Est-ce que la France agricole peut tirer parti des réformes sociales et énergétiques promises par le coalition au pouvoir en Allemagne entre les démocrates-chrétiens (CDU de la chancelière Angela Merkel) et les sociaux-démocrates (SPD du vice-chancelier Sigmar Gabriel) pour regagner un peu de la compétitivité perdue ces dernières années ?
La réponse est clairement non, est-on bien obligé de conclure, après la présentation de Michel Portier et Hélène Morin, respectivement directeur général et responsable du Développement et des relations internationales d’Agritel, société d’information, de formation et conseil agricoles.
D’abord, parce que « ce n’est pas tant le coût de production, pas même la flexibilité du travail en Allemagne » qui est la cause essentielle de l’avantage compétitif de l’Allemagne sur la France, a expliqué Hélène Morin (notre photo), lors d’un déjeuner de presse, le 29 janvier à Paris, sur le thème : « productivité et politique énergétique allemandes : un modèle pour le secteur agricole et agroalimentaire français ? ».
Selon les dirigeants de la société parisienne (qui va s’implanter en Allemagne, après l’Ukraine et la Chine), les véritables raisons de l’écart de compétitivité dans l’agriculture sont tout autres. Les atouts de l’Allemagne seraient ainsi une concentration plus forte des acteurs de la production, une avance technologique et une adaptation supérieure aux marchés domestique et de l’export. Enfin, la politique énergétique de l’Allemagne et sa sortie du nucléaire programmée à l’horizon de 2022 ne devrait pas changer la donne, car ce sont les ménages, et non pas les entreprises, qui sont appelés à supporter les coûts de l’électricité.
L’Allemagne, accusée de dumping social dans la viande
S’agissant ainsi de la flexibilité du travail, si la hausse des salaires programmée outre-Rhin va se répercuter sur le pouvoir d’achat, elle ne va pas réduire sensiblement la compétitivité allemande. Dans un compris dont les Allemands ont le secret, les nouveaux alliés de la chancelière, succédant aux libéraux du FDP, lui ont arraché l’instauration d’un salaire minimum généralisé (SMG) à 8,50 euros l’heure à partir du 1er janvier 2015. En France, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) s’élève à 9,53 euros.
Selon Hélène Morin, pour l’ensemble du secteur agroalimentaire en Allemagne, le SMG devrait entraîner une augmentation de 6 à 7 % de la masse salariale. Comme cette dernière y représente grosso modo 15 % des coûts de production, elle estime à 1 % seulement la hausse des coûts de production dans la viande, un secteur particulièrement sensible, objet de frictions entre Paris et Berlin et surtout professionnels des deux côtés du Rhin. Accusée de dumping social par ses voisins européens, l’Allemagne y a gagné des parts de marché ces dernières années, en accroissant ses volumes.
Dans ce secteur sans salaire minimum à ce jour, les employeurs n’hésitent pas à utiliser le contrat d’ouvrage, qui permet de verser des salaires très bas, inférieurs à 5 euros par heure. Une pratique courante, Berlin ayant conclu avec des capitales d’Europe de l’Est des accords, offrant aux abattoirs allemands la possibilité de recourir à une main d’œuvre détachée payée aux conditions du pays d’origine. Une pratique jugée déloyale par la Belgique, qui a déposé une plainte auprès de la Commission européenne pour dumping social, au motif que des Roumains et des Bulgares travaillent 10 heures par jour dans des abattoirs en Allemagne, y compris la nuit.
L’atout logistique et de la position centrale en Europe
L’instauration du SMG dans la viande devrait offrir un répit à l’abattage français. Toutefois, Berlin, dans ce secteur a fixé l’introduction de ce salaire minimum à 2017 pour permettre aux acteurs économiques de se préparer. Enfin, la distorsion de concurrence, avancent les concurrents européens de l’Allemagne, est surtout liée aux charges sociales, lesquelles « atteignent 50 % du salaire en France » et « peuvent être moitié moindres pour les salariés détachés quand elles sont versées dans le pays d’origine », expose Pierre Halliez, qui préside le Collectif contre le dumping social en Europe.
Pour Michel Portier, l’Allemagne dispose encore d’un atout naturel dans la viande : « sa position géographique centrale en Europe par rapport à la France plus excentrée lui confère un avantage logistique, qui compte dans le transport de la viande », observe-t-il. Ainsi, le fait que Berlin ait signé des accords avec les capitales environnantes en Europe de l’Est et en Scandinavie, explique, selon lui, que « le géant Danish Crown engraisse ses 20 millions de têtes au Danemark, et ensuite, pour éviter les coûts de production élevés dans son pays, réalise une petite partie de l’abattage en Allemagne ».
Des exportations servies par une production concentrée
Hormis le secteur spécifique de la viande, l’Allemagne serait plus compétitive pour d’autres raisons. Premier atout outre-Rhin, la concentration des acteurs. Quand dans l’Hexagone, les deux leaders de la viande de porc, Bigard et Cooperl, produisent plus ou moins 5 millions de tonnes par an, les trois premiers allemands sont bien au-dessus de cette barre : environ 7 millions pour Westfleisch, 9 millions pour Vion et 16 millions pour Tönnies.
« Pour répondre à la demande exponentielle de la Chine, on n’est pas capable de réunir trois à quatre abattoirs français pour y exporter les volumes demandés », déplore Michel Portier. Par ailleurs, « on ne peut pas rester en France avec un abattoir qui tourne à 50 % et un autre à 90 %. Il faut restructurer toute la filière et ne pas s’arrêter à fermer quelques unités », assène le directeur général d’Agritel.
Deuxième raison, l’avance technologique de l’Allemagne et, dans ce cas, reconnaît Michel Portier, « le fait de disposer d’un coût de production inférieur a sans doute permis aux Allemands de dégager plus d’investissements ». Quand les unités de découpe porcine affichent une cadence d’abattage de 260 à 1 200 dans l’Hexagone, cet indice grimpe à 1 300 en Allemagne, d’après l’Institut du porc.
Troisième raison de la supériorité de l’Allemagne, sa capacité supérieure à s’adapter aux marchés domestiques et extérieurs. Les prix sont bas outre-Rhin, où la distribution alimentaire est dominée par le hard discount. A l’export, le taux dépasse 50 %, alors qu’il atteint seulement 30 % dans l’Hexagone.
Électricité : les ménages mettent la main à la poche
S’agissant maintenant de la politique énergétique de l’Allemagne, la sortie du nucléaire programmée à l’horizon de 2022 ne changera pas non plus la donne, dans la mesure où « l’essentiel de l’augmentation des prix de l’électricité va être supportée par les particuliers, un peu par les PME et pas du tout par les grandes entreprises», expose Hélène Morin. Gros exportateur, l’Allemagne est prête à accroître ses importations d’électricité plutôt que de nuire à la compétitivité de ses entreprises. En 2011, les ménages outre-Rhin payaient déjà deux fois plus cher leur électricité que dans l’Hexagone et les PME un peu plus », note encore la responsable chez Agritel.
Parallèlement, l’Allemagne va poursuivre ses efforts dans les énergies renouvelables. Aujourd’hui encore, pour un investissement de 5 millions d’euros dans l’éolien, le solaire ou le biogaz, les agriculteurs allemands reçoivent 8 millions de revenus complémentaires. « Nous avons visité des exploitations de l’autre côté de la frontière et je me rappelle un exploitant dans le poulet nous expliquer qu’il ne gagnait rien avec cette activité et que ses revenus provenaient largement de son unité de biogaz », rapporte Michel Portier.
Plus de 7 500 unités de biogaz ont été créées outre-Rhin, contre moins de 200 dans l’Hexagone. En Allemagne, quand un entrepreneur investit dans une unité de méthanisation, il est assuré d’un prix fixe pendant vingt ans, ce qui le sécurise. Avantage aussi de cette politique d’incitation, la diversification. En effet, plus de 18 % des surfaces agricoles sont utilisées à des fins non alimentaires et le maïs, en particulier, trouve avec le biogaz un débouché supplémentaire. Il représente, en effet, plus de 70 % de la matière première utilisée pour réaliser du biogaz.
François Pargny