La France compte 135 000 exportateurs, à plus de 95 % des PME et TPE, dont seulement une sur trois exporte plus de 2 ans d’affilés. Opportunistes, manquant de vision et de moyens, les PME françaises peinent à se développer à l’export dans la durée. Les inciter à « chasser en meute » est brandi depuis longtemps comme la solution pour remédier à cette fragilité. A ce terme trop guerrier, Anne Martel-Reison, fondatrice du cabinet de conseil EOC international et Jean-Christophe Gessler, Enseignant et chercheur (IAE de Poitiers), spécialiste de l’internationalisation des PME en réseau, préfèrent celui d’exportation collaborative, qui renvoie à une démarche stratégique structurante. Ils l’expliquent de façon pédagogique et concrète dans le tout premier ouvrage consacré à cette stratégie, « L’exportation collaborative – Se regrouper pour exporter », paru dans la nouvelle collection Les cahiers de l’international du think tank la Fabrique de l’exportation *. Le Moci a voulu en savoir plus.
Le Moci. Pourquoi ce guide sur l’Exportation collaborative ?

Jean-Christophe Gessler. Nous avons des expertises complémentaires, Anne et moi. Dans ce livre, nous associons nos deux expériences et vécus. Pourquoi aujourd’hui ? Car c’est un sujet qui est dans l’air, qu’Anne côtoie sur le terrain depuis bientôt 15 ans et moi depuis 7 ans via mes travaux de recherche. Mais le sujet du collaboratif reste très diffus dans l’écosystème exportateur : il suscite l’intérêt mais le savoir-faire associé est hyper atomisé en France : il y a quelques personnes qui savent faire et de belles success stories mais sur lesquelles on n’a jamais vraiment communiqué. Du coup, tous ceux qui souhaitent davantage s’appuyer sur leur réseau, et faire du collaboratif pour se développer à l’export, ne savent pas vraiment comment s’y prendre et doivent en quelque sorte réinventer l’eau chaude. Nous nous sommes donc dit qu’il était important de créer un document qui centralise la compétence dans ce domaine et avons rédigé ce manuel en partenariat avec la Fabrique de l’exportation.

Anne Martel-Reison. Je complèterai avec deux observations. D’abord, on commençait à entendre parler du collaboratif un peu n’importe comment, sans que soit posée une définition précise du concept et des pratiques. Deuxièmement, je pense que la crise du Covid a amené l’écosystème à réfléchir pour faire les choses un peu autrement, car il a fallu se serrer davantage les coudes, échanger des idées et surtout trouver des solutions à des situations inédites où les déplacements n’étaient plus possibles.
On a vu qu’avoir un relais présentiel dans un pays était un facteur de réussite en pareilles circonstances et que l’établir à plusieurs était une solution plus intéressante en termes de coût et d’organisation.
« Se donner des moyens
pour s’ancrer à l’international dans la durée »
Le Moci. En l’occurrence, dans le guide, vous écrivez ne pas beaucoup aimer le « chasser en meute » auquel l’exportation collaborative est souvent assimilée ; ce n’est pas non plus le portage qui est une relation grand groupe – PME…
A M-R. Avec Jean- Christophe on s’est tout de suite retrouvés sur cette question. « Chasser en meute » est une expression qui circule depuis 25 ans dans l’écosystème. Nous trouvons qu’elle fait penser à une bataille, avec une proie, et donc un perdant. Or, dans notre esprit, coopérer sert surtout à construire un projet avec nos partenaires à l’étranger ; nous avons donc préféré une nouvelle expression. Et nous pensons que le tissu économique de la France offre de superbes opportunités de partenariats entre PME.
Le Moci. Pensez-vous que l’approche « exportation collaborative » permettrait de réellement booster l’export des PME françaises ?
JC G. Oui si on parle de surmonter des barrières que rencontrent les entreprises c’est à dire souvent une méconnaissance des marchés, des moyens insuffisants pour s’y maintenir, pas assez de ténacité. Les statistiques montrent que la plupart des exportateurs font une faible part de leur chiffre d’affaires à l’export, et qu’ils n’y restent pas : beaucoup mettent un pied une année, mais se retirent l’année suivante. L’exportation collaborative est une stratégie pour, au contraire, se donner des moyens pour s’ancrer à l’international dans la durée.
A M-R. On ne vend pas une recette miracle, mais aujourd’hui on a un déficit d’exportateurs « longs ». Trop de PME sont opportunistes, papillonnent, sans avoir une vision stratégique structurée de ce qu’elles peuvent et veulent faire à l’international. L’exportation collaborative est une option stratégique qui mérite d’être tentée car le fait d’être à plusieurs oblige à se doter d’une vision, d’un cap, et à s’y tenir. Cela amène à mieux se structurer, mais permet et apporte aussi une meilleure visibilité dans les pays porteurs souvent lointains, avec des coûts d’approche plus abordables. J’ai souvent entendu des exportateurs reconnaître qu’ils seraient plus attractifs s’ils étaient plus visibles, s’ils s’inscrivaient dans une offre un peu plus large sous forme d’un catalogue de solutions, tout en ne sachant pas trop avec qui et comment le faire, faute de temps pour s’en occuper.
Costral et Albagnac collaborent
dans les solutions de mise en bouteille
Le Moci. Votre guide contient plusieurs exemples concrets de success stories. Votre favorite ?
JC G. Avant de vous répondre, j’aimerais préciser qu’un accord d’exportation collaborative n’est pas forcément fait pour durer toujours, il sert d’abord à grandir, par exemple sur un horizon de trois, cinq ou sept ans. Mais cela peut aller au-delà, bien entendu.
L’exemple que j’ai en tête concerne la collaboration entre deux PME industrielles complémentaires dans le domaine de la viniculture : Costral en Alsace, qui fait des machines d’embouteillage, et Albagnac dans le Lot, qui produit des machines pour l’étiquetage des bouteilles, deux PME qui font aujourd’hui plus de la moitié de leur chiffre d’affaires à l’export. Elles ont commencé à travailler ensemble dans les années 80 ; les fils des dirigeants ont repris les rênes et entretenu cette confiance, cela fait donc 30 ans que ça dure. Ils font du collaboratif pour aborder ensemble les marchés étrangers des alcools et spiritueux. Ils exposent en commun sur les salons, se concertent avant de développer de nouveaux produits, et arrivent sur les marchés avec une solution complète de mise en bouteille. Sur les sites Internet de leurs distributeurs étrangers respectifs, on trouvera systématiquement les deux partenaires sur la page consacrée aux à la mise en bouteille.
Dans le même esprit, ils ont récemment créé une alliance, l’alliance Made in France, avec deux autres industriels du secteur du conditionnement.
C’est donc un exemple original et inspirant par sa durée dans le temps, par les synergies établies et par la fluidité de leur collaboration. Mais on remarque que cette confiance a mis longtemps à émerger, en s’appuyant sur des liens anciens. Pour quelqu’un qui veut rapidement faire du collaboratif, il faut le plus souvent une impulsion extérieure et un encadrement qui joueront un rôle facilitateur.
« Beaucoup d’industriels sont déjà
sur la voie du collaboratif sans le savoir »
Le Moci. C’est dans l’agroalimentaire que l’on a vu le plus d’exemples de projets d’exportation collaborative. Pour quelle raison ?
A M-R. Dans ce secteur, il y a beaucoup de petites TPE et PME, avec des métiers différents et des produits complémentaires : c’est précieux lorsque vous avez besoin de remplir un rayon. C’est aussi un pôle d’excellence en France, sur lequel on nous attend. Chez EOC, on est en train de prospecter les États-Unis avec 4 marques très complémentaires, toutes plus que centenaires, qui forment un joli catalogue à présenter aux acheteurs potentiels. Car il est plus facile d’arriver avec une offre composée d’épices, de produits tartinables, et de vinaigre plutôt qu’avec un seul de ces produits.
C’est un peu la même chose dans l’agro-industrie : sur le marché des laiteries, par exemple dans des pays comme le Vietnam pour lequel nous avons un projet, il est totalement logique d’y aller en mode collaboratif pour offrir une solution globale associant plusieurs fournisseurs, clé en main. J’essaye aussi de développer cette démarche dans le secteur des cosmétiques mais cela prend du temps.
JC G. En fait, beaucoup d’industriels sont déjà sur la voie du collaboratif sans le savoir. J’ai un autre exemple en tête : il s’agit de six sociétés françaises qui ont décidé d’aller ensemble au Danemark sur le World Tunnel Congress 2022 pour proposer une solution la plus complète possible pour percer les tunnels. Globalement, il y a deux situations pour lesquelles le collaboratif apporte un plus : offrir plus de choix au prospect, et offrir une solution complète. L’industrie et les biens d’équipement sont donc tout à fait concernés également.
« La faiblesse fréquente dans notre pays
c’est qu’on ne se met pas assez à la place du client »
Le Moci. Les missions de prospection collective traditionnelles ne permettent-elles pas d’obtenir ces résultats ?
A M-R. La faiblesse fréquente dans notre pays c’est qu’on ne se met pas assez à la place du client. Adoptez le point de vue, par exemple, d’un domaine vinicole argentin qui va recevoir les unes après les autres des PME françaises venues en mission collective avec chacune une offre sur un bout de la chaîne de valeur. Elles vont toutes rencontrer la même personne mais en ordre dispersé, sans synergies, et sans apporter une vision globale au client.
Il y a encore beaucoup d’évangélisation à faire. Il faut par exemple arrêter de mettre de l’argent public dans des missions collectives de 3 jours qui ne servent à rien faute de préparation et de suivi. L’exportation collaborative peut être une solution adaptée pour certains secteurs et certaines entreprises.
Le contrat de réseau italien :
« Nous pensons que la France pourrait s’en inspirer »
Le Moci. Un sujet que vous abordez dans votre guide, c’est que la France ne dispose pas d’un cadre juridique adapté à l’exportation collaborative. Alors que vous militez pour la création d’un contrat de réseau, assez souple, il n’y a le choix qu’entre l’association Loi 1901 et le Groupement d’intérêt économique, qui tous deux sont lourds en contraintes administratives. Vous citez l’Italie comme exemple, pour quelle raison ?
JC G. Quand le système industriel des districts, structuré par territoire et par domaine d’activité, a montré certaines limites pour des entreprises qui cherchent des collaborations avec d’autres secteurs et dans d’autres régions, la Confindustria a planché sur un nouveau cadre plus flexible et le gouvernement l’a adopté en 2009 : le contrat de réseau. Il permet à ceux qui veulent travailler ensemble de se doter d’un cadre juridique pour le faire. Dans un contrat de réseau sont indiqué les participants, leur motivations et objectifs, les apports des uns et des autres, la durée. C’est un cadre légal assez souple qui clarifie les engagements.
A M-R. Avec mon cabinet, nous faisons signer une charte d’engagement aux entreprises accompagnées quand ce n’est pas une fédération comme l’Ania qui porte le projet collaboratif.
Le Moci. En Italie, ce contrat de réseau a eu un certain succès : 7450 contrats signés à fin 2021, pour une durée moyenne de 3 ans et demi, 42 000 entreprises participantes …
JC G. Oui, et c’est en croissance d’environ 10 % par an. Mais attention, il s’agit d’un contrat généraliste qui ne porte pas que sur l’export. Nous pensons que la France pourrait s’en inspirer pour faciliter le développement de projets en créant un contrat d’exportation collaborative.
Un projet pilote de plateforme dans le secteur agri-agro
Le Moci. Dans votre guide, vous suggérez également la création d’une plateforme, une banque de projets collaboratifs… De telles plateformes avaient émergé il y a quelques années, lors de premiers événements autour de l’exportation collaborative organisés avec le Medef, notamment dans l’agroalimentaire et la ville durable. S’agit-il de les relancer ?
A M-R. Les plateformes créées en 2016 n’ont pas été maintenues par la suite. Puis le ministère de l’Agriculture a lancé des appels à projet pour promouvoir le concept de groupement en région avec nous comme partenaires techniques. On a refait la plateforme, avec l’accord du Medef, pour la semaine de l’Export collaborative du 6 décembre 2021, avec une orientation agro. C’était une plateforme événementielle ; or, de nombreux projets nous sont remontés via nos réseaux, par les CCI, les ministères, les ambassades.
Aujourd’hui, nous travaillons avec France Agrimer pour transformer cette plateforme en un vrai outil d’échanges entre porteurs de projets et apporteurs de solutions pour l’ensemble du secteur agri-agro. Ce projet pilote a été présenté aux différentes interprofessions, certaines ont dit oui directement, d’autres demandent plus de temps. On doit aussi le présenter encore à un certain nombre de filières. A terme, il faudra aussi que le privé s’en empare car ce sont des enjeux qui concernent avant tout la construction de la stratégie commerciale.
Propos recueillis
par Christine Gilguy
*L’exportation collaborative- Se regrouper pour exporter. Anne Martel-Reison, Jean-Christophe Gessler. Editeur : EOC.
Paru dans la collection Les cahiers de l’international de la Fabrique de l’exportation-88 pages, 17 €.
Disponible à la vente sur Amazon.fr.