Le Salon international de l’agriculture (SIA) est chaque année un grand moment de communion avec le public. Pourtant, pour sa 57 édition cette année (22 février-1er mars), le SIA pourrait être le salon du paradoxe.
Côté positif, il se tiendra, à l’occasion du 150e anniversaire du Concours général agricole (CGA), principale attraction auprès des 630 000 visiteurs de ce rendez-vous annuel.
Côté négatif, l’agribashing ne s’est jamais aussi bien porté. Intrusions dans les élevages, destruction de bâtiments et de récoltes, voire menaces physiques, les mesures d’intimidation et de dénigrement sur les pratiques environnementales se multiplient vis-à-vis d’un secteur occupant 824 000 salariés dans les fermes françaises.
D’où l’idée de l’organisateur de salons Comexposium et du Centre national des expositions et concours agricoles (Ceneca), propriétaire du SIA, de « communiquer sur l’agriculture positive », s’est félicité Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’alimentation (à gauche sur la photo avec Jean-Luc Poulain, président du Ceneca et du SIA), lors d’une conférence de presse, le 14 janvier.
Un excédent commercial qui s’érode
Le thème ainsi retenu est « l’agriculture vous tend les bras » Une façon d’inviter un public de plus en plus intéressé à comprendre et à s’informer sur les pratiques agricoles et environnementales, les enjeux, les difficultés. Le secteur a de multiples défis à relever – baisse des revenus, transition écologique, bien être animal – qu’il doit expliquer.
A l’international aussi, la compétitivité française s’est érodée, même si la France demeure la première puissance agricole en Europe, avec 73 milliards d’euros en 2018, devant l’Allemagne, avec 56 milliards, et l’Italie, avec 51 milliards. « Dans le monde, notre recul dans l’agriculture et l’agroalimentaire n’est pas inéluctable, mais je suis inquiet, car ce n’est pas la première année », s’alarmait Didier Guillaume.
Divisé par deux en dix ans, l’excédent commercial de l’Hexagone est ainsi tombé à + 6,6 milliards d’euros en 2018. A noter, toutefois, que sur les onze premiers mois de 2019, ce solde positif est remonté à + 7,2 milliards, soit + 1 milliard par rapport à janvier-novembre 2018, grâce essentiellement aux secteurs phare de l’agroalimentaire français (vins, céréales, lait, animaux vivants).
La France en difficulté en Europe
Reste que la France est le seul pays parmi les plus grands exportateurs européens à être à la fois déficitaire sur les produits de première et de seconde transformation (hors vins et spiritueux). En fait, c’est surtout sa compétitivité avec ses voisins immédiats qui inquiète.
Dans la partie Agroalimentaire du Pacte productif (voir fichier joint en pdf) annoncé en avril dernier par le président de la République, il est ainsi précisé que « la part des exportations alimentaires françaises dans les exportations totales de la zone euro s’est réduite de 6 points depuis le début des années 2000, en passant de 22 % en 2001 à 16 % en 2019 ».
« Il y a dans le Pacte productif, préparé par Bruno Le Maire, des propositions pour de nouvelles parts de marché à gagner », a réagi Didier Guillaume. Plusieurs mesures ont été recommandées par les organisations professionnelles (Ania, Coop de France, FNSEA), comme le renforcement de la promotion et de l’accompagnement à l’international (salons, missions de Business France, pilotage des Team France en région…) ou l’interdiction de vente et distribution de produits ne respectant pas des standards européens.
Aller vers l’excellence et la diversification
Selon Didier Guillaume, la France dispose « d’une des agricultures les plus durables du monde » tout en assurant « son autonomie alimentaire », mais il faut rejeter les produits qui ne respectent pas les normes sanitaires, environnementales, nutritionnelles. Lutter contre la concurrence fiscale, le dumping social et sanitaire figure ainsi en tête de son agenda à chaque Conseil européen.
« Il faut aller vers l’excellence, la segmentation, en Europe et ailleurs », assurait encore le ministre. « L’agriculture fait un virage vers la diversification », renchérissait Jean-Luc Poulain. Tout en refusant de choisir entre « le bio ou pas le bio, le labellisé ou le pas labellisé », le président du Ceneca et du SIA se félicitait, néanmoins, du choix fait par fait des hommes et des femmes soucieux de l’environnement de miser sur la qualité.
« L’agriculture française a deux visages, l’une performante, exportatrice, avec une excellence technique, l’autre reposant sur la qualité, avec des produits de gastronomie, d’art de vivre, voire de luxe. Reste que faire vivre les deux ensemble, c’est complexe », constatait Pierre Cornu, professeur d’histoire contemporaine et d’histoire des sciences de l’Université Lyon 2 et de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
Ce dernier est le premier organisme mondial pour l’étude des relations entre agriculture, environnement et alimentation, issu de la fusion, le 1er janvier 2020, de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) et de l’Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture).
D. Guillaume : « on ne peut continuer à opposer société civile et producteurs »
Pour Didier Guillaume, « il faut que le pacte républicain fonctionne. On ne peut continuer à opposer société civile et producteurs. Il faut avoir un consensus » et « il ne faut pas mettre des boulets aux producteurs, car la concurrence est internationale et, dans la pratique, à 90 % européenne ».
Interrogé sur le plan Protéines du gouvernement, le ministre a rappelé que, lors du dernier G7 (24-26 août, Biarritz), Emmanuel Macron avait parlé de « l’autonomie protéinique » de la France, « ce qui avait beaucoup surpris ». Il faut maintenant « parvenir à la mettre en pratique, ce qui nous permettrait, par exemple, de nous dispenser à terme d’importer du soja OGM d’outre-Atlantique ».
L’utilisation de protéines serait, en tout cas, un sujet à traiter au sein de chaque filière. Le président de la République a aussi souhaité la mise en place d’une stratégie européenne. Ces initiatives sont plutôt bien reçues par les organisations professionnelles. Restent maintenant à concrétiser.
François Pargny