Avec plus de 20 000 morts à la date du 19 avril 2020, l’Espagne est l’un des pays européens les plus touchés par la pandémie de Covid-19. Mais c’est le tissu économique des PME qui suscite le plus de craintes en termes de défaillances, et certains secteurs tirent mieux leur épingle du jeu que d’autres.
Le panorama global est sombre, comme un peu partout dans le sud de l’Europe. L’économie espagnole est en train de subir un choc de grande ampleur avec une baisse prévue du PIB de 8 % en 2020 selon le « World Economic Outlook » du FMI : l’impact est d’autant plus important que le pays avait affiché une progression de 2 % en 2019. Plus grave, le taux de chômage prévu à 20,8 % en 2020 (contre 14,1 % en 2019) devrait être le plus élevé en Europe après la Grèce.
Comme le rappelait récemment l’économiste espagnol José Carlos Díez, les entreprises et les ménages ont fortement réduit leur endettement depuis la grave crise de 2007. Le problème va se situer, cette fois, au niveau des finances de l’État avec un déficit équivalent à 9,5 % du PIB en 2020 et une dette qui atteindra 113 % du PIB en 2020.
La préoccupation vient surtout des PME
Les grandes entreprises, principalement celles qui sont cotées à la bourse de Madrid, ont des trésoreries abondantes et ont accès à des lignes de crédit qu’elles peuvent utiliser en cas de besoin. Les banques sont bien disposées à leur égard.
Ainsi, par exemple, Inditex, plus connu en France par le biais de ses marques (Zara, Bershka, Stradivarius, etc.), avait une trésorerie de 8,1 milliards d’euros (Md EUR) au 31 janvier 2020 et dispose d’une ligne de crédit « anti-virus » de 1 Md EUR, qui pourrait être portée éventuellement à 2 Md EUR si nécessaire.
La préoccupation vient surtout des PME, traditionnellement plus fragiles que les grands groupes.
Un plan de soutien de 100 Md EUR
Certes, comme en France, le gouvernement a agi pour préserver la situation financière des entreprises. L’Institut de crédit officiel (ICO), une banque publique, a mis en place un dispositif de garantie des prêts bancaires à hauteur de 80 %, avec une enveloppe annoncée de 100 Md EUR.
Une première tranche de 20 Md EUR, opérationnelle le 6 avril 2020, a été réservée pour moitié (10 Md EUR) aux PME et aux travailleurs indépendants.
Elle a été rapidement consommée et, le 10 avril, le gouvernement a donné le feu vert pour une deuxième tranche, d’un montant identique (20 Md EUR) mais intégralement réservée cette fois à ces deux catégories.
Prudence officielle
Concernant les reports des charges patronales et des échéances fiscales, le gouvernement agit avec prudence et parcimonie.
Fin mars, un moratoire de 6 mois sur le paiement des cotisations sociales dues sur la période avril-juin a été annoncé. Le décret-loi royal 7/2020, en date du 12 mars 2020, prévoit que les sociétés ayant réalisé un chiffre d’affaires inférieur ou égal à 6 M EUR en 2019 bénéficient d’un report de 6 mois (dont 3 sans intérêts de retards) pour le paiement des impôts dus jusqu’au 30 mai 2020.
Cependant, l’enveloppe du report autorisé est limitée à 30 000 euros par entreprise. Et pour celles dont le CA est supérieur à 6 M EUR, rien n’a été annoncé.
Les Régions et surtout les municipalités ont pris de leur côté des mesures d’allègement des taxes et impôts dont elles assurent la collecte.
Le patronat veut aller plus loin
Ce dispositif a été accueilli favorablement par les organisations professionnelles qui estiment cependant qu’il faut aller plus loin, et ce rapidement.
PIMEC, la puissante organisation, qui rassemble les PME de Catalogne, le moteur économique de la 1ère région exportatrice espagnole, demande notamment un report des échéance fiscales trimestrielles du 20 avril au 30 septembre, du versement de l’impôt sur les sociétés (IS) dû fin juillet à la même date, et la possibilité de déduire les dépenses liées à la pandémie (masques, gel, etc.) de la base de calcul de l’IS.
« Le report automatique du paiement des impôts du 20 avril et du 27 juillet représenterait un apport de liquidité pour les PME de l’ordre de 12,3 Md EUR » affirme-t-on au siège de PIMEC.
Dans le transport routier des marchandises (TRM), activité jugée « essentielle » par le gouvernement, la moitié de la flotte de camions est paralysée en raison de la crise.
La Confédération espagnole du transport de marchandises (CETM), et les autres organisations professionnelles du secteur, demandent la mise en place d’un « plan d’aides » (fiscalité, finances, droit du travail et réglementation européenne) afin de réduire au minimum l’impact de la crise sur les entreprises et l’emploi.
Tensions accrues sur les délais de paiement
Les PME espagnoles sont particulièrement fragilisées par la question lancinante des délais de paiements, toujours très longs, une particularité du monde des affaires en Espagne.
Alors que la loi espagnole 15/2010 stipule que les entreprises doivent payer à 60 jours et les administrations publiques à 30 jours, les délais effectifs constatés sont de 85 et 82 jours en moyenne respectivement, selon les chiffres publiés par la Plateforme multisectorielle contre les retards de paiement (PMcM selon le sigle en espagnol), dont PIMEC est membre.
Les entreprises cotées en bourse se distinguent par un délai encore supérieur (169 jours) qui contribue à expliquer la solidité de leurs trésoreries…
La véritable crainte concerne une détérioration accélérée de la liquidité des PME, qui aboutirait à une accumulation des défaillances. Cette appréhension est d’autant plus justifiée que le « post-Covid » s’annonce très compliqué.
Les professionnels du tourisme, un secteur clé en Espagne, estiment que l’année 2020 est d’ores et déjà perdue. L’ampleur de la reprise de la consommation des ménages demeure une inconnue.
Les secteurs moteurs de l’économie autres que le tourisme ou la construction, comme l’agroalimentaire ou l’automobile, dépendent de l’export et en particulier de la conjoncture dans les pays européens, qui sont leurs principaux clients.
Dans ses dernières perspectives, le FMI table sur une progression du PIB espagnol de 4,3 % en 2021 qui ne permettrait pas de récupérer le terrain perdu cette année.
Des différences sectorielles en termes de risques de défaillances
Dans une étude publiée le 17 avril, la société d’études Informa D&B, filiale de l’assureur-crédit CESCE, procède à un classement des secteurs d’activités en fonction de l’impact économique de la pandémie.
Dans six d’entre eux, Informa D&B s’attend à un « fort impact négatif à court terme » : tourisme, commerce au détail non-alimentaire (meubles, électroménager, électronique, etc.), automobile et composants, textile et confection, biens de consommation durables et activités de loisir et culturelles.
Un deuxième groupe est composé d’une quinzaine de secteurs qui seraient également affectés mais de façon moindre : construction et matériaux de construction, finance, transport de marchandises, logistique, édition et médias, services aux entreprises, énergie, boissons, chimie, biens d’équipement, etc.
Enfin un dernier groupe de « gagnants » comprend la distribution alimentaire, les produits d’hygiène personnelle et de nettoyage, l’industrie alimentaire, le secteur primaire, les services urbains, la gestion des déchets, les télécommunications, la santé, etc.
Le risque de crédit n’est pas uniforme
Ce classement donne des indications intéressantes sur les secteurs les plus fragiles de l’économie espagnole, où les probabilités de défaillances pourraient être les plus fortes. Il a donc le mérite de montrer que le risque de crédit n’est pas uniforme.
Il est probable que le gouvernement espagnol annonce de nouvelles mesures de soutien aux entreprises au cours des prochaines semaines, voire des prochains jours.
Cela ne doit pas empêcher les entreprises françaises qui font du business outre-Pyrénées d’avoir une cartographie la plus précises de leur risque de crédit en tenant compte de la fragilité non seulement de leurs clients espagnols mais aussi des partenaires commerciaux de ceux-ci.
Daniel Solano