Chine : la longue marche verte des villes

La Chine est en pleine expansion. La population urbaine explose, et avec elle, la consommation d´énergie. L´automobile remplace le vélo. Mais l´urbanisation à marche forcée pèse sur l´environnement. Les grandes villes chinoises tentent de s´adapter en multipliant les initiatives vertes. Pourtant, le chemin est encore long. Le point dans cette enquête, menée avec le concours de « Connexions », la revue de la Chambre française de commerce et d´industrie en Chine (CFCIC).

Des citadins mordus d´automobile. Après avoir longtemps été un peuple de campagnards roulant à bicyclette, les Chinois sont en train de devenir une nation de citadins mordus d´automobile. Aujourd´hui, les processus d´urbanisation et de motorisation vont de pair. Comme l´observe Jean-François Doulet, maître de conférences à l´Institut d´urbanisme de Paris et à Sciences-Po : « Les Chinois sont en quelque sorte en train de vivre nos Trente Glorieuses, ce qui explique que nous ne percevons pas les choses de la même façon. Quand l´Occident se demande comment rationaliser et économiser, les Chinois cherchent à soutenir au mieux un système en expansion. »

En autorisant les paysans à se déplacer hors de leur province à partir de 1984, la Chine a sonné le glas d´une ère « d´immobilité » caractérisée par l´assignation à vie des individus à un lieu de travail et de résidence. Dès lors, la population urbaine a explosé, passant de 190 millions à 650 millions d´habitants en moins de 30 ans. Selon le ministère du Logement, en 2025 elle grimpera jusqu´à 926 millions, pour passer à 1 milliard en 2030. Chaque année, 7 à 10 millions de paysans font leur baluchon pour la ville, rendant nécessaire la construction de 1 milliard de mètres carrés de logements supplémentaires.

Mais cette urbanisation à marche forcée pèse sur l´environnement. En moyenne, un citadin consomme trois à quatre fois plus d´énergie qu´un campagnard et la consommation énergétique du pays a doublé à deux reprises en 30 ans. Or, la Chine dépend à 70 % du charbon pour sa production d´électricité. Symbole de cette modernisation à double tranchant, le marché chinois de l´automobile a ravi aux États-Unis sa place de numéro 1 en 2009. De 30 millions de véhicules, le parc devrait passer à 140 millions à l´horizon 2020, libérant des émissions considérables de gaz à effet de serre.

Face à ces projections, la Chine réagit de plusieurs façons. La plus spectaculaire, par son ampleur et sa rapidité, est sans doute le plan de relance « vert » de 450 milliards d´euros dont 37 % (167 milliards d´euros) ont été alloués à des projets bénéfiques pour l´environnement.
«Le ministère de l´Environnement a dressé une liste de projets environnementaux éligibles, en particulier dans le secteur du traitement des eaux usées, précise Roseline Legrand, conseillère à la Mission économique à Pékin.

En outre, beaucoup de projets ont une composante environnementale. ». Directeur de campagne chez Greenpeace, Sze Pang Cheung estime toutefois que le « manque de transparence » rend difficile l´analyse de la composante « verte » du plan. Même réaction de défiance chez Jean-François Doulet, pour qui le plan a d´abord fait la part belle au développement des infrastructures : « Il a accéléré la métropolisation, c´est-à-dire la création d´énormes régions urbaines par la mise en réseau des villes grâce au train. »

Ce plan de relance « mi-brun mi-vert » ne doit pas faire oublier les orientations nationales prises par la Chine dans son dernier plan quinquennal. Alors que tous les plans précédents mettaient l´accent sur la croissance, le 11e plan (2006-2010) fixe pour la première fois un objectif de réduction de 20 % de l´intensité énergétique par rapport à 2005. Même si cette ambition ne sera sans doute pas atteinte à cause des retards pris en 2006 et 2007, un rapport du Conseil d´analyse économique de juin 2009 souligne que « l´objectif de réduction annuel a été dépassé en 2008 ».

Par ailleurs, les orientations du plan ont été déclinées à l´échelle locale par les initiatives de grandes villes, souligne Liu Baocheng, professeur à l´Université de commerce international et d´économie de Pékin. Par exemple, la mairie de Pékin a relevé les standards d´émissions des véhicules neufs, interdit l´usage du charbon dans le centre-ville et lancé des campagnes d´information sur la consommation responsable. En outre, neuf usines de traitement des eaux entreront en activité l´an prochain. »

D´une façon générale, les villes essaient de se débarrasser de leurs unités les plus polluantes, telles l´aciérie Shougang, déplacée à 200 km de la capitale, avant les jeux Olympiques de Pékin de 2008.

Dans le secteur du bâtiment, qui représente 30 % des émissions carbone chinoises, les choses semblent plus floues. Certes, la réglementation a été renforcée. Mais, selon Aymeric Novel, ingénieur chez Terao, un bureau d´études spécialisé dans les bâtiments efficaces, « beaucoup de réglementations ne sont pas appliquées ». En cause, selon lui, « un processus de contrôle défaillant et un délai d´au moins cinq ans entre la sortie d´un texte au niveau central et son application au niveau local ».

Dans le domaine des transports, la volonté chinoise semble beaucoup plus forte, avec la diffusion du concept de « mobilité verte », c´est-à-dire le développement des transports à énergie nouvelle. Pour réduire sa dépendance au pétrole, Pékin a décidé en 1995 qu´elle industrialiserait la production de véhicules électriques. Depuis, elle multiplie les programmes de démonstration, et vise une capacité de production de 500 000 véhicules et bus hybrides et électriques en 2012.

Reste que, malgré l´argent investi et l´optimisme de rigueur, les constructeurs sont loin d´être rodés. Coût de production des batteries, autonomie, temps de recharge, sécurité… pour Huang Xuejie, professeur à l´Institut de Physique de l´Académie des sciences, « l´innovation n´est pas encore allée assez loin ». Ce qui ne l´empêche pas d´espérer que les véhicules électriques connaîtront un sort identique à celui des portables. En attendant, la Chine joue sur d´autres leviers comme l´augmentation des taxes sur le carburant ou le développement des transports collectifs.

Au total, le meilleur atout environnemental des villes pour l´avenir est sans doute la demande des citadins eux-mêmes. Comme le montre le thème de l´exposition universelle de Shanghai, « Une meilleure ville, une meilleure vie », la sensibilité à la qualité de vie en ville est de plus en plus grande en Chine. Reste à savoir, observe Jean-François Doulet, « si cette sensibilité sera assez forte pour inciter les Chinois à payer leur logement plus cher pour préserver l´environnement ».

Hélène Duvigneau, à Pékin