Le Brexit et la Covid jouent un rôle majeur dans l’évolution actuelle du marché agroalimentaire au Royaume-Uni. On a eu l’occasion d’en prendre la mesure le 5 avril, lors d’un atelier sur les opportunités du marché britannique organisé dans le cadre des Journées export agro (JEA) de Business France et du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation.
Conséquence de la sortie de ce pays de l’Union européenne (UE), le système douanier britannique auquel doivent s’adapter les exportateurs de l’UE est en place depuis le 1er janvier dernier. A cet égard, ce serait une erreur de s’attendre à une certaine tolérance lors des contrôles à la frontière entre les deux pays et de prendre à la légère la préparation de ces nouvelles formalités.
S’agissant des produits agroalimentaires, Julie Poirot, conseiller adjoint aux Affaires agricoles à l’ambassade de France à Londres, a ainsi conseillé aux exportateurs tricolores « d’identifier les points de passage qui sont agréés aux frontières et qui peuvent varier selon les produits ».
Par ailleurs, pour opérer au Royaume-Uni, les entreprises françaises vont devoir respecter des formalités sanitaires et phytosanitaires (SPS) à l’export.
Un calendrier échelonné d’introduction des formalités SPS en 2022
Tout d’abord, chaque lot de marchandises entrant sur le marché britannique doit faire l’objet d’une pré notification par l’importateur client de l’entreprise française au Royaume-Uni. Ensuite, au cours de l’année, chaque produit va devoir être certifié SPS selon un calendrier échelonné.
Ainsi, la certification sera obligatoire à partir du 1er juillet 2022 pour les sous-produits animaux, viandes et produits à base de viande et végétaux réglementés, du 1er septembre pour les produits laitiers, et du 1er novembre pour les autres produits d’origine animale réglementés (œufs, ovoproduits, produits composés, à base de poisson…).
Pour les animaux vivants, les certificats sanitaires d’exportation pourraient être introduits en 2023.
Selon Julie Poirot, « il faut se faire aider, car ça prend du temps… et un représentant en douane enregistré sur place est indispensable en cas de problème ». Ce conseil est d’autant plus à prendre au sérieux que les douanes britanniques manquant d’effectifs, ont dû former et embaucher du personnel extérieur au métier « et qui a donc peu d’expérience », selon Florent Gacon, fondateur et directeur au Royaume-Uni de The French Comte, une société propriétaire d’épiceries fines, présente également en restauration, sur les marchés de Noël et en ligne.
Essor du e-commerce et de la consommation à domicile
Autre changement de fond, avec la Covid, le Royaume-Uni n’a pas échappé à la vague du e-commerce. Mais attention à ne pas se précipiter : « les ventes en ligne, c’est très bien, mais du Royaume-Uni, pas de France », a ainsi tempéré Florent Gacon, qui estime que « faire les papiers en douane pour une commande de 50 euros à partir de France ne vaut pas le coup ». Le plus simple est alors de travailler avec son importateur et distributeur local.
Une autre conséquence de la pandémie : les ménages ont redécouvert le plaisir de manger et de boire à la maison. L’expérience à domicile s’est ainsi fortement développée. Les familles se sont mises à cuisiner et ont suivi en ligne des cours de cuisine et d’œnologie, a expliqué Léa Ricetti, PR Director Sopexa UK. « N’oublions pas non plus qu’acheter une bière chez Tesco revient beaucoup moins cher que de la consommer au pub ! » a complété Florent Gacon.
Les déboires de la restauration et le besoin d’investir
La Covid a également touché la restauration, important segment pour l’agroalimentaire. Comme en France, le manque de barmen, de chefs ou de livreurs freine l’essor d’un secteur, qui, du coup, hésite à contracter avec des nouveaux clients. « Pour compenser le manque de personnel en cuisine, les dirigeants privilégieraient des solutions de préparation rapide de plats déjà tout près », a expliqué le directeur de The French Comte.
Un aspect plus positif pour les exportateurs tricolores : les utilisateurs d’équipement agroalimentaires britanniques, notamment dans la restauration, ont un besoin pressant de se moderniser. D’abord, ce sont souvent des PME qui ont été frappées lourdement par la crise sanitaire et qui, pendant des années, ont utilisé une main d’œuvre à bas coût de l’UE plutôt que d’investir dans le matériel et l’automatisation.
Autre niche d’intérêt pour les spécialistes français d’équipement, le transport. Pour réduire les coûts d’acheminement, sont recherchées des solutions d’automatisation permettant de diminuer l’encombrement du packaging.
Haro sur le plastique
2022 est aussi l’année de la mise en place de plusieurs règlementations importantes pour les exportateurs agroalimentaires. D’abord, la taxe appliquée aux emballages comportant moins de 30 % de plastique recyclable, depuis le 1er avril. Bien qu’une des grandes tendances de consommation soit l’éco responsabilité et l’éthique, le Royaume-Uni, où, par exemple, le plastique à usage unique est toujours employé (interdiction prévue en avril 2023), est très en retard par rapport à la France dans les plastiques.
« S’accrocher au plastique serait une hérésie, mais il y en a partout. Il faut prendre le train en marchant et ne pas courir après. Le réflexe doit donc être du plastique éco responsable. On en trouve déjà dans les fruits et légumes et les produits gourmets, et, dans dix ans, le plastique sera banni », a prévenu Frédéric Dersigny, directeur de Sopexa UK et Irlande. La nouvelle taxe, appelée UK Plastic Packaging Tax (PPT), touche autant les fabricants que les importateurs d’emballages, y compris quand ils contiennent des marchandises (exemple, les bouteilles en plastique).
Le décollage du bio et la lutte contre l’obésité
Autre date, le 1er juillet, l’instauration de certificats d’inspection pour les produits biologiques, un secteur prometteur, mais qui n’a pas encore atteint les niveaux de dépenses de la France (41 euros par habitant contre 178 euros en 2019).
Depuis 2010, le marché bio a bondi de 55 %, à 3 milliards d’euros en 2020. « Toutefois, pour mes clients qui ont un certain niveau social, et qui vont de temps en temps en France, notamment pour passer leurs vacances, le bio ne les intéresse pas, car ils connaissent les AOP (appellations d’origine protégée) », a nuancé Florent Gacon.
Enfin, à compter du 1er octobre, le nom de l’importateur devra obligatoirement figurer sur les étiquettes et, par ailleurs, les promotions des produits trop gras, sucrés ou salés, seront encadrées, une décision qui s’inscrit dans le cadre du plan national de lutte contre l’obésité, notamment infantile. La santé et les aliments et leur packaging constituent également une tendance lourde chez les consommateurs.
Six Britanniques sur dix se tourneraient dorénavant vers des nourritures et boissons spécialement conçues pour renforcer les défenses immunitaires. Les allégations fonctionnelles ont augmenté de 20 % ces cinq dernières années. D’où le choix très populaire outre-manche du « free from », c’est-à-dire du « sans » (sans gluten, sans sucre ajouté, lactose…). Dans le même ordre d’idée, le « binge-drinking » (beuverie massive en français), très pratiqué chez les jeunes, diminue, et de nouvelles boissons apparaissent, faiblement alcoolisées, avec une variété d’arômes et de goûts qui séduisent.
« Il faut être bon partout »
De façon générale, le marché britannique demeure très innovant. Mais aussi très changeant, ne serait-ce que parce que le consommateur est curieux. Est-ce que la mode du végan, par exemple, va durer ? S’il est encore trop tôt pour le dire, il est clair que le véganisme a le vent en poupe. Il prône une alimentation moins riche en produits d’origine animale et jugée favorable à la santé. Les Britanniques sont aussi très attachés au bien être animal.
Quels que soient les produits et les créneaux de distribution, les PME tricolores ont leur place. A quelques conditions près : « choisir le bon produit pour le bon créneau, offrir le bon prix, le bon packaging et réaliser une bonne communication sont indispensables, a notamment souligné Pauline Gauthier, cheffe du pôle Agrotech à Business France. Sur un marché aussi mâture et hyperconcurrentiel que le Royaume-Uni, il faut être bon partout ». Un avertissement qui doit être pris au sérieux.
François Pargny