Dans la dernière édition de son Indice de perception de la corruption (IPC), l’ONG Transparency International relève que, depuis 2017, 95 % des pays n’ont réalisé des progrès que très faibles, voire inexistants, dans la lutte contre ce fléau. Un constat d’échec, alors que le monde s’enlise dans une spirale de conflits armés particulièrement propices à son aggravation.
Et de onze ! Pour la onzième année consécutive, la moyenne mondiale de l’IPC reste inchangée à 43/100 (0 représentant une forte corruption et 100 aucune) et plus des deux tiers des 180 pays font face à de sérieux problèmes de corruption dans le secteur public, affichant un score inférieur à 50.
Les trois mêmes pays caracolent toujours en tête des plus vertueux : le Danemark avec un IPC de 90, suivi par la Finlande et la Nouvelle-Zélande à 87. A l’opposé, la Somalie, la Syrie et le Soudan du Sud, trois pays impliqués dans des conflits de longue date, ferment ce classement.
Des exemples de conflits plus récents le confirment : l’insécurité et la corruption se nourrissent l’une l’autre. « Les malversations, les détournements et les vols de fonds publics ont pour effet de priver les institutions en charge de la protection des citoyens, du respect de l’État de droit et du maintien de la paix, des ressources nécessaires pour remplir ces missions essentielles, constate Transparency International. Les groupements criminels et terroristes profitent souvent de l’aide et de la complicité de fonctionnaires corrompus, agents [du maintien] de l’ordre, juges ou politiciens, ce qui leur permet d’opérer en toute impunité et de prospérer. »
La corruption, les conflits et les problèmes sécuritaires sont profondément liés
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a brutalement rappelé au monde le pouvoir de nuisance d’un régime corrompu au-delà de ses frontières. En Russie, la kleptocratie a permis à certains d’amasser des fortunes considérables. En jurant fidélité au président Vladimir Poutine, ils se sont vus attribuer des contrats publics lucratifs. « L’absence de contrepoids au pouvoir de Poutine lui permet de poursuivre ses ambitions géopolitiques en toute impunité », ajoute l’ONG.
Au Soudan du Sud, qui traverse une crise humanitaire majeure, l’insécurité alimentaire est exacerbée par la corruption. Une étude de l’organisation The Sentry a ainsi démontré l’an dernier qu’un système de fraude, monté par des politiciens corrompus ayant des liens avec le Président, avait permis de détourner des fonds d’aide. Au Yémen (16), ce sont des plaintes pour corruption qui ont contribué à déclencher une guerre civile qui dure depuis plus de huit ans et a provoqué une grave crise humanitaire.
Sans connaître sur son sol de conflit armé à proprement parler, le Brésil (38) présente un détonnant mélange de corruption et d’autoritarisme qui, combiné à un fort ralentissement économique, s’est avéré particulièrement explosif. En témoignent les violentes attaques contre le Parlement, la Cour suprême et le palais présidentiel, en janvier, suite à l’échec de Jair Bolsonaro à se faire réélire malgré des pratiques douteuses pour favoriser ses partisans et des campagnes de désinformation.
Le secteur de la défense dans la ligne de mire
Les pays où la corruption est traditionnellement faible ne sont pas à l’abri. Alors que de nombreux États s’apprêtent à augmenter leurs budgets militaires, seuls 9 pays sur les 85 évalués dans l’Indice d’intégrité gouvernementale dans le secteur de la défense présentent un risque de corruption faible ou très faible.
« En Allemagne (79), par exemple, le gouvernement a constitué un nouveau fonds de 100 milliards d’euros pour réorganiser les forces armées ; mais si en conséquence les procédures de passation de marchés sont simplifiées, cela peut être la porte ouverte à la corruption, avance Transparency International. Néanmoins, une nouvelle stratégie nationale de sécurité est actuellement en discussion au sein du pouvoir exécutif, qui pourrait être l’occasion de renforcer les mécanismes d’intégrité et de transparence si elle est adoptée. »
« La bonne nouvelle c’est que les dirigeants peuvent en même temps combattre la corruption et promouvoir la paix, a déclaré Daniel Eriksson, directeur général de l’ONG. Les gouvernements doivent ouvrir des espaces permettant aux citoyens – militants, entrepreneurs, membres de communautés marginalisées, jeunes, etc. – de participer à la prise de décisions. Dans les sociétés démocratiques, le peuple peut faire entendre sa voix pour aider à éradiquer la corruption et exiger un monde plus sûr pour tous. »
Sophie Creusillet