Au Moyen-Orient, la politique de la France est une victime du conflit qui s’envenime entre les États-Unis et l’Iran, surtout depuis l’assassinat, le 3 janvier, en Irak du général iranien Qassem Soleimani, le chef de la force Al-Qods, branche armée des Gardiens de la révolution à l’étranger.
Ce qui est vrai sur le plan politique l’est aussi sur le plan commercial. En Iran, Paris a joué un rôle majeur dans la signature de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien ou plan d’action conjoint (en anglais : Joint Comprehensive Plan of Action / JCPoA), le 14 juillet 2015. Il en a été de même après le retrait des États-Unis du JCPoA, avec la création, en janvier 2019, d’Instex (acronyme anglais pour Instrument in Support of Trade Exchanges), une société proposant un système de compensation des échanges commerciaux pour contourner les sanctions américaines.
Des efforts jusqu’à présent insuffisants pour éviter que les exportations françaises ne tombent à un niveau historiquement bas. Ainsi, sur les onze premiers mois de 2019, elles s’établissaient à 345 millions d’euros, composées essentiellement de médicaments, d’optique, de produits chimiques organiques et de céréales. Ce montant était encore inférieur aux 373 000 euros de ventes de l’Hexagone à l’Irak, avec, pour principaux produits, des ouvrages en fonte, fer et acier, des médicaments, des préparations à base de céréales et de la mécanique.
G. Le Bras : « nous sommes passés d’une logique de diplomatie à un théâtre de guerre »
Deux ans plus tôt, en 2017, les exportations françaises en Iran s’élevaient à 1,5 milliard d’euros en 2017. Elles avaient, cependant, chuté à 868 millions en 2018, année du retrait des États-Unis et du rétablissement des sanctions américaines.
« Aujourd’hui, nous sommes passés d’une logique de diplomatie à un théâtre de guerre », observait Gurvan Le Bras, directeur adjoint du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (Caps), un groupe de réflexion du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, à l’occasion d’un débat (notre photo) sur les perspectives 2020 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, organisé par l’Ifri (Institut français des relations internationales).
Compte tenu de la forte implication de l’Iran dans certains pays de la zone, comme la Syrie, le Liban, le Yémen ou les Territoires palestiniens, c’est tout le Moyen-Orient que risque de bousculer le bras de fer avec les États-Unis. Toutefois, le scénario actuel serait plutôt celui de « la retenue ». Et ce, malgré l’envoi d’une vingtaine de missiles par l’Iran sur des bases militaires irakiennes abritant des soldats américains,. « La porte n’est pas totalement fermée. Téhéran est prêt à parler aux Européens, mais pas aux Américains », précisait Delphine Minoui, correspondante du Figaro au Moyen-Orient.
Le risque d’engrenage
En dépit de cette retenue, une confrontation militaire entre les États-Unis et l’Iran ne peut être exclue.
Gurvan Le Bras pense que Téhéran « ira plus loin que de simples missiles pour venger la mort du général Soleimani, afin de restaurer sa crédibilité ». L’Iran pourrait être aussi tenté de jouer une carte avant les élections présidentielles aux États-Unis (3 novembre 2020) et d’entraîner Donald Trump dans un jeu dangereux. Le chef de la Maison-Blanche pour ne pas faire acte de faiblesse pourrait alors de laisser pendre dans un engrenage qu’il ne maîtriserait plus tout à fait.
Dans ce contexte de confrontation musclée au Moyen-Orient, les efforts de la France en Irak paraissent aussi mal récompensés. Paris a essayé de mobiliser pour aboutir à un règlement politique et entamer la reconstruction du pays. L’espoir étant, au bout du compte, de transformer Bagdad en un pôle de stabilité régionale.
France : des efforts diplomaties pour l’instant vains en Irak
Tout cela paraît loin, sur fond de contestation sociale contre un régime réputé corrompu et contre les ingérences extérieures de l’Iran, des États-Unis, mais aussi de l’ensemble de la coalition internationale en lutte contre l’État islamique (Deach). Une coalition, au demeurant, dont Donald Trump voudrait retirer les troupes américaines, fragilisant sur le terrain les alliés européens des États-Unis, dont la France.
Or, Paris a également beaucoup misé sur le marché de l’Irak. Entre 2005 et 2008, la France a annulé près de 5 milliards d’euros de dettes irakiennes. Et environ 500 millions d’euros ont plus tard été prêtés pour la reconstruction, par exemple pour la réhabilitation de la faculté de médecine de l’université de Ninive à Mossoul.
L’an dernier, lors de la première visite du Premier ministre irakien Adel Abdel-Mehdi à Paris, les 2 et 3 mai, Emmanuel Macron a souhaité « pouvoir mobiliser pleinement » les milieux d’affaires français dans certains domaines : transport, énergie, agriculture, eau, gestion urbaine. Cerise sur le gâteau, une ligne de financement d’un milliard d’euros sur cinq ans (2019-2022), via l’Agence française de développement (AFD), a été annoncée pour réaliser des projets de reconstruction des infrastructures dans le pays, notamment dans les zones les plus déshéritées, à Mossoul et dans le Sinjar.
Le retour en force de Daech
Jean-Yves Le Drian, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, s’est déplacé quelques mois plus tard, les 17 et 18 octobre à Bagdad. La France se déclarait prête alors à mobiliser dix millions d’euros pour répondre à l’urgence humanitaire, notamment au bénéfice des réfugiés en Irak.
« Le retrait des États-Unis de ce pays serait une divine surprise pour Daech », commentait sèchement Gurvan Le Bras. Selon Adel Bakawan, directeur du centre de sociologie de l’Irak (université de Soran dans le gouvernorat d’Erbil), « les dirigeants militaires savent où frapper Daech ». Mais ils ne pourraient pas, faute de consensus politique entre Bagdad, Erbil (capitale du Kurdistan irakien) et la coalition internationale. Ce qui expliquerait le retour en force de l’État islamique en Irak.
François Pargny