Les Assises du commerce équitable ont eu lieu le 25 novembre. L’occasion de faire un focus sur un secteur qui bénéficie d’un alignement des étoiles favorable dans de nombreux pays (RSE, transition écologique, nouvelle génération de consommateurs plus sensibles au bio et à un commerce respectueux de l’environnement et des droits humains, etc.) avec Alain Hohwiller, président de Solidar’Monde. La structure est chargée de l’approvisionnement en produits bio et équitables du réseau associatif Artisans du Monde : elle est active à l’import et, de plus en plus, à l’export.
Le Moci. Lors des assises du commerce équitable, Julie Stoll, déléguée générale de Commerce Équitable France (1), parlait de ventes multipliées par trois depuis 2014 et d’un marché français de 1,8 milliard d’euros en 2020. Avez-vous quelques éléments chiffrés de votre côté confirmant la bonne santé de cette activité ?

Alain Hohwiller. Le commerce équitable a vraiment décollé ces dernières années, au fur et à mesure que le concept même devenait réalité grâce à l’engouement des consommateurs pour ces produits. C’est particulièrement le cas des jeunes générations. Les formations dispensées et les plaidoyers publiés en faveur de l’agroforesterie et de l’écologie ont aussi aidé à infléchir les comportements d’achat. Le bio, qui a fortement progressé lui aussi, est le marché le plus proche du nôtre. D’ailleurs, beaucoup de produits sont à la fois bio et équitables. Cela a contribué à l’essor du commerce équitable. La crise sanitaire a amené les consommateurs à s’intéresser de plus en plus à ce type d’offre qui n’est pas limitée à l’alimentaire.
La part de l’export devrait progresser dans les années à venir
pour atteindre 5 à 10 %
Le Moci. Les résultats de Solidar’Monde attestent-ils aussi du dynamisme de ce marché ?
Alain Hohwiller. Oui. Cette année, nous devrions réaliser 11 millions d’euros de chiffre d’affaires, alors qu’historiquement, nos meilleurs exercices tournaient plutôt autour de 9 à 10 millions d’euros. Il y a 5-6 ans, c’était plutôt de l’ordre de 7 millions d’euros. Nos très bons résultats sont en partie dus à la poussée hors norme de la consommation de produits issus du commerce équitable en 2020. Cette année, nous observons un retour à des niveaux de consommation habituels.
Nous importons la majorité de nos produits (environ 80 %) mais nous travaillons de plus en plus sur des produits mixtes ou « hybrides ». Nous mettons la dernière main à une bière dont l’orge bio équitable sera produite dans la Drôme et mélangée à du quinoa que nous importons de Bolivie, par exemple, ou à du riz importé également. Sur le sucre, nous développons une filière en France à partir de betteraves pour compléter notre offre de sucre issu de canne qui est déjà équitable. Nous menons nos activités historiques, sans pour autant nous interdire de travailler avec des produits européens, dont quelques-uns sont français. Le critère déterminant réside dans le caractère équitable et rigoureux des chartes mises en œuvre afin que le producteur soit justement rémunéré, où qu’il soit.
La part de notre activité à l’export, essentiellement dirigée vers la Belgique et la Suisse pour le moment, est d’environ 4 %. Elle devrait progresser dans les années à venir pour atteindre 5 à 10 %. Le fait d’avoir le label WFTO (World Fair Trade Organisation) est effectivement un argument commercial de plus en plus recherché. Mais, plus important encore, pour quelques produits, cela devient même un prérequis car des consommateurs très exigeants le demandent. Sur des marchés comme le café, le chocolat ou certains segments d’artisanat, le fait de rémunérer correctement le producteur et d’avoir un produit en harmonie avec les valeurs défendues est primordial.
Notre mode de fonctionnement est plutôt bilatéral ou tripartite.
Le Moci. Les grands accords commerciaux, type Mercosur, prennent-ils suffisamment en compte le commerce équitable ?
Alain Hohwiller. Les acteurs du commerce alternatif au sens large et du commerce équitable, en particulier, n’ont jamais attendu grand-chose des accords commerciaux internationaux. Historiquement, ce sont même des freins contre lesquels nous nous sommes érigés. Notre mode de fonctionnement est plutôt bilatéral ou tripartite. Il va, par exemple, faire intervenir une association, une entreprise, un pays et un producteur. Nous agissons de façon pragmatique à l’échelon local.
Au niveau international, nous coordonnons notre action avec nos homologues européens réunis au sein de la WTFO (World Fair Trade Organisation ou Organisation mondiale du commerce équitable en français), dont nous faisons aussi partie. Mais le vrai moteur de changement, c’est le consommateur, qu’il soit en France ou en dehors de nos frontières.
Le Moci. Estimez-vous que l’écosystème est suffisamment porteur ?
Alain Hohwiller. Sur le plan national, on peut regretter que le secteur des machines de transformation ne soit pas resté aussi robuste qu’en Suisse, Italie ou Allemagne car chez nos voisins, cette proximité avec les équipementiers favorise la création d’entreprises se spécialisant dans l’agroalimentaire et le commerce équitable, en particulier. Ce que nous essayons de faire de plus en plus, c’est de transformer localement les produits de manière à garder une majeure partie de la valeur dans les pays producteurs. Nous commercialisons ainsi des tablettes de chocolat faites sur place au Ghana (FairAfric) à partir de matières premières locales bio et équitables. La filière existe depuis une dizaine d’années mais il n’y avait pas d’usine. Désormais, il y en a une, qui fonctionne à l’énergie solaire qui plus est. Elle a été construite en partenariat avec des experts suisses du chocolat.
Le Moci. Que pensez-vous de la multiplication des labels en matière de commerce équitable ? Une rationalisation et un contrôle plus soutenu seraient-ils souhaitables pour permettre au consommateur de faire un peu le tri ?
Alain Hohwiller.La multiplication de labels, qui a pu paraître anarchique parfois, est liée à l’existence de visions divergentes de l’activité. La généralisation d’un label aux exigences assez limitées va de facto pouvoir s’appliquer à une large gamme de produits. Ceux qui ne sont pas dans les clous auront moins de mal à faire l’effort supplémentaire pour rattraper leur retard. C’est une option. Un autre choix consiste à mettre la barre assez haute d’entrée de jeu afin de tirer les acteurs massivement vers le haut. Cela va souvent de pair avec l’instauration d’une solution différenciée en rupture totale avec les pratiques antérieures. Nous avons connu cette phase. Aujourd’hui, les labels, avec WFTO représentant un des plus exigeants actuellement, cohabitent plutôt bien ensemble.
Propos recueillis par
Emmanuelle Serrano
(1) association de représentation des acteurs français du commerce équitable