Comme chaque année le rapport Cyclope, paru jeudi 27 mai, fait le point sur les évolutions des cours des matières premières, « de l’ananas au zirconium » comme aime à le rappeler son directeur, Philippe Chalmin. Ce dernier voit en cette crise la fin de la mondialisation telle que nous la connaissons aujourd’hui, sous l’influence du grand retour des tensions géopolitiques et de la position de la Chine.
10 400 USD la tonne de cuivre et 230 USD celle de minerai de fer. Jamais les cours de ces matières premières n’avaient atteint un point si haut. Alors qu’en 2020 la pandémie de Covid-19 et l’atonie du commerce mondial les avaient plaqués au sol, la reprise des deux moteurs de l’économie mondiale que sont les Etats-Unis et la Chine ont provoqué depuis la fin 2020 une nouvelle tendance haussière des cours des matières premières.
Serions-nous à l’aube d’un « super cycle », théorie mise en avant par les analystes de Goldman Sachs ? La frénésie de consommation de certaines économies entrainera-t-elle une hausse durable des cours ?
En un an le cours du minerai de fer a bondi de 150 %
Les auteurs du rapport CyclOpe n’y croit pas. Tout d’abord en raison d’un évident phénomène de rattrapage, mais pas seulement.
« Entre mars 2020 et le point le plus haut de 2021 le cours du cuivre a augmenté de 125 % et ceux de l’étain et du minerai de fer de 145 % et 150 %, donc on parle d’un cycle, observe Yves Jégourel, professeur d’économie à l’université de Bordeaux et coordinateur du chapitre sur les minerais et les métaux. Nous n’avons pas assez de recul pour en juger et cette théorie s’appuie sur la seule demande alors que l’offre se montre plus réactive qu’imaginé. Par exemple pour le cuivre avec l’augmentation du recyclage ou la transformation des déchets miniers. »
Reste qu’à l’heure actuelle, est bien devin celui qui pourrait brosser un tableau clair de l’évolution des cours des matières premières. Un constat résumé dans le sous-titre du rapport CyclOpe, emprunté à la tirade du Cid de Pierre Corneille : « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles ».
Pour Philippe Chalmin, professeur à Paris-Dauphine, par-delà cette question de super cycle « la crise a une ampleur plus grande, elle est un tournant majeur comparable à celles des années 1930 et 1970 ». « En exagérant un peu, cette crise marque la fin des Trente Glorieuses de la mondialisation, entamée au début des années 1990 » ajoute-t-il.
Les tensions géopolitiques influent sur les cours
De fait, cette crise sanitaire a bousculé le paradigme d’ouverture économique, ferment de la mondialisation depuis trois décennies. On assiste aujourd’hui à changement de braquet vers la transition verte, au grand retour de l’intervention publique et des tensions géopolitiques. « Les matières premières sont en première ligne des tensions géopolitiques, aujourd’hui plus que jamais », souligne Philippe Chalmin.
Les tensions entre les Etats-Unis et l’Iran à propos du nucléaire et leur conséquence sur le pétrole, entre la Chine et l’Australie dont les relations commerciales sont erratiques depuis un imbroglio diplomatique autour du projet de Route de la soie, entre les Etats-Unis et la Russie au sujet du tracé du gazoduc Nord Stream II… Le monde de l’après-Covid ne manque pas d’exemples.
Autre fait marquant de ce « nouvel ordre mondial » : l’hégémonie chinoise.
Exemple avec le marché de la viande dont la Chine assure 27 % de la consommation mondiale rappelle l’économiste Jean-Paul Simier, auteur de la partie sur ce secteur : « En raison de la peste porcine de 2018 et de la perte de la production australienne la Chine a actuellement un déficit de 10 millions de tonnes de viande de porc et a asséché le marché ce qui a provoqué une inflation des prix : alors que le kilo était de 1,50 euro en Europe, il oscillait entre 5 et 5 euros en Chine ».
Et qu’il s’agisse de viande ou de céréales, les futures orientations de la politique agricole chinoise demeurent pour l’instant très floues, selon Philippe Chalmin.
Vers un repli chinois ?
Nul doute que la Chine sera très observée cette année. Gourmande en minerai, en produis agricoles et en énergie, la Chine a renoué avec la croissance beaucoup plus tôt que le reste du monde et fonctionne avec un commerce ouvert, mais elle montre aussi des signes de repli.
En atteste, selon Jean-François Di Meglio, président d’Asia Centre et auteur du chapitre consacré à la Chine, le RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership), l’accord de libre-échange entre quinze pays dont la Chine autour de l’océan Pacifique, et le CAI (China Investment Agreement), l’accord global UE-Chine sur les investissements. Deux accords qui « isolent la Chine du reste du monde ». « C’est un paradoxe : la Chine a besoin du monde et le monde a besoin d’elle mais elle s’en éloigne sur le plan géopolitique ».
Les observateurs du marché chinois dans divers secteurs soulignent actuellement cette tendance au repli. Pays symbole de l’internationalisation des échanges commerciaux, abondamment qualifié de « premier atelier du monde » ou d’« eldorado », attirant expatriés et étudiants du monde entier, la Chine entamerait-elle une phase de repli durable ? Quelles conséquences aura cette nouvelle orientation sur le commerce international ? Les prochains mois devraient apporter des éléments de réponse.
Sophie Creusillet