A la veille de l’entrée en vigueur d’une deuxième vague de sanctions américaines sur l’Iran, le 4 novembre, l’OSCI, fédération française qui rassemble les sociétés d’accompagnement et de commerce international, livre dans l’article ci-après, coécrit par plusieurs de ses membres, un éclairage et quelques conseils à destination des entreprises confrontées à des interprétations excessives de ces sanctions par certains de leurs prestataires, assureurs, banques, transporteurs…
L’Administration américaine a établi depuis longtemps, et progressivement renforcé, des régimes de sanctions touchant d’une manière ou d’une autre un grand nombre de pays (des avocats spécialisés ont mentionné récemment le chiffre de plus de 100 pays).
Ces mesures sont le plus souvent administratives, et non pas judiciaires. Au départ elles sanctionnaient uniquement les violations d’interdictions commerciales ou financières commises par des sociétés ou ressortissants américains ; elles s’appliquent désormais à beaucoup plus de transactions commerciales.
Elles sont tellement complexes que beaucoup d’intervenants (banques, assureurs, transporteurs, etc.) préfèrent ne rien faire qui risquerait de les mettre en contradiction avec les sanctions US, et refusent donc parfois de participer à des opérations parfaitement légales auxquelles les lois et réglementations US ne s’appliquent pas du tout.
- Comment en est-on arrivés là ?
C’est avec Cuba que tout a commencé. Un embargo fut décrété par les Etats-Unis en février 1962 en représailles à la nationalisation d’entreprises américaines : il interdisait aux ressortissants américains toute relation commerciale et financière avec Cuba.
Mais ensuite sont venus s’accumuler des lois sur l’indemnisation des biens expropriés, puis l’indemnisation des biens à Cuba des réfugiés cubains aux Etats-Unis, puis des lois étendant aux étrangers l’interdiction de tirer profit des biens expropriés ou ayant appartenu à des exilés cubano-américains, puis une loi interdisant l’accès aux ports américains de navires étrangers ayant escalé dans un port cubain depuis moins de 6 mois, puis l’interdiction de toute transaction en dollar avec Cuba, quel que soit le pays partenaire mais sauf autorisation spéciale (dite licence), etc.
C’est ainsi qu’on est progressivement passé d’un embargo qui s’appliquait aux seules entreprises et ressortissants américains à des lois qui ont étendu leur champ d’application au-delà des frontières des Etats-Unis. Ce glissement vers l’application des régimes de sanctions hors du territoire des Etats-Unis s’est accéléré d’une part avec la suppression de l’Euro-dollar (toute transaction en dollar US est désormais considérée comme impliquant les Etats-Unis, même si aucune des parties n’est américaine), et d’autre part avec la mondialisation informatique, qui facilite un contrôle étendu et renforcé des transactions.
- Comment savoir si une opération commerciale est soumise aux Lois et Réglementations américaines ?
L’extraterritorialité d’une loi est par essence contradictoire avec le principe de souveraineté qui fait de chaque Etat le souverain chez lui, tel que proclamé par la charte des Nations-Unies; c’est pourquoi les administrations américaines s’efforcent de justifier l’extraterritorialité des sanctions qu’elles appliquent par l’existence d’un lien filaire avec le territoire des Etats-Unis, créant ainsi un lien territorial plus ou moins virtuel.
Ces « liens filaires » qui relient une opération import ou export aux Etats-Unis sont considérés comme établis par :
-a) L’usage du Dollar des Etats-Unis pour régler la transaction sanctionnée : depuis la suppression de l’Euro-dollar, les banques doivent compenser les règlements en dollar US sur une place financière des Etats-Unis, et donc toute transaction en dollars US tombe sous le coup de la loi US;
-b) La présence de « US Persons » ou de « US entities » dans un rôle décisionnaire à un endroit ou un autre de la chaîne de décisions des parties impliquées dans la transaction: un bénéficiaire économique ou un dirigeant (administrateur, mandataire social, responsable exécutif de l’opération concernée) de la société acheteuse ou vendeuse, d’un sous-traitant, etc.
Par « US Person » il faut entendre : un citoyen américain, un étranger né aux Etats-Unis, un étranger titulaire d’une « green card » lui permettant de résider et travailler aux Etats-Unis ; et par « US entity » : une société dont une part significative du capital est détenue par des intérêts américains ou dirigée par une « US Person ».
-c) Un niveau de contenu de produits ou services d’origine américaine intégrés dans le produit vendu, supérieur au seuil autorisé fixé pays par pays. Pour Cuba, ce seuil était de 10% jusqu’en 2016; en 2016 il a été porté à 25%, car c’était le seul assouplissement de l’embargo que pouvait faire Obama sans avoir à demander l’accord du Parlement. Il s’agit bien d’intégration dans un ensemble, et non de groupage de produits distincts d’origines différentes (1).
-d) Une relation directe (niveau 1) ou indirecte (niveau 2) entre l’opération et des « personnes sous sanctions » : les « personnes sous sanctions » sont listées nommément, et leur éventuelle relation directe avec l’opération contaminerait l’opération elle-même.
Mais dans le cas iranien et à partir de novembre 2018, la contamination se communique en chaîne (sanctions de niveau 2) : si l’une des parties prenantes de la transaction est en relation d’affaires avec une « personne sous sanction », elle devient elle-même « objet potentiel de sanctions » et contamine donc toutes ses opérations (y compris celles qui n’impliquent pas la personne sous sanction). C’est de là que vient la menace d’être « blacklisté » par votre banque parce que vous auriez fait une opération avec une personne dont vous n’avez pas su (ou pas voulu savoir) qu’elle figurait sur la liste américaine des contreparties interdites.
Dans la liste des personnes sous sanctions il y a notamment des oligarques russes (proches de Vladimir Poutine) et les sociétés dirigées par eux, des sociétés cubaines du secteur tourisme dirigées par l’armée cubaine (ces premiers de niveau 1), des dirigeants iraniens et notamment des Pasdaran (ces derniers de niveau 2), etc.
- En résumé, quelles opérations ne sont pas soumises aux sanctions américaines ?
Pour résumer, si vous avez une opération commerciale :
- avec un pays sous sanctions américaines (mais qui n’est pas sous sanctions de l’Union européenne-UE),
- qui n’est pas payable en dollars US (elle peut être libellée en USD dans le contrat à condition d’être payables en Euros, à un taux à convenir ou à un taux courant),
- qui porte sur un produit qui ne contient pas plus de x% (en général 10 ou 25%) de produits d’origine américaine,
- dont aucune des parties prenantes ne sont des sociétés à capitaux majoritairement américains ou à dirigeants américains et qu’elles n’ont pas de dirigeant américain,
- dont aucune des parties n’est par ailleurs en affaires avec des personnes ou des entreprises « blacklisté » par des sanctions de niveau 2,
…alors vous n’avez rien à craindre des sanctions américaines.
Mais en pratique les partenaires de votre opération (banque, transporteurs, assureurs, etc.) risquent de sur-interpréter (over-compliance) le champ d’application de la loi américaine et rendre votre opération impossible, même si la structure de votre opération fait que le droit américain ne s’y applique pas.
Qu’appelle-t-on l’over-compliance ?
C’est un principe de précaution porté à l’excès qui consiste pour une banque, un assureur, un transporteur à refuser de prendre en charge une transaction au motif du risque de sanctions américaines même si les lois et règlementations américaines ne s’y appliquent pas.
Par exemple, si une banque refuse de traiter un règlement reçu en Euros d’une vente au Soudan de produits autorisés par l’Union européenne, avec moins de 10% de contenant américain, sans qu’aucune « US Person » ne soit identifiée chez vous ou votre fournisseur à un poste dirigeant ou bénéficiaire économique (et à supposer que vous n’êtes pas en affaires avec des personnes ou entreprises « blacklistées »), alors elle sur-interprète le champ d’application de la loi américaine. On retrouve ce type de problème avec des industriels, des assureurs, des transporteurs, des sociétés de courriers express, etc.
L’origine du problème tient au fait que les sanctions sont tellement variées (d’un pays à l’autre, d’une période à l’autre, d’une opération à l’autre) que les partenaires de l’opération sur-interprètent souvent le risque et préfèrent ne pas participer à l’opération au nom du principe de précaution (par exemple dans le cas d’une banque ne pas encaisser un règlement du client ou ne pas procéder à un paiement de fournisseur ou de prestataire).
Mais heureusement, l’over-compliance résultant d’une interprétation, elle varie d’un opérateur à l’autre, d’un pays à l’autre. Ainsi, si vous préparez une opération (légale) que refuse d’exécuter un prestataire, il est possible qu’un autre prestataire, situé dans le même pays ou dans un autre pays, l’accepte : c’est à vous de trouver le bon partenaire pour cette opération.
OSCI
L’OSCI et ses fédérations associées représentent les entreprises qui, basées en France ou à l’étranger, proposent les services d’expansion internationale suivants : stratégie, organisation, études de marchés, prospection, représentation commerciale, gestion déléguée des exportations, négoce, distribution, logistique, implantation, gestion de filiales, développement industriel, M&A, sourcing, gestion externalisée des importations.
(1) Au-delà de ces seuils il faut que le fournisseur américain des composants obtienne une licence ad hoc: la « licence BIS » délivrée par le Department of Commerce autorisant une vente depuis les Etats-Unis vers un pays sous sanctions, et/ou la «licence OFAC » (Office of Foreign Assets Control du Department of Finance) autorisant une « US entity » à livrer du pays étranger où elle est implantée le produit et/ou le service à destination du pays sous sanctions.