Le Moci. Les entreprises françaises ont été refroidies par l’introduction, dans la Loi de finances complémentaire (LFC) d’août 2009, de la contrainte de céder 51 % du capital à des partenaires algériens. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Jean-Marie Pinel. Les entreprises en ont pris acte. Certaines seront sans doute rebutées par cette contrainte, mais je ne pense pas que cela bloque quoi que ce soit à long terme. Deux garanties ont été données par les autorités algériennes : la première est qu’il est possible de conserver une majorité du capital avec seulement 49 % en prenant deux partenaires qui seraient chacun minoritaires ; la deuxième est que le management peut rester étranger. On peut aujourd’hui trouver des investisseurs algériens de confiance, formés aux règles de gestion occidentales, capables de jouer les arbitres en cas de conflit d’actionnaires.
Évidemment, cela sera un peu plus compliqué pour les PME que pour les grands groupes.
Mais il faut comprendre le contexte dans lequel cette mesure, et d’autres visant à restreindre les importations, ont été prises dans le cadre de cette loi. Le pays importe 75 % de ce qu’il consomme. Or, avec la crise mondiale et la chute des réserves pétrolières, les réserves de change étaient menacées. Mettons-nous à la place des pouvoirs publics : pouvaient-ils laisser cette hémorragie de devises se poursuivre sans créer de la valeur en Algérie ? On peut critiquer, mais on ne peut nier qu’il était nécessaire de faire quelque chose.
Le Moci. Constatez-vous un retour des investisseurs privés aujourd’hui ?
Jean-Marie Pinel. Il y a un retournement… Je constate que près de 140 entreprises françaises sont inscrites au prochain Forum d’affaires franco-algérien qu’organise Ubifrance les 29 et 30 mai à Alger, et près de 380 entreprises algériennes, ce qui change la dimension même du forum. Et tous ces participants, de part et d’autre, veulent des partenariats. Quand bien même ce forum ne se traduirait pas à court terme par autant d’accords qu’on pourrait l’espérer au vu de la participation, j’y vois la preuve d’un changement d’état d’esprit chez les hommes d’affaires français : ils se disent qu’ils ne peuvent pas être absents du marché algérien, et qu’il faut faire avec ses avantages comme avec ses contraintes.
Le Moci. Après les révoltes en Tunisie, en Égypte et la grogne au Maroc, le climat social et politique en Algérie suscite-t-il des craintes ?
Jean-Marie Pinel. La situation en Algérie n’est pas comparable à celle de la Tunisie ou du Maroc. Ici, le climat est différent : par exemple, la presse est libre et s’en donne à cœur joie. On peut bien entendu penser que tout est politique, mais les gens ont, ici, des revendications essentiellement économiques. Je peux me tromper mais je n’ai pas le sentiment que cela débouchera sur des bouleversements de même nature qu’en Tunisie.
Le Moci. En résumé, non seulement vous estimez que l’Algérie est un pays porteur, mais en plus qu’il faut y investir si ce n’est déjà fait…
Jean-Marie Pinel. Permettez-moi de quitter quelques instants ma casquette de président de la CCIAF pour reprendre celle de mon cabinet KPMG. Nous sommes 120 personnes et je signe demain matin [Ndlr : le 11 mai] un contrat avec une entreprise du bâtiment algérienne pour construire nos futurs bureaux. Nous en avons pour 1,17 milliard de dinars, soit environ 11,7 millions d’euros. Pour nous, c’est un investissement énorme, c’est un pari sur l’avenir. Si nous n’avions pas confiance, croyez-vous que nous le ferions ? Si nous le faisons, c’est que nous pensons que l’Algérie est un pays stable, notamment au plan macroéconomique. Elle a ses défauts, mais tout le monde en a.
Propos recueillis par Christine Gilguy