Le mégaprojet projet « IMEC » de corridor commercial Inde-Europe via le Moyen-Orient, signé le 9 septembre dernier, en marge du dernier Sommet G20, mettra du temps à voir le jour. Mais il marque une réponse à l’influence chinoise et pourrait bénéficier de projets d’infrastructures existants au Moyen-Orient, notamment à la faveur de la relance des relations avec Israël.
IMEC pour India-Middle East-Europe Economic Corridor. Tel est l’acronyme de ce projet. Et il fait face au BRI, Belt and Road Initiative, ou projet chinois de nouvelle Route de la soie. Pour les observateurs qui ont suivi la mise en œuvre de la stratégie de Pékin, lancée il y a exactement 10 ans, c’est le genre de grand projet qui a manqué aux occidentaux et à leurs alliés pour apporter une réponse alternative crédible à la BRI !
« Un pont vert et numérique entre les continents et les civilisations »
C’est « beaucoup plus que ‘seulement’ du rail ou un câble », a souligné la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, évoquant au contraire « un pont vert et numérique entre les continents et les civilisations ».
C’est pourquoi il est d’une portée géopolitique et commercial d’ampleur, à suivre de près par les entreprises occidentales. La Commission européenne a calculé qu’un tel corridor permettrait d’accroître de 40 % les échanges entre l’Inde et l’Europe.
Le protocole d’accord pour cette nouvelle « route commerciale » Inde-Moyen-Orient-Europe, a en effet été signé, le 9 septembre, en marge du G20 à Delhi, par près de huit grandes puissances économiques : États-Unis, Inde, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, France, Allemagne, Italie et Union européenne. Il s’inscrit dans la suite d’une initiative américaine lancée lors du précédent sommet du G20 à Bali, en 2022, le Partnership for Global Infrastructure and Investment (PGII) -en français Partenariat pour une infrastructure et un investissement global – auquel l’Union européenne participe à travers son propre programme Global Gateway, qui s’est déjà positionné sur un autre grand projet PGII, le corridor trans-africain.
Objectif du projet IMEC : accroître les échanges commerciaux et la sécurité de ces échanges afin de renforcer les supply chains, réduire les coûts, augmenter l’efficacité des circuits d’échanges. Pour Washington, qui a poussé ce projet, il s’agit aussi de favoriser le rapprochement d’Israël et des pays du Moyen-Orient.
Le texte du protocole d’accord met également en avant le fait qu’une importance accrue sera accordée aux impacts environnementaux, sociaux et sur les gouvernements du projet, une façon de se démarquer de l’approche chinoise, beaucoup critiquée pour avoir entraîné un surendettement de certains partenaires et l’acquisition à vil prix d’infrastructures clés, comme le Sri Lanka, pays voisin de l’Inde.
Chemin de fer, câbles et « pipe » d’hydrogène vert
Annoncé lors de l’événement des dirigeants du G20 sur le « Partenariat pour l’investissement dans les infrastructures mondiales », ce corridor se matérialisera grâce à une liaison ferroviaire raccordant des ports reliant l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, ainsi que de nouvelles infrastructures de connexion énergétique et numérique (lignes électriques et câble de télécommunications) et une canalisation pour l’exportation d’hydrogène « vert », selon le texte du protocole d’accord*.
Dans le détail, et sans qu’aucune précision n’ait été encore fournie sur les sources de financement et les projets précis, le texte commun évoque la construction de deux corridors distincts : le corridor Est, reliant l’Inde au Golfe arabique, et le corridor Nord reliant le Golfe à l’Europe. Il comprendra des liaisons ferroviaires fournissant un réseau de transit transfrontalier navire-rail pour compléter les réseaux de transport routiers et maritimes existants, et permettant « aux biens et services de transiter depuis, vers et entre l’Inde, les Emirats arabes unis, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, Israël et l’Europe ».
Pour le volet connectivité et énergie, les participants s’engagent à permettre, le long de la route ferroviaire, la pose de câbles électriques et de transmission numérique ainsi que d’un « pipe » pour l’exportation d’hydrogène « propre ».
Un plan d’action et un calendrier à établir
Pour l’heure, l’IMEC n’en est qu’à ses début. Les signataires se sont engagés à travailler vite et collectivement pour préciser le projet et établir les entités coordinatrices qui seront chargées de gérer les aspects techniques, de design, de financement, juridiques ou règlementaires. Ils doivent se revoir dans les deux mois qui viennent pour établir un plan d’action et un calendrier.
Côté financement, d’après les déclarations de certains dirigeants à la presse, rien n’est encore arrêté mais il y a fort à parier que des institutions financières multilatérales et nationales seront mobilisées car l’idée est d’embarquer des investisseurs privés dans le projet. Côté européen, Global Gateway, qui vise à catalyser 300 milliards d’euros d’investissement d’ici 2027 vers des projets d’infrastructures durables dans les pays émergents et en développement, sera donc mis à contribution.
Le lancement d’IMEC intervient au meilleur moment : les pays du Golfe, dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe, ont accéléré les chantiers d’interconnexion ferroviaire entre leurs membres et à la faveur de la détente dans les relations entre les pays du Golfe et Israël, un projet de liaison avec le port israélien d’Haifa depuis la ville frontalière saoudienne d’Al Hadiha est aujourd’hui évoqué.
Signe que cette initiative est prise très au sérieux dans la région, la Turquie, que les deux corridors IMEC contourneraient, s’y oppose vivement et le fait savoir : « il ne peut y avoir de corridor sans la Turquie », martèle le président Recep Tayyip Erdoğan depuis le G20, plaidant que « la route la plus appropriée pour le commerce d’Est en Ouest doit passer par la Turquie ». La Turquie essaye de promouvoir un projet de corridor passant par l’Irak. Pas sûr qu’elle puisse prendre ce train-là en marche ou proposer une alternative crédible compte tenu de sa situation économique et financière.
Christine Gilguy