Cri d’alarme de la communauté scientifique. Dans une tribune publiée le 29 novembre dans le journal Le Monde, une centaine de chercheurs dénoncent l’inaction de la Commission sur les dangers que présentent les perturbateurs endocriniens. L’exécutif à Bruxelles ne préconise en effet aucune interdiction – a priori – de ces molécules chimiques qui perturbent le système hormonal. Il indique simplement que les produits suspects seront étudiés au cas par cas, après leur mise en circulation, et éventuellement interdits si des effets néfastes sur la santé sont avérés. Une demi-mesure qui provoque aussi un tollé au Parlement européen.
« Avec trois ans de retard la Commission européenne a fait une proposition de réglementation mais elle est toujours contestée. D’une part, le processus d’identification des perturbateurs endocriniens est extrêmement complexe. Et, d’autre part, les dérogations sont trop nombreuses. Le fait de devoir prouver un fait avéré et celui d’accepter des substances aux conséquences non négligeables sur l’homme sont contraires au principe de précaution », déplore Sylvie Guillaume, eurodéputée française du groupe des Socialistes et Démocrates.
Les intérêts en jeu sont colossaux
Une fois encore c’est l’influence des lobbies industriels qui est mise en cause. Car les intérêts en jeu sont colossaux. Les perturbateurs endocriniens seraient présents dans tous les objets du quotidien : de l’alimentation aux cosmétiques en passant par les jouets ou même les composants électroniques. De nombreux groupes de pression, issus de différents secteurs, se sont donc mobilisés pour que la définition de ces molécules soit aussi limitée que possible.
À la tête de l’Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), Jean-Charles Bocquet a lui aussi pris part à cette bataille d’influence qui continue à se jouer dans les coulisses de la Commission européenne. Car l’interdiction de certains produits chimiques, contenant des perturbateurs endocriniens, pourrait, selon lui, menacer le secteur agricole. « Sur la base de 400 molécules qui restent en Europe pour protéger l’ensemble des cultures, nous estimons aujourd’hui qu’une bonne cinquantaine de substances peuvent être amenées à être considérées comme des perturbateurs endocriniens et donc disparaître, souligne Jean-Charles Bocquet. Ces cinquante produits représentent globalement 40 % de la valeur du marché européen, qui est estimé entre 8 et 9 milliards ».
L’industrie chimique européenne, représentée par le Cefic (Conseil européen de l’industrie chimique, en anglais European Chemical Industry Council), et qui compte plus de 150 employés à Bruxelles, continue également à peser de tout son poids pour éviter une réglementation trop sévère qui pourrait coûter des milliards d’euros au secteur. Disposant d’un solide réseau dans la capitale européenne, il bénéficie également de l’appui de deux grands États membres, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
« L’industrie chimique a cette chance d’avoir suffisamment de moyens pour démarcher absolument tout le monde y compris leurs ennemis, y compris leurs alliés et y compris les indécis ; alors que typiquement les ONG, elles, n’ont les moyens de se focaliser que sur les indécis », commente Martin Pingeon, chercheur au sein de l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO).
Une expertise de l’EFSA contestée
Face à ces pressions, la Commission a présenté en juin 2016 son projet de règlement jugé contraire, selon ses détracteurs, au principe de précaution. Se basant sur une expertise scientifique de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), le texte suggère que les perturbateurs endocriniens peuvent être traités comme la plupart des substances chimiques préoccupantes pour la santé humaine et l’environnement. Une position qui a provoqué la colère de nombreux eurodéputés.
« On a à la fois les ONG, plusieurs États membres qui sont encore en désaccord avec votre proposition et on a en plus la Endocrine Society qui regroupe plus de 18 000 chercheurs qui remettent en question vos critères. Qu’est ce qu’il vous faut pour bouger ? », s’est insurgée Michèle Rivasi membre française du groupe des Verts s’adressant, la semaine passée, à un représentant de la DG Santé à la Commission. Sous le feu des critiques, les représentants de l’exécutif à Bruxelles sont jusqu’ici restés imperturbables. Mais la bataille est loin d’être gagnée. Outre le Parlement, les ONG ou la communauté scientifique, plusieurs États membres comme la France, la Suède ou le Danemark jugent également que la proposition ne permet pas de protéger la santé publique et l’environnement.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles