La jeunesse africaine est une priorité française et européenne, et le réseau consulaire français veut faire valoir ses atouts dans les enjeux d’influence qui se jouent en Europe et en Afrique pour la mise en place des fonds européens dans le domaine crucial de la formation. Une manière aussi d’apporter une contribution originale à la ‘Team France Export’, nouveau dispositif public d’accompagnement à l’export dont l’Afrique sera une priorité. Comment ? Pierre Goguet, président de CCI France, tête du réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI) françaises, a décidé de profiter de son statut actuel de vice-président d’Eurochambres, le réseau des CCI européennes, pour jouer la carte des réseaux consulaires africains.
Avec ces derniers, en effet, les CCI françaises sont historiquement connectées via, notamment, la CPCCAF, Conférence permanente des chambres consulaires francophones, dont sont membres de nombreuses CCI africaines, mais aussi françaises. La démarche est fructueuse puisque Pierre Goguet vient d’obtenir d’être l’interface du programme européen Archipelago, que porte la Commission européenne avec la Sequa allemande (la confédération des réseaux consulaires outre-Rhin), la CPCCAF et Eurochambres.
La CPCCAF : «un vecteur d’influence économique majeur sur le continent »
« En tant que vice-président d’Eurochambres, chargé de l’Afrique, je me réjouis qu’Eurochambres soit un partenaire actif du Programme Archipélago, indique Pierre Goguet. Si nous avons obtenu cette reconnaissance, c’est parce que nous avons fait le lien avec la CPCCAF, un réseau francophone composé de CCI africaines et non africaines qui constitue un levier d’action et un vecteur d’influence économique majeur sur le continent». Lors du lancement officiel du programme le 10 décembre dernier à Dakar, en marge de l’assemblée générale de la CPCCAF, c’est le président de CCI France qui en a ainsi assuré la présentation.
« Nous sommes convaincus que l’avenir de l’Afrique passe par son industrialisation accrue mais le dividende démographique reste considérable : à Dakar, nous avons évoqué la création de 45 millions d’emplois d’ici 2030 grâce à l’industrialisation, mais ce sera insuffisant pour couvrir les 110 millions de jeunes qui arriveront sur le marché du travail au cours de cette période », observe le président de CCI France. Car fixer ces populations tout en favorisant le développement économique local est l’un des enjeux majeurs de la nouvelle stratégie de l’Union européenne vis-à-vis de l’Afrique dans le contexte de la crise des migrations.
CCI France : une interface entre les chambres africaines et les fonds européens
Le programme Archipelago est un bon exemple : d’un montant total de 50 millions d’euros, il a pour objectif d’améliorer le niveau de qualification technique des jeunes Africains pour mieux répondre aux besoins des économies locales, tout en réduisant le chômage des jeunes. La première tranche (2018-2022), de 15 millions d’euros, vise à mettre en œuvre des programmes de formations professionnelles en partenariat avec des acteurs locaux dans 12 pays du Sahel et de la région du lac Tchad*. Avec une exigence centrale : que les programmes correspondent à des besoins bien identifiés. Le 10 décembre à Dakar, il s’agissait de sensibiliser les réseaux consulaires africains aux critères d’éligibilité des projets et à lancer leur mobilisation.
Pour Pierre Goguet, ce n’est qu’un début. « L’ensemble des réseaux consulaires membres d’Eurochambres s’intéressent de plus en plus à l’Afrique. CCI France se positionne comme une interface entre les chambres africaines et les fonds européens de financement de la coopération notamment en matière de formation professionnelle qui vont se mettre en place à partir de 2020 ».
CCI France ne se lance pas seule dans cette entreprise. « Nous souhaitons apporter des solutions concrètes, notamment en termes de formations et d’apprentissage », insiste Pierre Goguet. Des écoles de commerce et de management commencent à s’installer, rejoignant les plus anciennes comme Bordeaux BS à Dakar (devenue Kedge en France) ; les CCI françaises sont également actives, intervenant « en support ».
C’est d’ailleurs ces dernières qui ont permis de tisser des liens durables avec les chambres africaines : « Nous avons participé à la création de nombreuses chambres en Afrique francophone et les avons aidées au sein de la CPCCAF à se structurer et à se développer dans le cadre de compagnonnages institutionnels financés par l’Agence française de développement, par exemple entre la CCI de Bordeaux et celle de Côte d’Ivoire, la CCI de Nantes et celle de la RD-Congo ou encore la CCI de Marseille et la chambre de Mauritanie », rappelle Pierre Goguet.
Un compagnonnage que les CCI africaines souhaiterait d’ailleurs voir prolongé : «l’AFD n’a pas prévu de nouveaux financements pour cela, nous souhaitons en discuter avec Rémy Rioux, son directeur général ».
Permettre à la Team France Export « d’accéder à nos réseaux africains »
Au-delà de ces réseaux consulaires, Pierre Goguet est convaincu qu’il faut sortir des logiques de silos pour jouer davantage collectif : « nous croyons beaucoup à l’interconnexion des réseaux : nous voulons sortir de la seule approche économique pour avoir une démarche concertée avec d’autres grands acteurs issus de secteurs d’activités tels que, par exemple, des milieux hospitaliers, de la ville durable, ou de l’enseignement supérieur ». Les réseaux francophones sont aussi, pour lui, un moyen « de tenter de rééquilibrer l’influence chinoise en Afrique ».
Mais dans l’immédiat, il compte faire profiter le nouveau dispositif d’accompagnement à l’export tricolore, issu de l’alliance entre Business France et les CCI, de ces réseaux construits en Afrique, la Team France Export (TFE) : « nous participons également à la structure Team France export avec Business France : nous partageons nos approches complémentaires, eux davantage orientés filières, nous davantage orientés sur l’accompagnement individuel des entreprises. Dans ce cadre plus ‘friendly’, nous permettons à cette TFE d’accéder à nos réseaux africains ».
Feuille de route 2019 : « rester connecté » et bâtir la TFE en Afrique
Mais attention aux initiatives françaises qui, prises pour des raisons purement budgétaires, brouillent les messages : « les jeunes Africains se sont sentis visés au premier chef par la hausse des droits d’inscription à l’université, s’agace le président de CCI France. Si on veut tabler sur l’avenir, comme le souhaite notre président, on est condamné à rechercher de la cohérence dans notre action, au moins vis-à-vis des pays francophones. Il s’agit de ne pas être dissuasif sur l’intégration dans nos établissements supérieurs, car c’est la francophonie de demain qui se joue ! ».
La feuille de route en Afrique en 2019 est donc toute tracée : « elle consistera d’abord à rester connecté à ce qu’il se passe dans une Europe qui tend à se fermer tout en œuvrant à intensifier les contacts entre les entreprises africaines et les entreprises françaises : il y a des marchés et des pays du continent africain où nos entreprises et nos intérêts ne sont plus présents », indique le président de CCI France.
Ce sera aussi, pour lui, « la feuille de route que l’on va devoir mettre en place avec Business France pour que la TFE veuille dire quelque chose dans ces pays africains où l’on est peu ou plus présent ».L’Afrique est en tout cas la zone sur laquelle CCI France compte jouer à fond la carte de ses réseaux francophones. « Ce qui est nouveau avec la TFE, c’est que nous mettons notre relationnel en Afrique, via les réseaux consulaires africains, au service de la TFE : nous réfléchissons activement à la manière d’en faire un outil de promotion des entreprises françaises ».
Christine Gilguy
*Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Tchad.
