été lourdement frappé. Ainsi, en Suisse, un tiers des restaurants serait menacé de faillite, d’après Business France, organisateur avec Vitisphère d’un wébinaire sur la zone rhénane, le 25 mai.
En Allemagne, selon Sascha Speicher, rédacteur en chef de Meiningers Sommelier et rédacteur adjoint du Weinwirstchaft-Meininger Verlag, ce sont les discounters et les grandes surfaces, d’une part, et la vente à distance, d’autre part, qui en ont profité des difficultés du secteur Horeca.
En grande distribution, auraient surtout progressé les ventes des bouteilles jusqu’à 4 euros. Les achats de premiers prix auraient ainsi décollé de 30 % en mars et avril, « ce qui est énorme », assurait le journaliste spécialisé allemand.
D. Abraham : en Allemagne, l’acheteur « ne fait plus qu’un magasin »
Autre changement, indiquait Denis Abraham, chargé d’affaires Export senior Boissons alcoolisées et coordinateur de la zone rhénane chez Business France, l’essor du one stop shopping. « Dans toute la région, mais en particulier en Allemagne où on avait l’habitude de butiner à la recherche de promotions, on ne fait plus qu’un magasin. Et alors que c’était plutôt un achat tous les jours, c’est devenu hebdomadaire ».
Comme dans l’Hexagone, la restauration a été fermée outre-Rhin, avec, cependant, des situations différentes, puisque l’Allemagne étant un État fédéral, la Bavière avait autorisé les cavistes à rester ouverts, ce qui n’était pas le cas dans le land voisin, le Bade-Wurtemberg.
Aujourd’hui, les magasins sont à nouveau ouverts en Allemagne et « la situation des cavistes devrait se normaliser dans les prochains mois », prévoyait Sascha Speicher. Pour tous les lieux liés à la gastronomie, les perspectives sont moins claires. Le respect des règles de distanciation sociale obligeant à limiter l’accueil de clients, pour des raisons de rentabilité, tous les propriétaires de restaurateurs et de bars ne rouvriront pas.
Pays-Bas : la restauration, – 40 %
La situation aux Pays-Bas n’est pas fondamentalement différente. « La restauration a baissé de 40 % en moyenne et jusqu’à 90 % pour certains restaurants », rapportait Joris Snelten, CEO de Delta Wines, un importateur présent dans différents réseaux (grande distribution, restauration…).
A l’opposé, les ventes en ligne auraient bondi de 35 % et même de 200 % sur l’application mobile Vivino. La grande distribution, dont les ventes de vin diminuaient avant le coronavirus, ont gagné 6 % et les magasins spécialisés progressent également, mais inégalement en fonction de leur localisation.
Comme en Allemagne, il va falloir scruter l’avenir, car le 1er juin les restaurants pourront rouvrir avec une capacité limitée à 30 personnes, laquelle pourra être portée à 100 clients avec les terrasses à compter du 1er juillet.
Pour autant, aux Pays-Bas comme en Suisse, les projections sont qu’un tiers des restaurants ne reprendra pas. Pendant les vacances, si les Néerlandais demeuraient dans leur pays, ce serait évidemment bon pour la consommation locale.
« La grande distribution se livrera certainement à une concurrence acharnée », précisait Joris Snelten. Il faudra donc s’attendre à une bataille de « promotions agressives ». Parallèlement, le e-commerce de vin devrait poursuivre sa montée en puissance.
K. Lismont : « la consommation de vin diminue en Wallonie »
En Belgique également, la restauration se trouve dans une situation très difficile et les ventes en grande surface et en ligne progressent. Mais avec des différences selon les régions. D’après Kris Lismont, président de la Guilde des sommeliers de Belgique, « la consommation de vin diminue fortement en Wallonie, pendant qu’elle se maintient en Flandre » où la hausse de la consommation à domicile viendrait compenser les pertes du secteur Horeca.
Pour ce spécialiste, il ne faut pas espérer un retour à la normale avant un an. Il est vrai que des sept pays de la zone la Belgique est celui pour qui la Commission européenne prévoit la récession la plus forte cette année (- 7,2 %).
Par ailleurs, si le déconfinement y est entamé depuis début mai, la réouverture progressive des restaurants y est encore à l’étude. Elle serait envisagée pour le 8 juin, disposition qui serait étendue plus tard, aux bars, sous strictes conditions.
Les Autrichiens achètent des cartons de bouteilles
En Autriche, deux mois de confinement ont transformé le marché. Dans ce pays producteur de vin, la consommation, de l’ordre de 150 millions de litres par an, dont environ 50 millions d’importations, était réalisée à 57 % dans le secteur Horeca avant la crise. Aujourd’hui, la consommation à domicile, qui ne représentait que 37 %, le reste étant constitué des achats des touristes, explose. Les livraisons par la poste auraient ainsi augmenté de 25 %.
« Les particuliers achètent plus souvent des quantités aussi plus importantes que par le passé, ce qui se traduit non plus seulement par l’acquisition d’une simple bouteille mais de cartons, soit panachés, soit avec six bouteilles d’une même marque », expliquait Sergio Nodone, P-dg de Lou Vin, un importateur de vins pour la restauration haut de gamme et les particuliers.
S. Nodone : en Autriche, il y a un « changement de mentalité »
En termes d’opportunités pour les exportateurs français, elles ne sont pas toujours les mêmes dans la zone rhénane. La tendance en Allemagne est aux vins de cépage, végan, à taux réduit d’alcool, aux crémants et vins perlés.
En Autriche, les produits de vignerons auraient la côte. Pour Sergio Nodone, il y a un « changement de mentalité, les consommateurs étant plus curieux, plus ouverts sur les nouveautés, s’informant sur Internet et montrant un intérêt croissant pour les vins de qualité premium, super premium et luxury ».
Dans un pays comme l’Autriche où les prix de vente sont traditionnellement élevés, la France aurait cette image de qualité qui est appréciée et la référence en matière de mousseux.
En Belgique, les acheteurs recherchent un bon rapport qualité-prix. « Les Belges aiment faire la fête, mais ils veulent aussi que le prix corresponde », rappelait Kris Lismont, selon lequel « les prix augmentent un peu, mais peu au bénéfice des bulles ».
Si en Belgique la consommation est ainsi orientée vers des produits de qualité, le Covid-19 a mis au premier plan la question de la santé, ce qui se traduit dans les vins par une très forte de demande de bio.
Le rosé, dont les Belges apprécient la qualité croissante, continue à progresser et il y a une demande de vins de garde rouges pour consommer le soir, selon Kris Lismont. Les sujets du roi Philippe, malgré le coronavirus, auraient toujours le désir d’investir, notamment pour se constituer une cave. C’est tout le contraire en Allemagne.
Outre-Rhin, les acheteurs veulent des vins à consommer de suite. S’agissant des couleurs, « les Allemands étant les premiers consommateurs de barbecue en Europe, le blanc et le rosé sont très prisés. Le rouge a aussi sa place, mais essentiellement en hiver et automne », exposait Denis Abraham.
En Suisse, selon le responsable de Business France, on est aussi plutôt consommateur de blanc et d’effervescent. Les vins français sont sollicités en zone romande, alors que ce sont plutôt les produits allemands et du Nouveau Monde dans la région alémanique et italiens et suisses dans la partie italienne. De façon générale, on note une demande croissante de produits à taux réduit d’alcool.
Aux Pays-Bas, les opportunités portent un peu comme en Allemagne sur les vins bio, vegan, à faible teneur d’alcool, mais aussi les vins nature, légers, fruités, et les petits formats. « La tendance santé est importante, mais les particuliers aiment aussi consommer à la maison des vins qui ont une histoire », insistait Joris Snelten.
Bien utiliser la communication digitale et le marketing
Tous les intervenants au wébinaire ont pointé l’importance de maintenir le contact avec les clients, professionnels ou non, en utilisant l’outil digital. « Le contact est essentiel. Par exemple, si certaines caisses de vins ne peuvent plus être livrées aux cafés, hôtels et restaurants, alors nous pouvons être intéressés à les reprendre pour les ventes on line et les spécialistes », confiait Joris Snelten.
L’information, en raison de la crise sanitaire, est aussi essentielle aux yeux de Kris Lismont pour qui les apéritifs et dégustations on line sont un moyen efficace de maintenir un lien. Attention, néanmoins, à la surinformation, avec la multiplication des newsletters et dégustations on line, mettait en garde, de son côté, Sergio Nodone.
Le dirigeant de Lou Vin encourageait plutôt les professionnels tricolores à investir plus dans le marketing. Prenant l’exemple des crémants, il s’interrogeait sur le faible succès de ces produits. « Champagne, bordeaux et provence sont très connus, remarquait-il, alors que pour les Autrichiens le mot crémant n’est pas clair ».
Pour lui, il est indispensable que les comités professionnels mènent des « opérations de communication hyper ciblées et fédérées ». Les Italiens ont su utiliser de bonnes méthodes de marketing. Lesquelles ont servi au succès du prosecco. Un sujet de réflexion pour les Français.
François Pargny