Alors que la quasi-totalité des 522 établissements du réseau d’enseignement français à l’étranger sont aujourd’hui fermés, en conséquence de la pandémie de Covid-19, il est urgent de prendre des mesures pour préserver les équilibres financiers des établissements et répondre aux difficultés financières des familles.
C’est la conclusion du rapport publié le 24 avril par les rapporteurs de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Robert del Picchia (Les Républicains – Français établis hors de France) et André Vallini (membre du groupe socialiste et républicain – Isère) qui appellent à un plan d’urgence de grande envergure pour venir en aide au réseau des écoles françaises à l’étranger, qu’ils estiment « en danger ».
Robert del Picchia et André Vallini sont co-rapporteurs pour avis du programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » de la mission budgétaire « Action extérieure de l’État », inscrite au Projet de loi de finance (PLF) pour 2020.
Le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » porte les crédits destinés à mettre en œuvre la politique d’influence de la France, sur les plans culturel, linguistique et éducatif.
Un réseau d’enseignement attractif « en danger »
À la rentrée 2019-2020, le réseau de l’enseignement français à l’étranger comptait 522 établissements scolaires homologués, implantés dans 139 pays. Ces établissements scolarisent 370 000 élèves dont un tiers est de nationalité française et deux tiers de nationalité étrangère.
Le réseau poursuit sa croissance, avec 30 nouveaux établissements homologués à la rentrée 2019 et une augmentation des effectifs de 16 % en sept ans, malgré une forte concurrence au niveau mondial.
Mais « le repli guette l’enseignement français à l’étranger, confronté à une forte concurrence, remettant en cause l’objectif d’un doublement des effectifs à l’horizon 2030 », prévient le co-rapporteur André Vallini. Cet objectif avait été fixé par le président de la République dans le cadre du plan pour la langue française et le plurilinguisme présenté le 20 mars 2018.
Pour les deux co-rapporteurs, le risque d’un net recul des effectifs à la rentrée prochaine est réel. « Il est urgent de procéder à un diagnostic précis de la situation », estime ainsi Robert del Picchia. « Aucun établissement scolaire ne doit fermer à la rentrée prochaine ! », s’insurge-t-il.
Risque de repli de l’AEFE
Le réseau d’établissements d’enseignement français à l’étranger est coordonné par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, établissement public national placé sous la tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Ce réseau est constitué de 6 052 personnels titulaires de l’Éducation nationale détachés auprès de l’AEFE, dont 909 ont le statut d’expatrié, et 5 143 celui de résident. Le réseau emploie par ailleurs 30 000 agents de droit local.
Mais, selon les rapporteurs, à défaut d’un engagement massif et rapide en faveur de l’enseignement français à l’étranger, confronté à une forte concurrence, l’AEFE risque de marquer le début d’un repli, trente ans après sa création, remettant en cause la dynamique enclenchée depuis deux ans pour permettre un doublement des effectifs à l’horizon 2030.
Créée en 1990, l’AEFE assure les missions de service public relatives à l’éducation en faveur des enfants français résidant hors de France et contribue au rayonnement de la langue et de la culture françaises ainsi qu’au renforcement des relations entre les systèmes éducatifs français et étrangers.
Un budget sous tension
Dans une note de synthèse* de leur rapport, les sénateurs rapportent que l’AEFE bénéficie d’une subvention inscrite au budget de la mission « Action extérieure de l’État », d’un montant de 409 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2020 (+ 6 %). L’AEFE gère, par ailleurs, 105 millions d’euros d’aides à la scolarité (montant stable) pour environ 25 000 boursiers.
Après une annulation de crédits de 33 millions d’euros en 2017, le montant de la dotation de l’AEFE a été stabilisé. En 2020, il augmente de 25 millions d’euros afin de commencer à financer le doublement du nombre d’élèves scolarisés d’ici à 2030.
Un objectif « ambitieux », estiment les co-rapporteurs, « compte tenu d’un cadre budgétaire contraint ». L’autofinancement des établissements en gestion directe et conventionné s’élève à 65 %, provenant principalement des frais de scolarité, soulignent-ils dans leur note de synthèse.
Les établissements « ont été mis sous pression », au cours des années récentes, avertissent également les deux sénateurs. En effet, les deux sources traditionnelles de ressources propres des services centraux de l’AEFE sont : la participation financière complémentaire (PFC) sur les frais de scolarité et la participation à la rémunération des personnels résidents (PRR), dues par les seuls établissements en gestion directe et conventionnés. Après avoir été porté à 9 % en 2018, le taux de la participation financière complémentaire a été ramené à 7,5 % en 2019 puis à 6 % en 2020, soulignent les sénateurs dans leur note de synthèse.
La quasi-totalité des 522 établissements du réseau sont, à l’heure actuelle, fermés, en raison des mesures de confinement imposées par la pandémie de Covid-19. Le mouvement de fermeture a débuté dès janvier en Chine, où l’épidémie est partie depuis la ville de Wuhan, épicentre de la pandémie, avant de s’étendre à l’Asie, puis, à partir de mars, à tous les continents.
Des difficultés structurelles
Avant même la crise sanitaire mondiale, la dynamique amorcée depuis deux ans pour permettre un doublement des effectifs à l’horizon 2030 dans le réseau, était toutefois freinée par des blocages structurels :
– L’enveloppe des bourses est insuffisante. « Les aides à la scolarité n’ont fait l’objet d’aucun effort financier supplémentaire, alors qu’elles sont indispensables au développement du réseau », déplorent les deux sénateurs ;
– Les détachements de personnel ne sont pas à hauteur des enjeux : 1 000 détachements supplémentaires sont programmés à l’horizon 2030 (+ 11 %) ;
– L’AEFE et les établissements sont confrontés à des obstacles à l’emprunt.
Face à la crise, augmenter les aides
Face à cette situation, crise sanitaire et blocages structurels, les réponses à apporter sont de plusieurs ordres selon les rapporteurs qui plaident pour :
– Une augmentation, dès cette année, de l’enveloppe des aides à la scolarité : un aménagement du dispositif des bourses, prenant en compte les revenus de l’année en cours, a été annoncé. « Cet effort devra être conséquent et maintenu dans la durée », préconisent les co-rapporteurs.
À cet égard, le Sénat a fait un premier pas en adoptant, le 22 avril, un amendement de Robert del Picchia pour abonder l’enveloppe des aides à la scolarité, dans le cadre de l’examen en première lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2020.
– Une aide d’urgence permettant des aménagements des frais de scolarité pour toutes les familles, françaises et étrangères, mises en difficulté par la crise. Cet accompagnement est « une obligation morale vis-à-vis des familles qui ont fait le choix de l’enseignement français » pour les deux sénateurs.
– Une modulation des taux de participation des établissements au budget de l’AEFE (PFC et PRR) et la préservation des fonds de roulement des établissements, « ce qui nécessite une augmentation du budget de l’Agence, dès cette année », d’après les deux sénateurs.
– Une attention à la situation des établissements de petite taille, notamment dans la catégorie des établissements partenaires, dont la viabilité financière pourrait être remise en cause par un recul des effectifs.
Ces établissements sont souvent situés dans des zones où il n’y a pas d’autre présence française. « Ils sont essentiels à notre diplomatie d’influence. Aucun établissement ne doit fermer », assurent les rapporteurs.
– Maintenir le lien de confiance avec les familles, actuellement fragilisé. « Cela nécessite de réaffirmer l’engagement de l’État à maintenir la pérennité et la qualité du réseau sans augmentation des frais de scolarité », estiment encore les rapporteurs.
Proposer des aménagements des droits de scolarité aux familles en difficulté
De nombreuses familles des 370 000 élèves des écoles et lycées français à l’étranger font aujourd’hui face à de grandes difficultés. Pour les co-rapporteurs, il est urgent de leur proposer des aménagements des droits de scolarité.
En effet, des familles pourraient être contraintes de rentrer en France, estiment les deux sénateurs. D’autres pourraient se tourner, à moindre coût vers l’enseignement local (souvent gratuit) ou vers l’enseignement à distance, dont le marché est florissant.
Un aménagement du dispositif des bourses scolaires a d’ores et déjà été mis en place. Il doit être complété par des mesures d’aides aux familles de nationalité étrangère, précisent les rapporteurs dans leur note de synthèse.
« Le sauvetage des établissements d’enseignement français à l’étranger est indispensable, à court terme, pour répondre à leurs besoins immédiats, et à long terme, pour garantir la pérennité et maintenir la qualité d’un réseau d’enseignement sans équivalent, qui est l’un des fleurons de la diplomatie culturelle et d’influence de la France ». C’est le cris d’alarme des deux sénateurs, rapporteurs de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Au-delà des mesures pour préserver les équilibres financiers des établissements et répondre aux difficultés financières des familles, il est urgent selon les rapporteurs de rétablir la confiance au sein du réseau en réaffirmant l’engagement de l’État à maintenir la pérennité et la qualité de l’enseignement français à l’étranger.
Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est engagé à apporter « un soutien massif à tout le réseau et à garantir ainsi sa continuité », lors de son audition en visioconférence par la commission présidée par Christian Cambon, sénateur du Val-de-Marne (Les Républicains) le 15 avril dernier.
À suivre…
Venice Affre
Pour en savoir plus :
Consultez la note de synthèse des sénateurs rapporteurs Robert del Picchia et André Vallini sur le réseau des écoles françaises à l’étranger en fichier PDF ci-dessous