La multiplication des coups d’État en Afrique au sud du Sahara ces dernières années a plombé la perception du risque politique sur le continent. Pourtant, la situation, si elle est préoccupante, est loin d’être généralisée et uniforme si l’on en croit les résultats d’une étude inédite de l’assureur-crédit Coface. Le risque reste toutefois élevé en raison de la fragilité politique et sociale que connaisse de nombreux pays.
Depuis 1950, sur les 491 coups d’États recensés dans le monde, le continent africain arrive en tête avec 44 %, suivi de l’Amérique latine 29 %. Mais sur la période récente l’instabilité est plus fréquente sur le continent africain : depuis 2010, les tentatives de coups d’État se sont multipliées et surtout, leur taux de réussite a été très élevé : 47 % sur la période 2010-2019, et 64 % sur la période 2020-2023. Depuis 2022, 100 % des coups d’État se sont déroulé sur le continent, comme si, remarque Aroni Chaudhuri, économiste spécialiste de l’Afrique chez Coface, cette forme de prise de pouvoir violente était devenue « un phénomène africain ».
Si certains pays africains connaissent une instabilité chronique liée à des conflits armés – Soudan, Somalie, Erythrée, Burundi, République démocratique du Congo, sans compter la Libye – le fait marquant de ces dernières années a été une forte concentration de ces coups d’État dans la région francophone du Sahel –Mali, Burkina Faso, Niger– même si, pour des raisons différentes davantage liées à l’usure des pouvoirs en place, d’autres pays en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale en ont été le théâtre tels que la Guinée et le Gabon.
Certes, l’influence de nouvelles puissances étrangères est un fait nouveau par rapport à la période de la guerre froide- en particulier la Chine, et surtout la Russie et sa milice « Africa Corps » (ex. Wagner). Au Sahel, la persistance d’un contexte d’insécurité lié aux attaques des bandes armées djihadistes et la « frustration des populations face à l’incapacité des régimes en place d’y répondre » est un facteur explicatif du taux de réussite de ces coups d’État, car l’insécurité en rajoute à des situations socio-économiques précaires.
Un indice de « fragilité politique et sociale » très élevé au Sahel
A cet égard, Coface a mis au point un indice de « fragilité politique et sociale » basé sur divers indicateurs socio-économiques, dont l’évolution du niveau de pauvreté et le risque politique. Pour le continent africain, cet indice est en hausse depuis 2019, se situant en 2023 à 56,2 % (54,3 % en 2019), le deuxième plus élevé au monde après le Moyen-Orient. Mais il est monté en flèche dans la zone sahélienne (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Soudan, Tchad) se situant aujourd’hui à 61,5 % en 2023 (58,2 % en 2019).
Par grandes zones africaines, cet indice a progressé partout mais son niveau est relativement moins élevé, en 2023, en Afrique de l’Ouest et en Afrique australe (respectivement 52,5 et 52,7 %), comparé à l’Afrique de l’Est (58,3 %) où il est notamment plombé par les conflits au Sahel (Soudan) et dans la corne de l’Afrique, et l’Afrique du Nord (59,6 %)où la situation en Libye pèse sur le résultat. Le Sahel est donc très au-dessus.
Un indice à utiliser avec prudence
Reste que cet indice est aussi à utiliser avec prudence, une prise en compte des contextes locaux étant nécessaires pour déterminer pourquoi un coup se produit dans un pays, et pas dans un autre ayant pourtant un niveau d’indice similaire*.
« Les coups d’État ne se ressemblent pas », remarque Dominique Fruchter, économiste spécialiste de l’Afrique chez Coface, qui relativise également la portée de cet indice à l’échelle d’un continent. « Aucune région du monde ne compte autant d’États, 54, que l’Afrique » complète-t-il. Autrement dit, il suffit que quelques États traversent des turbulences pour plomber l’indice de toute une zone, voire de tout le continent.
Impossible également de prédire, avec cet indice, si de nouveaux pays africains connaîtront des coups d’État à court terme. On peut seulement dire « que si l’indice est élevé, il est possible que le pays connaisse un coup d’État » indique Aroni Chaudhuri. L’indice du Gabon était ainsi élevé à 69,4 % lorsque le coup d’Etat est intervenu le 30 août 2023. Mais il faut prendre en compte le contexte politique local, marqué par l’élection controversée du descendant de la dynastie Bongo ayant tenu le pouvoir durant près de six décennies.
Quels risques pour les entreprises étrangères investies dans les pays connaissant des coups d’État ?
Concernant les risques politiques classiques type expropriation, pour le moment, les juntes qui ont pris le pouvoir au Sahel n’y ont pas eu recours. Selon Dominique Fruchter, elles ont procédé à « une reprise en main du secteur extractif » et « passé en revue les concessions minières », notamment d’or, dans l’objectif de rééquilibrer les contrats signés avec les compagnies minières étrangères. Mais pas d’expropriation.
Toutefois, remarque-t-il aussi, cette volonté de rééquilibrer les contrats miniers n’est pas propre aux juntes militaires : des gouvernements civils arrivés au pouvoir par les urnes ont aussi mené de tels revues, par exemple au Sénégal ou en République démocratique du Congo.
C.G
*Les indices de « fragilité politique et sociale » par pays en 2023
(du moins élevé au plus élevé)-Cap vert : 28 %
-Lesotho : 38,4 %
-Île Maurice : 39 %
-Tunisie : 39,7 %
-Sao Tomé e Principe : 40,1 %
-Madagascar : 41,5 %
-Botswana : 41,8 %
-Ghana : 46,2 %
-Rwanda : 47,6 %
-Namibie : 47,7 %
-Sénégal : 48 %
-Malawi : 48,3 %
-Bénin, Sierra Leone : 48,7 %
-Afrique du Sud : 50,1 %
-Niger : 50,6 %
-Burkina Faso : 52 %
-Liberia : 53,3 %
-Burundi, Tanzanie : 53,4 %
-Kenya : 53,6 %
-Mozambique : 56 %
-Côte d’Ivoire : 56,5 %
-Zambie : 56,9 %
-Egypte : 57,6 %
-Zimbabwe : 57,8 %
-Gambie : 58,3 %
-Mali : 59,9 %
-Ouganda : 60,4 %
-Togo : 60,9 %
-Guinée : 61,8 %
-Ethiopie : 62 %
-Algérie : 62,2 %
-Mauritanie : 62,6 %
-Nigeria : 63,1 %
-Maroc : 63,7 %
-Angola : 64,3 %
-Rép. Centrafricaine : 64,5 %
-Eswatini : 65,5 %
-Tchad : 67,3 %
-Rép. Démocratique du Congo : 67,6 %
-Cameroun : 67,8 %
-Gabon : 69,4 %
-Congo : 69,7 %
-Libye : 71,7 %
-Djibouti : 72,1 %
-Soudan : 76,3 %
-Erythrée : 76,8 %Source : Coface