Le 24 novembre à Bruxelles, la Russie et l´Union européenne annonçaient avoir trouvé un accord pour l´entrée de la Russie dans l´OMC (Organisation mondiale du commerce). Deux jours plus tard, deux propositions importantes émanaient, la première du Premier ministre russe Vladimir Poutine, en visite à Berlin, la seconde du commissaire européen à l´Energie Günter Oettinger, lors d´une conférence de presse à Varsovie.
Concrètement, pendant que le chef du gouvernement à Moscou souhaitait la constitution « d´une communauté d´économies harmonisées de Lisbonne à Vladivostok », le membre de l´exécutif européen prônait un « Schengen de l´énergie », c’est-à-dire un réseau transfrontalier englobant les principaux partenaires de l´Union, dont la Russie.
Cette succession d´évènements pourrait laisser penser qu´à Moscou comme dans les diverses capitales des Etats membres de l´Union européenne (UE), on soit passé de la méfiance à l´espoir. « User de l´arme énergétique, notamment comme d´un levier diplomatique, est quasiment un aveu de faiblesse de la part de Moscou », jugeait encore il y a moins de deux mois Céline Bayou, chargée de cours à l´Inalco (Institut national des langues et des civilisations orientales). Mais les Russes manquent aussi cruellement d´investissements, observe Alexander Rahr, directeur du centre Berthold Beitz de Berlin. « Ils ont besoin d´une collaboration avec les Européens de l´Ouest pour moderniser leur économie », ce qui expliquerait la main tendue de Vladimir Poutine en Allemagne pour développer des coopérations dans toute une série de secteurs, comme la pharmacie, l´aérospatial, l´industrie lourde, l´automobile et aussi l´énergie.
L´accord avec les Etats-Unis en octobre ouvrant l´admission de la Russie à l´OMC, le réchauffement politique entre Washington et Moscou, constaté lors du récent Sommet de l´Otan, ont, sans conteste, favorisé la levée des derniers obstacles avec les Européens. Un compromis a ainsi été trouvé sur les droits de douane pesant sur les matières premières et Moscou a accepté de supprimer les taxes sur les exportations de bois qui renchérissent les prix du papier. « Certaines questions multilatérales doivent encore être résolues dans plusieurs domaines, comme les échanges agricoles, les réglementations techniques, y compris sanitaires et phytosanitaires, et le régime d´investissement dans le secteur automobile », précise un communiqué commun Russie-Union européenne. Mais on s´acheminerait vers une entrée de la Russie dans l´OMC, sous toute vraisemblance, courant 2011. A moins évidemment que les 19 pays du groupe de Cairns, mécontents du soutien de la Russie à son agriculture, et la Géorgie, bloquent le processus d´adhésion.
Jusqu´à la mi-2008, époque à laquelle la crise mondiale était devenue très profonde, le commerce de l´Europe avec la Russie n´a cessé de croître. D´après la direction générale du Commerce à Bruxelles, le commerce bilatéral de marchandises est passé de 169,3 milliards d´euros en 2005 à 180,8 milliards en 2008. Cette année-là, l´UE était de loin le premier partenaire de la Russie, représentant 52,3 % de ses échanges totaux et 75 % de son stock d´investissements.
En 2009, les importations des 27 ont chuté en un an de 177,8 milliards à 115,3 milliards pour les biens et de 13,5 milliards à 10,8 milliards pour les services. Parallèlement, leurs exportations sont tombées de 105 milliards à 65,5 milliards pour les marchandises et de 20,8 milliards à 18,3 milliards pour les services. Enfin, d´après la dernière étude du centre Vale de l´université de Columbia sur les investissements en Russie, 80 % des 109 milliards d´euros de stock d´investissements directs étrangers en 2009 viennent de l´UE.
A Berlin, Vladimir Poutine a évoqué la formation d´une zone de libre-échange avec l´UE, mais il semble que son homologue en Allemagne, Angela Merkel, soit réticente à pousser les coopérations avec un partenaire qui a lancé, en juillet dernier, une union douanière avec deux pays de l´ex-URSS, la Biélorussie et le Kazakhstan.
La chancelière ne peut, pourtant, pas ignorer ce géant des hydrocarbures, qui promet de collaborer dans l´énergie. A cet égard, Günter Oettinger se montre pragmatique : Tunisie, Algérie, Turquie, Géorgie, Azerbaïdjan, Russie et Turkménistan ont vocation, selon lui, à contribuer à un moment ou à un autre au réseau transfrontalier d´énergie avec l´Europe. Et même l´Irak, « dans un avenir plus lointain », assure le commissaire européen.
François Pargny