Promise à chaque grande crise, la démondialisation n’est pas pour demain selon une étude du McKinsey Global Institute (MGI). En revanche, elle change de nature et les chaînes de valeur sont actuellement en pleine reconfiguration.
Pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, tensions croissantes entre le Chine et les Etats-Unis… les occasions de voir le monde se replier sur lui-même n’ont pas manqué ces dernières années. « Les preuves suggèrent que l’intégration mondiale est là pour rester, bien qu’avec des nuances », avancent les analyses du MGI.
Premier constat : les flux mondiaux changent de nature. Longtemps tirés par le commerce des biens, dont la part dans l’économie mondiale s’est stabilisée à partir de 2008 après trois décennies de croissance fulgurante, ils sont désormais traversées par une nouvelle dynamique. « Les flux de services, d’étudiants internationaux et de propriété intellectuelle ont augmenté environ deux fois plus vite que les flux de marchandises en 2010-2019 », rapporte l’étude.
Forte hausse des flux de services
Parmi les services ce sont ceux dits « à forte intensité de connaissance » tels les services professionnels, les services gouvernementaux, les services informatiques et les télécommunications qui ont enregistré la croissance la plus rapide. Les données, le nouvel or des entreprises internationalisées, ont quant à elles vu leur flux exploser : entre 2010 et 2019 ils ont bondi de près de 50 % par an. Et le tendance devrait se poursuivre. Pendant la crise sanitaire, elles ont effet permis aux entreprises de continuer à travailler.
Le commerce de produits manufacturés, malgré les fortes perturbations des chaînes d’approvisionnement à permis aux différentes régions du monde de continuer à consommer. « Les chaînes d’approvisionnement asiatiques ont pu compenser la baisse de la production des chaînes d’approvisionnement occidentales en 2020 », souligne le MGI. Cette résilience des supply chains a permis au commerce de biens d’atteindre un niveau record en 2021. « En 2022, le commerce des marchandises devrait continuer de croître plus rapidement que le PIB malgré de nouvelles perturbations. »
Des économies fortement interconnectées
Chaque région a importé 25 % ou plus (en valeur) d’au moins un type important de ressource ou de produit manufacturé dont elle a besoin, et souvent beaucoup plus. Concrètement, aucune région du monde ne peut actuellement prétendre à l’autosuffisance.
L’Asie-Pacifique est ainsi le premier exportateur mondial de produits manufacturés et le plus grand fournisseur d’électronique, mais elle importe plus de 25 % de ses besoins en ressources énergétiques ainsi que des biens intermédiaires essentiels. La Chine importe plus de 25 % de ses besoins en minerais principalement du Brésil, du Chili et de l’Afrique du Sud. L’Europe et l’Amérique du Nord fournissent une grande partie des machines de pointe et du savoir-faire immatériel qui soutiennent la production d’électronique de pointe comme les semi-conducteurs.
L’Europe importe plus de 50 % de ses besoins en ressources énergétiques. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les économies européennes tentent de diversifier les sources de gaz naturel loin de la Russie. L’Europe dépend également des autres régions pour des apports spécifiques. Par exemple, elle est un important exportateur net de produits pharmaceutiques, mais dépend de l’Asie-Pacifique pour les apports cruciaux d’ingrédients pharmaceutiques actifs.
Les régions riches en ressources naturelles, à savoir l’Europe de l’Est et l’Asie centrale, l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA) et l’Afrique subsaharienne importent à peu près à parts égales des produits manufacturés d’Asie-Pacifique et d’Europe, mais l’Asie-Pacifique est le principal partenaire de ces régions pour les flux d’électronique, de textiles et de métaux de base. L’Europe demeure le principal partenaire pour les produits pharmaceutiques et les biens d’équipement.
La région MENA est le plus grand exportateur net de ressources énergétiques, mais elle dépend d’autres régions pour plus de 60 % des principales cultures dont elle a besoin pour se nourrir. Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de grands couloirs affluaient dans la région depuis ces deux pays. En Amérique latine, Le Brésil et l’Argentine sont deux des plus grands exportateurs de céréales au monde, mais ils dépendent des flux d’engrais en provenance du reste du monde, notamment de Russie et de Biélorussie.
Enfin l’Amérique du Nord importe environ 15 % de ses besoins de consommation électronique, et l’Asie-Pacifique représente environ 85 % de ces importations, réparties à peu près entre la Chine et les autres économies de la région. L’Amérique du Nord importe également environ 10 % de sa consommation de minéraux, là encore avec l’Asie-Pacifique.
Les gouvernements veulent peser sur la reconfiguration des chaînes de valeur
La concentration de produits dans quelques zones géographiques existent dans tous les secteurs et plus particulièrement dans l’électronique et les mines. Elle est une « pièce à double face » selon les analystes du MGI. Elle permet des gains d’efficacité mais expose à des risques de rupture d’approvisionnement quand il n’existe pas d’alternative à court terme.
Toujours est-il qu’aujourd’hui les Etats, poussés par des considérations de sécurité nationale, de compétitivité ou de résilience, cherchent à influencer la reconfiguration de certaines chaînes de valeur. « Dans le cas des semi-conducteurs, par exemple, les États-Unis, l’Union européenne, la Corée du Sud, la Chine et le Japon ont tous annoncé des mesures pour renforcer les chaînes de valeur nationales, note l’étude du MGI. De nouvelles mesures visant à découpler les technologies et à restreindre les flux de données pourraient également influer sur les chaînes de valeur, en particulier celles qui sont jugées essentielles pour les priorités stratégiques nationales. »
Et ces initiatives gouvernementales visant à sécuriser des chaînes d’approvisionnement et à maintenir la production localement ne va pas sans friction. Pour preuve, les vives inquiétudes qu’ont récemment suscité en Europe l’Inflation Reduction Act qui entrera en vigueur dans quelques jours aux Etats-Unis.
Sophie Creusillet