« C’est un paradoxe, mais alors que les relations sont fortes avec le Brésil – des entreprises françaises y sont implantées de longue date, comme Casino, Accor, Lafarge ou Saint-Gobain – le rapport économique est relativement peu important à la fois dans le commerce et l’investissement », soulignait Jean-Pierre Clamadieu (notre photo), président du Conseil des chefs d’entreprise France-Brésil de Medef International, le 20 mai à Paris, pendant le Forum économique Brésil-France, deuxième du genre après celui tenu à Brasilia, le 12 décembre dernier, à l’occasion du déplacement du président Hollande.
A l’issue de la réunion de Paris, « une déclaration commune d’innovation entre la France et le Brésil, visant la mise en place du premier appel à propositions conjoint en matière de recherche et de développement industriel. Cet appel à projets permettra l’élaboration de projets innovants et de partenariats technologiques entre les entreprises des deux pays », d’après un communiqué du ministère de l’Économie, du redressement productif et du numérique (voir document attaché).
« Ce type de forum entre hommes d’affaires des deux pays doit être renouvelé pour relancer les activités des deux bords », a expliqué Jean-Pierre Clamadieu, également P-dg de Solvay. Des propos confirmés par le ministre brésilien du Développement, de l’industrie et du commerce extérieur, Mauro Borges, selon lequel « la France n’est que le 9e pays d’origine des importations brésiliennes ». D’après la base de données GTA/GTIS, les importations et les exportations du géant latino-américain (50 % du produit intérieur de la région) avec ce partenaire européen se sont respectivement élevées à 4,9 milliards et 2,6 milliards d’euros. « C’est peu, alors que la balance commerciale du Brésil atteint 500 milliards de dollars », soutient Mauro Borges, qui dresse un constat similaire en matière d’investissements.
« Au Brésil, la France n’est que huitième. Elle se situe même derrière l’Espagne, alors que traditionnellement la France avait des positions plus importantes. Mais aujourd’hui elle ne compte plus que pour 4 à 5 % des investissements directs étrangers (IDE) dans mon pays », regrette le ministre, selon lequel la situation est encore plus grave dans l’autre sens, puisque les investissements brésiliens dans l’Hexagone « ne représentent que 2 % des investissements français au Brésil ».
100 cités doivent moderniser leur réseau ferré
« C’est pourquoi nous avons pensé structurer le forum autour de deux grands thèmes porteurs », expose encore Jean-Pierre Clamadieu. D’une part, la ville durable, car « le Brésil possède des agglomérations de grande taille et la France a des technologies à offrir dans ce domaine », souligne le patron français.
D’autre part, l’énergie devient un enjeu majeur, depuis les découvertes par la compagnie nationale Petrobras de gisements d’or noir pré-salifères, c’est à dire situé sous la couche de sel épaisse (2 000 mètres) qui couvre le sous sol marin au large des côtes brésiliennes. Ce « nouvel eldorado » doit permettre à la première économie d’Amérique du Sud « de devenir le cinquième exportateur mondial net de pétrole », affirme Mauro Borges. « De grandes entreprises françaises se montrent ainsi très intéressées à divers titres par la filière énergétique, comme Total, Technip ou Suez Gaz de France », se réjouit Jean-Pierre Clamadieu.
En matière de ville durable, constate Jean-François Cazes, le directeur général adjoint d’Egis, quelque 100 villes doivent être réhabilitées. « Historiquement, raconte le dirigeant de la société d’ingénierie, elles se sont développées d’abord le long des lignes de chemin de fer, puis des deux côtés, si bien que les agglomérations qui sont de plus en plus peuplées sont confrontées à des problèmes d’aménagement urbain, comme la reconquête de territoires, la rénovation des voies ferrées qui les divisent, la connexion aux aéroports et au transport multimodal ».
Mégalopole de six millions d’habitants, Rio de Janeiro s’est dotée de la plus longue télécabine urbaine au monde, couvrant ainsi une distance de 3,4 kilomètres (km) du quartier d’Alemao au centre ville. Véritable tramway aérien, il permet à 300 000 habitants de réduire leur temps de transport de 1h 30 à 17 minutes, pointe Fabien Felli, vice-président du directoire, en charge de l’Export, de Pomagalsky, l’entreprise française qui a construit cet équipement novateur, générateur de 6 500 emplois.
« C’est peu coûteux, écologique, mais il faut quand même des capacités de financement », reconnaît Fabien Felli, qui observe que si certaines cités, comme Santos, ont affiché leur intérêt, « il y a des retards ». En outre, il faut que « les projets soient inscrits dans les planifications urbaines ». Selon le dirigeant de Pomagalsky, « il y a cinq à six projets au Brésil ».
L’État de Sao Paulo lance des PPP
Vice-président exécutif de la compagnie brésilienne d’ingénierie et de construction Construtora Camargo Correa, André Clark Juliano met aussi l’accent sur les financements, un complément indispensable pour valoriser des partenariats avec des entreprises françaises qui innovent et possèdent des technologiques. « Nous attendons de pouvoir engager des projets de qualité dans des joint-ventures en particulier dans le design et la planification. Il est alors plus facile d’attirer des fonds de la Banque nationale de développement économique et social (BNDES) ou d’autres provenances », soutient-il.
Une solution pour le financement parfois très élevé est le partenariat public-privé (PPP), une solution déjà retenue dans l’État de Sao Paulo et qui « peut offrir des opportunités à des entreprises françaises déjà présentes sur place », croit savoir Sergio Gusmao Suchodolski, chef de cabinet du président de la BNDES. Après adopté le modèle de la concession pour la construction et l’exploitation de la ligne 6 du métro de sa capitale, l’État de Sao Paulo devrait lancer à la fin de l’année une initiative ferroviaire en faveur du transport interurbain des passagers, comprenant un PPP pour la réalisation d’un chemin de fer de 135 km entre la capitale et la cité d’Americana.
Le mauvais état des transports publics a été le déclencheur des manifestations d’une classe moyenne émergente, nouveaux consommateurs de la grande distribution, dont les groupes français Casino et Carrefour sont les leaders. « Il est important de sauvegarder la cohésion sociale et des infrastructures de qualité, l’accès à l’eau, à l’électricité doivent être résilients », lâche André Clark Juliano.
Or, en matière d’électricité, le pays risque des coupures, dans un contexte, ces dernières années, de forte croissance de l’économie. Le gouvernement a ainsi fixé comme objectif de doubler la capacité installée à 240 000 mégawatts (MW) d’ici 2019. Le Brésil, disposant de 12 % des réserves mondiales d’eau, son électricité provenait à 68 % de la force hydraulique en 2013. Le gouvernement a cherché à diversifier son mix énergétique et, au total, « 80 % de la capacité électrique est d’origine renouvelable, hydraulique donc, mais aussi en utilisant la biomasse et plus récemment la ressource éolienne », relate Sébastien Clerc, directeur général de Voltalia, producteur français d’énergie propre.
Brasilia diversifie le mix énergétique
Le solaire est encore peu développé, mais un système d’aide pourrait être mis en place rapidement, peut-être à l’image du dispositif de soutien à l’énergie éolienne. Selon Sébastien Clerc, « le coût de l’éolien au Brésil est « inférieur de moitié » à celui de l’Hexagone et même « cinq fois moins coûteux » que le prix de l’éolien offshore en France.
Par ailleurs, le Brésil subit la sécheresse la plus forte depuis 50 ans, ce qui oblige l’État à faire tourner les centrales thermiques. En réponse à Arnaud Erbin, directeur International de GDF Suez, qui s’inquiétait de cette situation « coûteuse » lors du forum économique de Medef International, Othon Luiz Pinheiro da Silva, président de la compagnie nationale Eletrobras Eletronuclear, a indiqué que « le Brésil n’avait pas d’autre choix et qu’il aurait besoin à l’avenir des centrales thermiques et à charbon, même s’il s’efforçait de diversifier sa matrice énergétique ». Au passage, il a fait part de son intérêt pour « l’innovation de la France en matière nucléaire », qui est « au Brésil, une source d’énergie complémentaire ».
Si GDF Suez est partenaire de la compagnie nationale Eltrobras Electronuclear, il en est de même pour Total avec Petroleo Brasileiro (Petrobras). « Total a été invité par Petrobras à participer à l’exploitation du champ de Libra, avec d’autres partenaires », expose ainsi Yves-Louis Darricarrere, président Upstream du groupe français, qui a acquis au total 15 permis en 2013. Dans Libra, il a obtenu 20 %, c’est-à-dire autant que Shell et les chinois CNPC et CNOOC (10 % chacun). « Si le consortium doit injecter 100 milliards de dollars pour mettre en production 8 à 12 millions de barils, un seul puits à ce jour a été foré », tempère le dirigeant de la major française.Ce consortium a été le seul à présenter une offre à l’Agence nationale de pétrole (ANP). La concession porte sur 35 ans. Et l’État a promis de verser 75 % des royalties de Libra dans l’éducation au Brésil et à 25 % dans la santé.
François Pargny