Pour bien maîtriser leurs flux à l’international, les entreprises s’équipent progressivement de systèmes informatisés capables de prendre en charge tous les maillons de leur chaîne logistique. Un investissement souvent coûteux pour des résultats jugés parfois inégaux, mais incontournable. Explications.
La crise semble s’estomper peu à peu, et les échanges de biens avec l’étranger repartent à la hausse, si l’on s’en réfère au rebond de 6,5 % de croissance du commerce international mondial anticipé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour l’ensemble de l’année 2011.
Or, plus les flux à l’importation et à l’exportation augmentent, plus les entreprises sont contraintes de s’appuyer sur des outils informatiques capables de gérer au mieux ces échanges de plus en plus complexes. Pour maîtriser cette difficulté et choisir le dispositif logistique le plus pertinent, le recours à des logiciels de gestion des flux physiques et de données s’impose désormais.
L’offre est considérable. Elle s’étend du logiciel maison aux ERP (Entreprise Resource Planning), qui sont des progiciels de gestion intégrée, en passant par des programmes spécialisés dans la gestion des entrepôts baptisés WMS (Warehouse management system) ou des transports, dits TMS (Transport Management System).
On trouve dans ces catégories des éditeurs comme Aldata, DDS, Manhattan Associates, RedPrairie, Hardis, a-SIS (Savoye), KLS, Infflux, Generix ou Sage (liste non exhaustive). Ces systèmes ont un coût et s’adressent d’abord aux plus grandes entreprises, aux multinationales et aux entreprises de taille intermédiaire.
Comme souvent, ce sont les grands donneurs d’ordres qui jouent un rôle moteur dans ces investissements de pointe. Ils essuient les aléas et les pots cassés, avant d’imposer ces systèmes d’organisation à leurs propres fournisseurs.
De leur côté, les entreprises plus petites et plus indépendantes optent fréquemment pour un logiciel maison, c’est-à-dire développé en interne par leurs informaticiens. Ainsi, une entreprise de taille moyenne, comme Ginestet (80 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel), négociant en vins de Bordeaux, a d’abord choisi de sous-traiter sa logistique à un prestataire, en l’occurrence la société bordelaise Mitsiu, équipé du progiciel de gestion d’entrepôts (WMS) Reflex de l’éditeur Hardis. Mais le négociant, qui traite un flux annuel de 20 000 bouteilles, a décidé ensuite de piloter lui-même une grande partie de ses expéditions internationales.
Toujours dans le secteur du vin, la maison de champagne Drappier, qui emploie une trentaine de personnes et exporte les deux tiers de sa production (1,5 million de bouteilles), gère ses flux internationaux à l’aide d’un logiciel commercial développé en interne ainsi que du soft dédié au secteur vinicole de Vitaréa pour la
gestion de ses stocks. « Nous travaillons avec des importateurs indépendants. Nos stocks France et export sont séparés, le second étant le plus important. Le fait de travailler avec un système artisanal est un choix qui s’explique par notre petite taille », explique au Moci Samuel Thomas, gérant de la maison Drappier. D’autres entreprises ont décidé de s’équiper de logiciels du marché pour mieux organiser leurs flux internationaux. C’est le cas de But (1,66 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2008 et 6600 employés). L’enseigne d’électroménager possède quatre plateformes logistiques, dont trois en France et une en Chine (Shenzhen). Les expéditions depuis la Chine se font en conteneurs vers Le Havre, Fos-sur-Mer ou Anvers selon la localisation des magasins à approvisionner.
Un module pour tracer les conteneurs
Les besoins de l’enseigne en matière de supply chain sont multiples : suivi et traçabilité des expéditions, gestion de l’entrepôt chinois, pilotage des flux entre Shenzhen et la France, etc.
Pour ce faire, But a déployé en Chine les outils de l’éditeur américain Manhattan Associates : à savoir, les logiciels de gestion d’entrepôt WMOS et de suivi des flux EEM (Extended Enterprise Management). « L’ouverture de la plateforme à Shenzhen date de début 2010. Il n’y avait donc pas de système d’information. Aussi, nous avons déployé le WMS mis en place en France, interfacé avec notre ERP maison », détaille David Lebozec, directeur supply chain. L’enseigne a choisi cet éditeur en raison d’une offre plus large que la simple gestion d’entrepôts, comme le suivi des conteneurs. En l’occurrence, WMS améliore la préparation et l’expédition des colis, grâce en particulier à l’optimisation du picking (opérations de prélèvement des colis par un conducteur de chariot dans un entrepôt). Quant au module EEM, il assure le lien entre les plateformes, le suivi des conteneurs et la liaison avec les fournisseurs, ainsi que la gestion du cross docking (transbordement rapide) des colis en provenance de Shenzhen dans les entrepôts français.
Les logiciels de Manhattan Associates sont connectés à l’ERP maison de But, mais également aux systèmes de préparation vocale utilisés en France et de préparation par radiofréquence qui équipe l’entrepôt chinois.
Pour le directeur supply chain, ces progiciels aident l’enseigne à résoudre les problématiques douanières (gestion des stocks sous douane en Chine et préparation des documents douaniers), ainsi que la gestion du transport par conteneur, le suivi des conteneurs 24 heures sur 24 et la mise en ligne des documents qui les accompagnent : « Les résultats obtenus suite à l’implantation de ces logiciels sont positifs : meilleure qualité de la préparation de commandes, gains de productivité et un retour sur investissement en phase avec le plan de marche prévu. » La dimension internationale est au cœur de la stratégie de But, dont les approvisionnements depuis l’Asie vont encore augmenter. Le groupe prévoit d’ailleurs d’ouvrir une seconde plate-forme en Chine. C’est pourquoi l’enseigne s’est doté de ce type de logiciels, dont le coût est important : son prix débute à 150 000 euros. Pour Sylvain Guinand, chef de projet chez Manhattan Associates, les logiciels de cet éditeur sont plutôt adaptés aux entreprises qui réalisent au moins 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. « Mais une PME peut aussi acheter uniquement le module EEM. Le coût dépendra du nombre de personnes qui l’utilisent », précise-t-il.
Gérer ses filiales avec un ERP
D’autres sociétés ont préféré gérer leurs flux internationaux avec un ERP, un type de progiciel qui possède un éventail de fonctions très large (comptabilité, ressources humaines, supply chain). Tel est le cas de la société Genoyer (351 millions d’euros de chiffres d’affaires, 1 200 employés) qui réalise 90 % de ses activités à l’export. Son métier : la fabrication d’équipements pour le transport des fluides (gaz, pétrole, eau, produits pétrochimiques).
Avec 11 implantations industrielles et 29 commerciales dans le monde entier, Genoyer s’est équipé depuis 1998 de l’ERP de Generix. « Nous l’avons choisi après une longue réflexion, car c’est un outil centralisé qui nous permet une gestion commune de nos filiales à l’étranger », explique Olivier Damichel, directeur des systèmes d’information. Chez Genoyer, les filiales achètent le matériel au siège et l’ERP se charge de gérer les échanges d’informations. Pour les flux physiques, Generix gère les packing lists (listes d’éléments d’expédition), les documents de douane ainsi que les entrepôts (gestion de stocks). La traçabilité est également intégrée à l’ERP.
Pour certains clients, ce que Genoyer nomme les « projets intégraux », avec de forts tonnages et des commandes régulières sur trois ans, la société française met un stock à disponibilité à côté du chantier de construction.
« Nous alimentons ce stock dans lequel le client vient se fournir », détaille Olivier Damichel. Genoyer s’interface ensuite avec les outils informatiques du client pour lui fournir certaines informations (état du stock, sorties de matériel, etc.). L’outil informatique permet de piloter toutes les filiales de la même manière, hormis les exceptions locales (devises, transit). Les documents douaniers sont gérés par un logiciel maison branché sur le système Delta des douanes françaises.
Pour faciliter l’usage de cet ERP, Genoyer utilise le module baptisé « Igx » dont se servent plus de 400 utilisateurs, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Selon le directeur des systèmes d’informations de Genoyer, « l’ERP de Generix est un instrument efficace pour bien gérer une activité de négoce, mais l’éditeur pourrait être plus réactif. Par exemple, il manque un module de finance en ligne ».
Reste que ces logiciels sont onéreux à l’achat et à l’usage, et souvent hors de portée des entreprises les plus petites, qui préfèrent s’en remettre à leurs prestataires logistiques, qui, eux, ont les moyens d’acquérir ces systèmes informatiques.
Mais la montée en puissance du cloud computing et des logiciels à la demande accessibles sur Internet, également désignés sous les vocables « on demand » ou SaaS (voir article), devrait permettre aux petites entreprises de jouer à armes (presque) égales avec les groupes internationaux.
Patrick Cappelli