Dans un entretien exclusif au Moci, Renaud Bentégeat (notre photo), président de CCI France International (CCI FI), tête de pont du réseau des 124 Chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (CCIFI), fait le point sur la situation de ce réseau durement touché par la crise sanitaire, mais qui fait preuve de résilience. Il en profite pour prendre ses distances vis-à-vis des récentes critiques adressées par le sénateur des Français de l’étranger Olivier Cadic au dispositif public Team France Export (TFE).
Le Moci : comment les Chambres de commerce françaises à l’international (CCIFI) ont-elles été impactées par la crise sanitaire déclenchée par la Covid-19 ?
Renaud Bentégeat : l’année 2020 a été difficile, il ne faut pas se le cacher. Nous avons dû nous séparer de 165 collaborateurs dans le monde, ce qui n’est pas négligeable, même si le réseau, qui compte 124 chambres dans 94 pays, en compte encore plus d’un millier.
Les chambres, qui s’autofinancent, disposent de trois sources de revenu qui ont été fortement impactés par les restrictions sanitaires et la baisse des déplacements internationaux. La première ce sont les cotisations et les événements, diners et manifestations, que nous organisons pour animer les réseaux d’affaires français et locaux. Ils ont subi de plein fouet cette crise : depuis février 2020, nous avons passé notre temps à les annuler.
Bien sûr, nous en avons basculé un certain nombre sur Internet mais les revenus générés sont loin d’être au même niveau. Le nombre de membres a inévitablement baissé (-9 % versus des croissances antérieures de 3 à 4 % par an), mais ils sont tout de même restés globalement fidèles à nos organisations malgré leurs difficultés, ce qui est un bon signal.
La deuxième source de revenus vient de l’hébergement : nous logeons en temps normal beaucoup d’entreprises et de V.I.E dans nos centres d’affaires. Avec la crise, nous avons perdu un certain nombre d’entreprises hébergées. Les revenus ont donc baissé sensiblement, mais les chambres ont dû continuer à payer les loyers.
Enfin, troisième source de revenus, les services d’appui aux entreprises : depuis le début de la crise sanitaire et l’arrêt des déplacements, nos chambres ont reçu beaucoup moins de demandes.
Notre assemblée générale annuelle se tient dans quelques semaines mais je peux vous révéler qu’une chambre sur deux a terminé l’année dans le rouge et que dans l’ensemble, le chiffre d’affaires du réseau a chuté de 30 % en 2020.
« Nous ne sommes pas en révolution contre la TFE »
Le Moci : le sénateur Cadic a interpellé le ministre du Commerce extérieur Franck Riester le 25 mai lors d’une audition, sur la place des CCIFI dans la Team France Export (TFE) à l’étranger, laissant entendre qu’elles en bénéficiaient peu au regard de la position hégémonique de Business France, sauf celle bénéficiant d’une concession de service publique. Quelle est votre réaction ?
Renaud Bentégeat : j’apprécie le sénateur Cadic qui a une vraie croyance dans la force de notre réseau et en est un farouche défenseur, comme beaucoup d’autres élus des Français de l’étranger. Nous avons d’ailleurs reçu deux nouvelles candidatures pour y adhérer d’Islande et de Tanzanie, ce qui montre son attractivité. Ces créations de nouvelles chambres ne sont pas suscitées par nous, à Paris, mais par des entrepreneurs sur place qui répondent à un besoin des milieux d’affaires localement. Et c’est également eux qui demandent ensuite à adhérer à CCI France International.
Cela étant dit, le sénateur Cadic n’est pas le porte-parole de notre réseau. Et la question qu’il a posée au ministre, je ne pense pas que je l’aurais posé comme il l’a fait. Concernant nos relations avec le gouvernement et son dispositif, il faut se souvenir d’où l’on vient. Il y a cinq ans, nous vivions des bagarres permanentes entre les CCIFI et Business France, contraires aux objectifs de notre mission qui est de servir les entreprises qui veulent aller à l’export.
Puis le dispositif Team France Export a été créé en 2018, nous n’en faisons pas partie mais CCI France, le réseau des CCI en France, avec qui nos relations sont étroites et qui nous héberge à Paris, en fait partie. En 2020, lorsque la crise sanitaire est survenue, Alain Bentéjac, le président des CCEF, a proposé de constituer un groupe de réflexion avec tous les acteurs pour élaborer des recommandations en vue d’aider les PME française à ne pas renoncer à l’export. Nous y avons participé et il en est sorti un plan de relance export qui est le fruit d’une réflexion commune entre Business France, Bpifrance, les CCI, les CCIFI, le Medef, etc. Ce fut un moment très fort, une occasion de mieux se connaître et de mieux se comprendre.
Nous sommes passés d’une période de guerre à une période où l’on essaie de créer des choses ensemble.
Le Moci : le sénateur Cadic a parlé du rôle « hégémonique » de Business France ressenti par certaine CCIFI. Qu’en dites-vous ?
Renaud Bentégeat : je ne vais pas vous dire que tout est beau dans le meilleur des mondes. J’ai en effet des remontées de certains pays faisant état d’un comportement hégémonique des représentants de Business France. Mais inversement, Business France a des remontées faisant état de comportement non coopératif de certaines chambres dans certains pays. Je parle souvent avec Christophe Lecourtier, le directeur général de Business France : l’état de guerre permanente est de l’histoire ancienne, nous sommes décidés à coexister, et à nous parler pour créer ensemble, car nos réseaux respectifs sont complémentaires.
Le message que je souhaite faire passer aujourd’hui est que nous ne sommes pas en révolution contre la TFE.
Référencement : « pouvoir davantage travailler en direct avec les entreprises »
Le Moci : quel bilan faites-vous de la stratégie de référencement des partenaires de la TFE menée par Business France à l’étranger ?
Renaud Bentégeat : il y a eu beaucoup de référencements et pratiquement toutes les CCIFI sont aujourd’hui référencées Team France Export. Cependant, il est certain aujourd’hui que les CCIFI ne reçoivent pas assez de thèmes de travail de la part de ce dispositif. La crise sanitaire a peut-être joué. La durée du référencement a été prolongée d’un an pour tenir compte de cette crise et j’espère que ce bilan va s’améliorer.
Le Moci : souhaiteriez-vous des évolutions dans ce dispositif de référencement ?
Renaud Bentégeat : pour ma part, la principale évolution que je souhaite serait de pouvoir davantage travailler en direct avec les entreprises. C’est dans leur intérêt.
EFE International : « nous avons une dizaine de dossiers en cours d’examen »
Le Moci : CCI France International et les CCEF ont créé, il y a quelques semaines à Paris, l’entreprise EFE International, une structure de portage de V.I.E pour le compte d’entreprises créées à l’étranger par des Français, les EFE. Elle a reçu le soutien du gouvernement. Un premier bilan ?
Renaud Bentégeat : nous n’en sommes qu’au début mais à ce jour, les comités locaux CCI FI/CCE se mettent en place et nous avons une dizaine de dossiers en cours d’examen, en provenance de divers pays comme la République dominicaine, la Suède, le Sénégal. Cela peut paraître peu mais la liste des pays où ce dispositif peut s’appliquer est restreinte et la situation sanitaire est loin d’être résolue ; par exemple, la Belgique n’y figure pas car la convention fiscale avec la France est en cours de renégociation.
C’est une mesure de soutien aux entrepreneurs français de l’étranger qui contribuent au rayonnement de la France mais ne peuvent bénéficier des mesures du plan de relance français. Nous espérons que les critères d’appréciation de l’action des EFE par les Pouvoirs publics français pourront évoluer avec le temps.
Le Moci : on commence à entrevoir une sortie de cette crise de la Covid-19 : quelles sont les perspectives, selon vous ?
Renaud Bentégeat : Il y a encore beaucoup d’incertitude mais on le voit partout où les terrasses des cafés et des restaurants et les commerces réouvrent, il y a une envie de repartir du bon pied. Ce qui me gêne encore, ce sont les différences d’évolution des taux de vaccination dans le monde. Les pays qui ont jusqu’à présent été relativement préservés par la pandémie, comme en Asie, au Vietnam par exemple, ont pris du retard. Mais pour moi, un vrai rebond se produira en 2021.
Propos recueillis par
Christine Gilguy
