« La crise franco-ukrainienne a renforcé la volonté de la Pologne de s’extraire de la dépendance du gaz russe », explique un diplomate européen rencontré à Varsovie. D’où les discours très volontaristes du gouvernement – qui ne sont pas nouveaux, mais qui sont encore plus appuyés – en faveur de l’exploitation du gaz de schiste, dont cette nation d’Europe centrale serait, après la France, la plus dotée, avec des réserves exploitables estimées par l’Institut national de géologie polonais autour de 346 à 768 milliards de m3, ce qui correspond à une fourchette de consommation variant de 35 à 65 ans.
Reste que le consensus national en faveur de cette source d’énergie ne suffit pas. Le gaz de schiste polonais, à 3 000 mètres de profondeur, est coûteux, plus notamment qu’aux États-Unis où les réserves se trouvent à – 500 mètres. C’est pourquoi le Premier ministre Donald Tusk cherche à convaincre les majors comme Total, qui a déjà une licence, et GDF à mener des recherches. Parallèlement, il voudrait qu’au terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) de Swinoujscie en voie d’achèvement sur les côtes de la Baltique, près de la frontière allemande, soit livré du gaz de schiste des États-Unis. Varsovie « ne se prive pas de le mettre dans la corbeille des négociations européennes pour le partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP)», confie le diplomate européen à la Lettre confidentielle.
Jusqu’à présent, Barack Obama a douché les espoirs des Européens quant à la possibilité d’exporter en grande quantité du gaz de schiste sur le Vieux Continent. Une difficulté à surmonter pour les négociateurs au TTIP. D’autant plus qu’il paraît « exclu aujourd’hui que Donald Tusk fasse changer d’avis le président américain qui se rendra début juin à Varsovie pour le 15e anniversaire de l’entrée de la Pologne dans l’Otan », affirme l’interlocuteur de la LC. Un avis que ne partage, cependant, pas Ignacy Niemczycki, senior analyste pour les Affaires européennes au think tank Polityka Insight (émanation du journal Polityka), selon lequel« la montée de la crise ukrainienne pourrait finalement pousser Barack Obama à permettre la délivrance de permis d’exportation vers le Vieux Continent ».
Le gaz de schiste américain serait alors vendu sur le marché spot. Si tel était le cas, il faudrait, néanmoins, attendre encore au moins un an, le temps que les États-Unis se dotent de ses premiers terminaux pour la livraison de GNL. « La Pologne a aussi conclu un accord d’approvisionnement à long terme de GNL avec le Qatar », souligne Ignacy Niemczycki.
« L’émotion suscitée par la crise ukrainienne étant extrême, l’énergie nucléaire – encore plus que par le passé – est aussi présentée dans tous les journaux comme une alternative au gaz russe », souligne, de son côté, un chef d’entreprise polonais, qui s’est livré à la Lettre confidentielle. Ce qui, en principe, devrait pousser le gouvernement à accélérer la procédure pour l’attribution de deux tranches nucléaires sur la côte baltique aux environs de Gdansk. Mais faute d’expérience, on ne s’attend pas au lancement avant 2016 de l’appel d’offres, qui intéresse Westinghouse Toshiba, GE Hitachi ou encore EDF Areva, les Français ayant opté pour une offre conjointe de 2 EPR d’une capacité unitaire de 1 500 mégawatts. Selon certains spécialistes actifs sur le terrain, la France aurait « ses chances », en raison de « sa réputation » et de la coopération du Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
François Pargny
envoyé spécial à Varsovie