Alors que tous les regards sont rivés sur la crise sans précédent de l’immobilier que traverse la Chine, le risque de contagion globale dans un scénario à la Lehmann Brothers demeure restreint. En revanche, ses conséquences sur d’autres secteurs et sur la consommation est de mauvais augure pour les exportateurs européens.
81 milliards de dollars (Md USD). C’est la perte faramineuse affichée par Evergrande sur 2021 et 2022 et faisant de cet ancien géant de l’immobilier chinois le promoteur le plus endetté au monde. Country Garden a quant à lui annoncé une perte nette potentielle de 7,6 Md USD pour le seul premier semestre 2023. Ces chiffres sont à la hauteur de la démesure de ce secteur sur lequel Pékin a en partie fondé sa croissance et qui représente aujourd’hui un quart de l’économie. A elle seule, la Chine truste la moitié de la consommation mondiale de ciment !
Mais le pays paye aujourd’hui cette frénésie de construction. « Ce modèle a permis de stimuler la croissance, mais il devient un handicap quand l’ensemble de la population possède un logement et que la construction ne devient plus que spéculative », observe une note du cabinet de conseil Asterès. Résultat : au premier semestre, les investissements dans ce secteur ont chuté de 8 % en glissement annuel.
Les pertes sont estimées à 17 milliards de dollars cette année
Ce marché étant encore relativement fermé aux investisseurs étrangers, les risques de contagion à l’international sont minimes. Mais ce sont les répercussions sur d’autres économies émergentes et d’autres pans de l’économie qui inquiètent les observateurs, en particulier le défaut de paiement sous 30 jours annoncé mi-août par Country Garden. Cette holding détient en effet un portefeuille d’actifs beaucoup plus large que celui d’Evergrande.
Dans une analyse publiée le 15 août, JP Morgan estime que le défaut de paiement de ce promoteur porterait à 17 Md USD celui de l’ensemble de l’immobilier chinois en 2023. Selon la banque d’affaires, ce dernier pourrait être à l’origine de 40 % des défauts de paiement dans le monde cette année.
En outre, les turbulences de ce secteur clé pour l’économie chinoise interviennent après l’annonce par Pékin d’indicateurs macro-économiques en berne.
Une crise sur fond de ralentissement économique
Au deuxième trimestre la croissance du PIB a plongé à 0,8 %, soit trois fois moins qu’au trimestre précédent. Alors que le pays est entré en déflation en juillet et que le chômage des jeunes a atteint un point haut, la machine exportatrice chinoise, autre pilier du modèle de développement de ces dernières décennies, est désormais grippée.
Confrontés à l’inflation, les principaux clients du Made in China, dont la reprise a plus bénéficié aux services qu’aux biens, ont en effet réduit leurs importations de marchandises chinoises.
Les pays fournisseurs de l’ex-Empire du Milieu font également les frais de ce ralentissement brutal. En Europe, la France, l’Allemagne et l’Italie, sont particulièrement exposées à la baisse de la demande chinoise dans une multitude de secteurs allant des biens d’équipements aux produits pharmaceutiques en passant par l’automobile. La consommation intérieure devait, selon les autorités de selon Pékin, pousser une croissance jusque-là dopée par les exportations de produits bon marché : elle est aujourd’hui au point mort.
Une consommation intérieure atone
Parmi les indicateurs particulièrement moroses publiées par le Bureau national des statistiques le 15 août, les ventes au détail apparaissent en net recul. Alors que des analystes sondés par l’agence Bloomberg tablaient sur une accélération (3,6 %), après une augmentation de 3,1% en juin, cet indice de la consommation des ménages s’est finalement établi à 2,5 % en juillet. La production industrielle a également ralenti en juillet (+3,7 % en glissement annuel), contre 4,4 % un mois plus tôt. Les prêts aux ménages ont atteint le mois dernier leur niveau le plus faible depuis 2009.
De plus, les Chinois aisés habituellement friands de produits de luxe importés se sont tournés vers des marques locales à la faveur de la pandémie de Covid et de restrictions de déplacement particulièrement sévères.
Enfin, cette crise sectorielle sur fond de coup de frein des principaux indicateurs macro-économiques pourrait avoir une autre conséquence, cette fois-ci sur la compétitivité de la production européenne. Les coûts de productions se sont en effet envolés en Europe en raison de l’inflation, tandis que ceux de l’atelier du monde ont reculé. En juin, l’indice des prix à la production (PPI) a chuté pour le neuvième mois consécutif, de 5,4 % sur un an, après – 4,6 % en mai.
Sophie Creusillet
