Les annonces de relocalisations d’investissement dans l’assemblage de semi-conducteurs aux États-Unis et en Europe se succèdent depuis la pandémie de Covid-19 et le regain de tensions entre Washington et Pékin. Selon une récente étude de Global Sovereign Advisory (GSA), cette redistribution des cartes devrait surtout profiter à de nouveaux champions asiatiques.
Un investissement de 1,6 milliards de dollars (Md USD), une salle blanche de 200 000 m² : l’américain Amkor a vu grand pour sa nouvelle usine d’assemblage, de test et de packaging (ATP) qui a ouvert le 11 octobre dernier à Bac Ninh, au Vietnam. Ce pays d’Asie du Sud-Est a le vent en poupe sur l’échiquier mondial de la production de semi-conducteurs. Intel a annoncé l’extension de son usine. Le coréen Hana Micron implante actuellement deux nouvelles usines et les autorités vietnamiennes sont actuellement en pourparlers avec Samsung.
Signes de l’attractivité du pays, c’est avec un bataillon de dirigeants du secteur que Joe Biden s’en rendu à Hanoi en octobre et la secrétaire au Trésor Janet Yellen a récemment encouragé les investisseurs américains souhaitant s’y installer à solliciter le Fonds international pour la sécurité technologique et l’innovation (ITSI). Créé en vertu du Chips Act, ce dernier alloue 500 millions de dollars (100 millions USD par an à compter de l’exercice 2023) au Département d’État pour appuyer la diversification de la chaîne d’approvisionnement.
Le Vietnam, étoile montante de l’assemblage en Asie
Selon GSA, « tout indique que l’Asie restera le principal bassin de sous-traitance du marché mondial des semi-conducteurs, et que les Chips Act américain et européens pourraient plutôt accélérer la redistribution déjà à l’œuvre de ces activités, au détriment de la Chine et de Taïwan et au profit de nouveaux acteurs tels que le Vietnam, les Philippines ou encore l’Inde ». Si le Vietnam est en passe de devenir le champion de la sous-traitance de l’ATP, les Philippines ont également fait l’objet d’annonces d’extensions de sites de production comme ceux de Texas Instrument et d’Analog Device.
Malgré une baisse des investissements ces dernières années, la Thaïlande mise quant à elle sur sa neutralité dans le conflit sino-américain et enregistre quelques belles prises comme les japonais Sony et Murata (70 millions de dollars d’investissement chacun). L’Inde, qui concentre beaucoup d’espoirs dans le secteur, a approuvé en 2021 un programme d’investissement de 30 Md USD. L’américain Micron a lancé en septembre la construction d’une usine pour 2,75 Md USD.
L’Amérique latine en pleine opération séduction
Pour d’évidentes raisons géographiques et historiques (la région a accueilli des usines de puces dans les années 1960 et 1970), l’Amérique latine et centrale est bien positionnée pour bénéficier des retombées du Chips Act américain. Un virage déjà pris par le Costa Rica. Le pays, qui dispose déjà d’une expertise dans cette industrie et de la présence historique d’Intel (4000 employés), étudie actuellement un partenariat avec les États-Unis via le fonds ITSI en vue de développer une chaîne d’approvisionnement.
Le Panama voisin s’est positionné comme assembleur de semi-conducteurs fabriqués aux États-Unis en lançant en juillet dernier des négociations dans le cadre du même fonds sur l’assemblage. Son cadre réglementaire particulièrement favorable aux délocalisations pourrait s’additionner de nouvelles incitations fiscales spécifiques au secteur, actuellement à l’étude. De son côté, le Mexique, principal partenaire commercial des États-Unis dans la région, fait valoir sa spécialisation et son expertise dans l’industrie automobile.
Si aucun investissement américain n’a été pour l’instant réalisé, le pays se consacre à la formation de sa main d’ouvre en partenariat avec notamment Intel et l’université d’état d’Arizona. En mai dernier, il a lancé avec Ottawa et Washington la Conférence nord-américaine sur les semi-conducteurs qui s’engage à renforcer la supply chain nord-américaine.
Des relocalisations plus timides en Europe
De l’autre côté de l’Atlantique, Bruxelles a adopté le 13 septembre dernier un « règlement établissant un cadre de mesures pour renforcer l’écosystème européen des semi-conducteurs ». Le « Chips Act européen », s’il ambitionne une autonomie stratégique à hauteur de 20 % de part de marché d’ici 2030 grâce à 43 Md EUR d’investissements publics et privés, ne précise pas de mécanisme permettant d’organiser concrètement ce sursaut de souveraineté.
Pourtant, sur le terrain, les entreprises privilégient déjà certaines destinations de leurs projets industriels : l’Allemagne (TSMC, GlobalFoundries, Intel et Infineon), l’Irlande (Intel) et la France (avec STMicro). Sur le segment de l’assemblage, ce sont les pays dont la main d’œuvre est à la fois bon marché et qualifiée qui tirent leur épingle du jeu. Intel a ainsi annoncé en juin un investissement de 4,6 Md USD pour une usine d’assemblage et de test à Wroclaw, en Pologne. Les plaquettes de silicium fabriquées par GlobalFoundries à Dresde seront ensuite expédiées à l’usine de packaging d’Amkor au Portugal.
Même si les relocalisations du segment de l’assemblage restent pour l’instant limitées, la reconfiguration en marche de cette activité de sous-traitance souligne l’importance croissante d’un critère devenu déterminant pour les investisseurs : l’écologie. « Soumis à la pression de leurs propres clients, qui cherchent à améliorer leur bilan environnemental, les fabricants affichent par ailleurs de plus en plus leur volonté de se fournir exclusivement en électricité renouvelable », observe GSA.
Sophie Creusillet