Sous le titre « Aéroport d’Istanbul, le chantier pharaonique d’Erdogan, vers un hub leader mondial en 2028 », l’ICDM (Institut pour la conquête des marchés), qui prépare une nouvelle étude pays sur la Turquie après l’Indonésie, vient de publier une note de synthèse* sur le nouvel aéroport d’Istanbul (en turc İstanbul Havalimanı), inauguré par le président turc fin octobre 2018 alors que le chantier n’était pas tout à fait terminé. Son émergence est concomitante à l’essor de Turkish Airlines, qui y a déménagé tous ses vols et ses équipements en une seule fois, début avril. Elle éclaire sous un jour très concret les ambitions internationales de la Turquie. Nous la publions pour les lecteurs de la Lettre confidentielle du Moci, avec son aimable autorisation.
La Turquie vient de mettre en exploitation le nouvel aéroport d’Istanbul, dimensionné pour être le premier aéroport du monde en 2029, par le trafic passager autant que par la taille.
Situé à 30 km au nord d’Istanbul, cet aéroport fait partie, avec le troisième pont sur le Bosphore et le tunnel sous ce même détroit inaugurés en 2016, des grands projets d’infrastructures ardemment défendus par leprésident Recep Tayyip Erdogan, qui veut transformer la Turquie à temps pour le centenaire de la République, en 2023.
Un chantier pharaonique mené en 3 ans et demi
La puissance de réalisation de la Turquie s’est exprimée à plein sur ce projet pharaonique.
Sa construction a été marquée par des retards et des polémiques entourant les conditions de travail sur le chantier. D’après l’IGA, autorité en charge du projet, 30 ouvriers sont morts pendant la construction de l’édifice, un chiffre sous-estimé selon des syndicats.
Le projet, réalisé en 3 années et demie, a coûté plus de 10 milliards d’euros.
Cette transition marque la fermeture aux vols commerciaux de l’aéroport international Atatürk, qui était jusque-là le principal aéroport desservant la ville.
Un déménagement tout aussi pharaonique
Ce transfert pharaonique a nécessité la fermeture de plusieurs routes pour permettre à 700 camions de circuler et transporter 48 000 tonnes d’équipements et matériels, mobilisant 1 800 personnes.
L’opération a débuté le vendredi 5 avril 2019 à 3h du matin et s’est étalé sur une durée totalement record de 45 H. 340 avions ont été déplacés dans ce laps de temps.
Ce transfert des équipements entre les deux aéroports est décrit comme « le plus grand déménagement de l’histoire de l’aéronautique civile » par les experts du secteur.
Un hub majeur pour les années à venir
De par sa position stratégique, l’aéroport constitue une plaque tournante importante pour les vols de transit à destination des États-Unis, de l’Europe, ainsi que du Moyen-Orient, de l’Asie centrale, de l’Inde du Nord et de l’Afrique.
L’aéroport, qui comptera à terme 4 terminaux, six pistes de décollage et six pistes d’atterrissage, devrait tourner à plein régime à la fin de la phase 2 à l’horizon 2028. A ce stade de mise en exploitation, l’aéroport d’Istanbul lance des vols vers 146 destinations sur différents continents.
Lorsque l’aéroport sera mis en service à pleine capacité pour la phase 1, le nombre de destinations de vol devrait dépasser 350 à partir de 2023. Le hub d’Istanbul reliera plus de 120 pays, plus de 60 capitales, plus de 250 destinations internationales et 50 destinations intérieures.
Selon le rapport 2018 sur la connectivité des hubs aéroportuaires publié par l’Airports Council International Europe (ACI Europe), la Turquie a étendu son réseau de vols de 591 % au cours de la dernière décennie et s’est classée au premier rang des hubs européens en termes de taux de croissance.
Selon l’opérateur du hub, IGA, l’aéroport d’Istanbul a une capacité initiale de 90 millions de passagers par an et devrait pouvoir accueillir 150 millions de passagers en 2023. La poursuite de la croissance du hub devrait placer l’aéroport d’Istanbul au premier rang mondial en 2029, soit le niveau de 200 millions de passagers.
Selon ACI Europe, en 2017, c’est l’aéroport américain d’Atlanta qui arrivait en tête de ce classement avec 103,9 millions de passagers par an. Il était suivi par Pékin (95,7 millions), Dubaï (88,2 millions), Tokyo (85,4 millions) et Los Angeles (84,5 millions), selon ACI.
Les aéroports européens de Londres-Heathrow (78 millions), Paris-Charles de Gaulle (69,4 millions), Amsterdam (68,5 millions), Francfort (64,5 millions) et Istanbul (64,1 millions) sont arrivés respectivement aux septième, dixième, onzième, quatorzième et quinzième rangs du classement d’ACI des 20 aéroports les plus fréquentés.
La percée exceptionnelle de la compagnie Turkish Airlines au cœur du nouveau hub d’Istanbul
La montée en puissance de la compagnie Turkish Airlines depuis une dizaine d’années a surpris nombre d’experts du secteur aérien. Éclipsée un temps par les compagnies du Golfe et leur hyper-croissance, la discrète Turkish Airlines a opéré une transformation majeure pour se placer en position de leader, sur un marché dont l’épicentre s’est rapidement déplacé vers le Moyen-Orient et l’Asie. Celle-ci ambitionne de devenir la première compagnie aérienne du monde dans 15 ans.
Tout a commencé en 2003, lorsque le nouveau gouvernement formé par Recep Tayyip Erdogan décide de s’appuyer sur le secteur stratégique du transport aérien pour le développement de l’économie et du tourisme du pays. Libéralisation du marché, réforme des infrastructures aéroportuaires, allègement de la fiscalité ou encore levée des visas de transit ont créé un environnement favorable au décollage d’une grande compagnie.
En interne, un programme drastique de coupes budgétaires a assaini les comptes, préparant ainsi l’introduction en Bourse de Turkish Airlines en 2006. Aujourd’hui, l’État détient encore 49 % du capital, mais n’intervient plus dans la gestion de la compagnie.
Depuis son introduction en Bourse, en 2006, la courbe de croissance de Turkish Airlines traduit pourtant bien l’ambition affichée d’un leadership mondial, qui détrône une par une les compagnies traditionnelles et coiffe au poteau les jeunes compagnies du Golfe.
Turkish Airlines engrange incontestablement les résultats d’une redoutable stratégie.
En croissance forte continue depuis plus 10 ans, l’accélération de la compagnie turque a pris de court les experts. Ses prévisions pour 2023 tablent sur un chiffre d’affaires de 24 milliards de dollars pour 120 millions de passagers transportés.
Turkish Airlines ne se contente pas de grossir plus vite que ses compétiteurs. Tout en appliquant les mêmes recettes que Qatar Airways, Etihad Airways ou Emirates, la compagnie turque s’appuie sur une gestion serrée des coûts pour construire un modèle économique durable. Avec un coût par passager ramené à 0,08 dollar par kilomètre, Turkish Airlines fait partie des compagnies les mieux gérées au monde.
Dans une industrie ultra-compétitive aux marges étroites, sa productivité en constante augmentation lui permet de dégager les profits nécessaires pour investir et répondre aux besoins de mobilité de plus en plus forts.
Comment cette ancienne entreprise publique, créée en 1933, a-t-elle réussi à passer, en dix ans, du statut de compagnie aérienne locale peu rentable, disposant d’une soixantaine d’avions, à celui de compagnie internationale rentable dotée d’une flotte de 338 avions (450 à l’horizon 2023) et desservant 283 destinations ?
- Flotte gros porteurs : 117 (Air-France + KLM: 177)
- Flotte totale: 338 (à titre de comparaison le flotte Air-France toutes tailles est composée de 206 appareils)
Turkish Airlines dessert 283 destinations, dont 232 destinations internationales sur 121 pays.
Dans la course contre la montre, le profil européen de Turkish Airlines constitue un avantage concurrentiel majeur. La compagnie turque développe un maillage régional fort eu sein des grands pays d’Europe. En France, par exemple, 5 escales ont été ouvertes à Paris, Lyon, Nice, Marseille et Bordeaux.
Tukish Airlines dessert également déjà 46 destinations dans une trentaine de pays d’Afrique, dépassant ainsi tant Air France qu’Emirates. Avec le lancement de plus de 25 nouvelles routes en moins de trois ans sur ce continent, Turkish Airlines a clairement fait du continent africain l’une de ses priorités.
Membre du réseau Star Alliance depuis 2008, Turkish Airlines s’étend et s’impose ainsi en Afrique, au Moyen-Orient et dans la région Asie-Pacifique. Seules l’Inde et la Chine échappent encore à la toile de la compagnie.
La vision du dirigeant de Turkish Airlines
Temel Kotil, le directeur général de la compagnie turque, déclarait dès 2016 dans une interview :
« Nous sommes sur un marché en croissance régulière, qui continuera de se développer. Mais on observe un déplacement des flux vers les zones du Moyen-Orient et de l’Asie Pacifique. Ces deux régions concentreront plus de 46 % du trafic de passagers d’ici à 2034. Dans ce contexte, la position géographique de la Turquie devient un atout stratégique pour devenir le hub le plus connecté au reste du monde. C’est la clé.
« Turkish Airlines est une compagnie privée, cotée en Bourse et transparente sur ses résultats. Nous avons une exigence forte de rentabilité. Notre croissance est donc durable. Par ailleurs, nous pouvons compter sur la densité de notre réseau en Europe, ainsi que sur le dynamisme et l’attrait touristique de notre marché domestique.
« Le projet du nouvel aéroport d’Istanbul est très important pour nous. Notre stratégie de hub international repose sur la capacité et sur la qualité de ces infrastructures. Un aéroport doit être conçu comme un véritable écosystème offrant les meilleurs services. C’est ainsi qu’a été pensé ce nouvel aéroport, qui s’étendra sur plus de 76 km2, comprendra 4 terminaux, 6 pistes et pourra accueillir, en 2023, 150 M de passagers par an. » (source, site d’information thegoodlife.thegoodhub.com)
Une politique commerciale innovante
Turkish Airlines, a été élue meilleure compagnie aérienne d’Europe par Skyrax pour la 5e année consécutive, qui a lancé le concept du « Flying Chef », un chef cuisinier embarqué en business-class pour concocter des repas gastronomiques, ou encore celui de l’« Invest On Board », qui présente de talentueuses start-up aux businessmen (business angels) pendant les vols.
Pour se faire connaître dans le monde entier, 200 millions de dollars sont investis chaque année dans des campagnes de publicité qui font la part belle aux stars du football comme Lionel Messi et Didier Drogba ; ce qui lui a valu le prix de la publicité la plus marquante de YouTube en 2018.
ICDM
*Synthèse réalisée par l’ICDM à partir d’articles récents de la presse économique et de la presse aéronautique
