Les mesures européennes dans les secteurs du commerce et de la concurrence sont-elles efficaces ? C’est à cette question, régulièrement au cœur de l’actualité en cette période pré-électorale, que le dernier rapport du Conseil d’analyse économique (CAE), organisme placé auprès du Premier ministre français, tente d’apporter un éclairage nouveau. Intitulé « Concurrence et Commerce : quelles politiques pour l’Europe ? »*, le document passe en revue les politiques communautaires dans ces deux domaines avant de formuler une série de propositions visant à améliorer, dans le futur, leur efficacité.
La concurrence n’empêche pas l’émergence de champions
Dans le collimateur de Paris et de Berlin – après l’échec du projet de fusion entre Alstom et Siemens, rejeté par la Commission fin février 2019 – la politique de concurrence n’est pourtant pas jugée « excessivement rigoureuse » par les auteurs du rapport. Une affirmation étayée par les chiffres : entre 2010 et 2018, seules sept opérations de concentration, sur un total de 2 980, ont été rejetées par le gendarme européen de la concurrence.
Citant comme exemple les fusions entre Luxottica et Essilor, dans le secteur de l’optique, ou entre Lafarge et Holcim, dans celui du ciment, le document du CAE conclut que les règles européennes actuellement en vigueur n’empêchent pas l’émergence de champions européens.
Le feu vert récent de Bruxelles pour le projet franco-allemand visant à créer un nouvel Airbus des batteries – en référence au géant européen de l’aéronautique – démontre aussi la possibilité de jeter les bases d’un nouveau projet industriel dans le cadre des règles actuelles. A l’instar d’Airbus, créé dans un secteur alors dominé à plus de 90 % par les Américains à l’échelle mondiale, la nouvelle alliance européenne autour des batteries doit permettre à l’Europe de combler son retard abyssal, notamment face à la Chine.
Efficace sur la protection du consommateur
« Rien à voir avec la situation dans le domaine ferroviaire et des signalisations », abonde un haut responsable à Bruxelles, en référence au rejet, par la Commission, de la fusion Alstom-Siemens. « Dans ce cas précis, la mise en commun des activités de transport des deux entreprises aurait offert à la nouvelle entité une position dominante ». Pour l’exécutif européen, l’affaiblissement de la concurrence risquait en effet de se répercuter sur les prix et d’avoir des conséquences néfastes sur l’innovation dans le secteur.
Car c’est bien là l’objectif premier de la politique de concurrence menée à l’échelle de l’UE : protéger le consommateur et son pouvoir d’achat. Et, en la matière, « elle se montre efficace », estime le rapport du CAE.
En guise de comparaison, ses auteurs pointent la politique menée par les États-Unis, qu’ils jugent par contraste beaucoup « trop laxiste ». Alors que la concentration des entreprises s’est renforcée outre-Atlantique, au cours des deux dernières décennies, les prix ont augmenté de 15 % de plus qu’en Europe, mais les salaires de seulement 7% sur la même période.
Le problème majeur tiendrait donc plus aux « acquisitions tueuses d’innovation ». C’est à dire les rachats, par des multinationales, souvent étrangères, de startup européennes. Une façon de tuer la concurrence dans l’œuf, qui échapperait trop souvent – selon le CAE – aux radars de Bruxelles.
En guise de solution, le CAE propose donc d’introduire la possibilité d’un contrôle ex-post, voire, si nécessaire, un démantèlement de certaines concentrations par l’autorité de concurrence européenne.
Muscler la politique commerciale
Mais si la politique de concurrence est globalement une « réussite (…) plutôt génératrice de bienfaits du point de vue de l’activité économique, de la croissance ou de la redistribution », le CAE se montre bien plus sévère à l’égard de la politique commerciale. Elle doit être « plus offensive à l’égard des entreprises extra européennes lorsque ces entreprises menacent le déploiement des activités économiques européennes », insiste Anne Perrot, l’une des trois économistes auteur du rapport.
A l’heure où le multilatéralisme est plus menacé que jamais, en particulier par les attaques répétées du locataire de la Maison Blanche, le cadre imposé par l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) ne suffit plus. L’Europe doit donc s’armer en renforçant son arsenal de défense commercial.
Le CAE pointe notamment les délais de traitement des dossiers en cas d’abus de position dominante : lorsqu’ils sont trop longs, l’entreprise lésée fait parfois faillite avant d’avoir pu obtenir gain de cause auprès de la Commission.
Mais c’est surtout dans la lutte contre les subventions étatiques que l’Europe doit mieux s’armer, « un axe prioritaire », selon les auteurs du rapport. Définies par l’OMC comme « les contributions financières clairement identifiées d’un gouvernement, ou d’une entité publique, à une entreprise », ces subventions prennent souvent de multiples formes qui sortent du cadre strict de cette définition.
« L’UE n’a jamais engagé de procédure de différend devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contestant directement des dispositifs de subventionnement en Chine ; elle ne s’est plainte qu’en 2018, après les initiatives américaines, contre les transferts forcés de technologie », constate le MAE. Il préconise donc de réformer l’accord de l’OMC sur le sujet, en renforçant la transparence et en facilitant l’adoption de mesures compensatoires.
Autre proposition : la création d’un Procureur commercial européen. Nommé par la Commission il devra être doté des moyens d’enquête suffisants et habilité à prendre les mesures qui s’imposent.
A suivre…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Le rapport du CAE est dans le document attaché à cet article