La crise en Ukraine s’est invitée au Conseil européen des 20 et 21 mars à Bruxelles. Après le référendum et la signature par la Russie du traité rattachant la région autonome de Crimée à la fédération de la Russie, le président français François Hollande a appelé à donner « une réponse européenne forte et coordonnée à la nouvelle étape qui vient d’être franchie ».
Parmi les sujets touchant l’Ukraine, qui seront discutés pendant le dîner du 20 mars, devraient figurer en bonne place l’approvisionnement de l’Union européenne (UE) en énergie et de l’Ukraine en gaz et sans doute la proposition de la Commission européenne, en date du 11 mars, d’éliminer temporairement les droits de douane pour les exportations ukrainiennes dans l’UE. Une mesure totale ou partielle, selon les secteurs : la suppression des tarifs existants serait ainsi totale et immédiate pour 94,7 % des biens industriels ; la préférence ainsi accordée serait aussi sans limite et immédiate pour 82,2 % des fournitures agricoles et 83,4 % des produits agroalimentaires.
Soutien politique du Conseil européen à l’Ukraine
Le 21 mars, les 28 devraient signer les chapitres politiques de l’accord d’association que l’ex-président ukrainien Ianoukovitch s’était refusé à conclure avec l’UE, un geste fort et symbolique permettant d’asseoir auprès de la communauté internationale la légitimité du pouvoir actuel. « Le gouvernement, qui doit préparer les élections présidentielles du 25 mai, est piloté par un homme qui inspire confiance », observait Jacques Faure, ancien ambassadeur de France en Ukraine (août 2008-octobre 2011), lors d’un petit-déjeuner sur l’Ukraine, organisé le 19 mars à Paris par le cabinet Gide.
Arseni Iatseniouk est un jeune Premier ministre de 39 ans, père de la monnaie nationale, ancien ministre des Affaires étrangères et président de la Rada, le Parlement ukrainien, vice-président également du parti de l’ex-Première ministre emprisonnée Ioulia Timochenko. Ce qui inquiète la communauté internationale, « c’est que son gouvernement compte trois membres du parti nationaliste Svoboda (Liberté) », pointe François Faure (notre photo), responsable Risques pays émergents chez BNP Paribas. Svoboda est dirigé par Oleh Tyahnybok, un chirurgien de 50 ans exclu de Notre Ukraine, le parti de l’ex-président pro-occidental Viktor Iouchtchenko.
S’agissant de l’activité économique, François Faure ne craint pas tant la récession, « qui sera moins forte cette année qu’en 2008, que le fait que les caisses se sont vidées parce que des millions ou des milliards de crédit se sont envolés dans la nature ». L’UE, qui a promis une aide globale de 11 milliards d’euros, et le Fonds monétaire international (FMI) ont du mal à masquer leurs inquiétudes.
Les inquiétudes de l’UE et du FMI
Inquiétude politique, d’abord, en raison de l’instabilité générale, de la sécession de la Crimée et des troubles à l’est de l’Ukraine. Moscou, qui ne reconnaît pas le nouveau pouvoir en place à Kiev, pointe du doigt les courants ultra nationalistes, qui ont joué un rôle dans les manifestations de la place Maïdan à Kiev. Ces radicaux se retrouvent dans le parti Praviy Sektor (extrême droite), autour de leur chef Dmitri Iaroch. « Ils seraient aux alentours de 10 000, disposeraient d’armes et certains évoquent la possibilité qu’ils soient payés et manipulés par les Russes », rapporte Jacques Faure. Récemment, Dmitri Iaroch a déclaré que son organisation serait prête, en cas de conflit, à détruire les oléoducs et gazoducs en provenance de Russie pour priver ce pays de revenus.
Dans les régions de l’Est, surtout autour de Donetsk,ancien bastion de l’ex chef d’État Ianoukovitch,des troubles sont fomentés par les pro-russes. Paradoxalement, les oligarques restés dans le pays pourraient jouer un rôle de stabilisateur, notamment Rinat Akhmetov, l’homme le plus riche du pays,propriétaire du club de football Shakhtar Donetsk, du stade et des principales industries de la ville.
Rinat Akhmetov soutenait ouvertement le président Ianoukovitch. Aujourd’hui partisan du nouveau pouvoir, cet oligarque, « avec ses 17 à 20 milliards de dollars de revenus et ses 300 000 employés en Ukraine, a peur que l’est devienne russe. Il va donc mettre dans la balance son poids financier pour que les habitants de la partie orientale soient heureux en Ukraine », estime Serge Banzet,directeur général de Peugeot Citroën Ukraine.
Quant à la Crimée, son retour dans le giron de l’Ukraine semble illusoire. Moscou a déjà prévu d’y développer les services, à l’instar du tourisme, la logistique et l’activité portuaire.Le ministre russe du Développement économique Alexeï Oulioukaev étudierait même la possibilité de constituer une zone d’investissement prioritaire regroupant la Crimée et la côte russe de la mer Noire.
Des milliards de dollars nécessaires pour relancer l’économie
Inquiétude aussi financière. Par le passé, les engagements pris par les différents gouvernements ukrainiens vis-à-vis du FMI n’ont jamais été tenus et aujourd’hui Kiev ne peut plus compter sur les 15 milliards de dollars (dont trois milliards déjà versés) promis par Moscou, en contrepartie de la signature, sous la présidence Ianoukovitch, d’un accord de stationnement de la marine russe de la Mer Noire à Sébastopol jusqu’en 2042 (avec une option supplémentaire de cinq ans).
Or, le gouvernement d’Arseni Iatseniouk doit rapidement trouver une aide pour éviter tout risque de défaut souverain. Théoriquement, cette possibilité est faible, puisque les réserves de change représentent encore trois à quatre mois d’importations. « Mais, même avec 15 milliards de dollars en caisse à la Banque centrale, le niveau d’alerte est atteint », avertit François Faure. Et surtout, « au-delà de cette aide d’urgence, c’est d’un appui colossal, plusieurs dizaines de milliards de dollars rien que cette année, dont l’Ukraine a besoin pour le financement extérieur de son économie ».
« Par chance, les prix de l’acier augmentent toujours et les cours des céréales demeurent élevés, alors que la récolte sera bonne cette année », constate François Faure. Autre point positif, depuis la crise de 2008, les entreprises et les ménages se sont généralement désendettés auprès des banques. Toutefois, certaines grandes sociétés ont recommencé à emprunter et des défauts de paiement ne peuvent donc pas être exclus.
Aujourd’hui plus que jamais, l’avenir de l’Ukraine repose donc sur l’aide que lui fourniront le FMI, l’UE et les Etats-Unis. Et ce « rapidement », insiste François Faure.
Peugeot Citroën n’envisage pas, pour sa part, de quitter l’Ukraine. « Nous avons créé notre filiale en 2008, à un moment où les ventes s’élevaient à 660 000 voitures. L’année suivante, ce chiffre était tombé à 169 000. Nous sommes déjà restés à l’époque, car nous considérions que le potentiel d’un pays comme l’Ukraine, où l’équipement des ménages en voitures atteint juste 13 %, est supérieur à celui de la Pologne par exemple », livre Serge Banzet. L’important pour son groupe serait alors « de savoir quand le marché va pouvoir se développer ».
François Pargny