La dernière manufacture française d’accessoires de musique est en train de renaître de ses cendres grâce à des produits innovants et à la demande de clients étrangers. Cette entreprise installée depuis 1962 à Monthou-sur-Cher, dans Loir-et-Cher (Centre-Val de Loire), met en avant son savoir-faire et ses capacités à innover pour développer son activité en France et à l’international.
« On a faillir mourir, mais on se redéveloppe », se réjouit Patrice Pivron, directeur de cette petite entreprise qui conçoit et fabrique des étuis protecteurs et des accessoires pour instruments de musique.
Alors qu’elle était à la fin des années 1980, « une grosse PME », deuxième distributeur en Europe de ce type de produits, elle manque de disparaître dans les années 2000. « Lorsque je suis arrivé dans l’entreprise en 2009, ses repreneurs n’étaient pas du monde de la musique et nous étions en perdition sur notre marché historique des instruments à vent », se souvient le dirigeant, lui-même ancien guitariste professionnel.
Patiemment, jusqu’à la fin des années 2010 et alors que la concurrence chinoise fait rage, Patrice Pivron part à la reconquête de marchés perdus et en défriche de nouveau. Finalement en 2017, il rachète l’entreprise avec sa femme et travaille aujourd’hui avec trois employés spécialisés dans la piqûre et la gainerie (l’art de fabriquer des gaines, boîtes ou écrins recouverts de cuir).
Aujourd’hui, le BtoB alimente 70 % du chiffre d’affaires. Luxbag, labellisée entreprise du patrimoine vivant (EPV) en 2009, conçoit et produit des étuis pour des fabricants d’instruments à vent haut de gamme comme les clarinettes Buffet Crampon ou les hautbois de Marigaux ou Lorée. Une grande partie de ces étuis est exportée sans que l’entreprise n’ait particulièrement développé de stratégie à l’international.
Des modèles en lin qui cartonnent en Scandinavie
Mais cette dernière est en train de se reconstruire grâce… au lin. En 2022, après quatre ans de mise au point, une collection de cinq housses pour étuis d’instruments à vent dans cette matière naturelle, résistante, déperlante et produite en France voit le jour. « Nous avons présenté nos modèles aux facteurs d’instruments, un milieu assez conservateur, mais nous n’avions pas le temps de les attendre et l’intérêt est en fait venu de l’étranger, se souvient Patrice Pivron. En Norvège, en Suède, au Danemark et en Allemagne, ce produit fait à partir d’une fibre végétale plutôt que du nylon a plu. »
Pour le faire connaître, le dirigeant, qui dispose d’une formation à la communication digitale, lance une campagne sur le réseau social Facebook et un mailing auprès de ses contacts. Bingo ! « Aujourd’hui, les ventes dans les pays scandinaves sont supérieures à celles réalisées dans les six points de ventes en France, dont deux à Paris, où ces housses sont distribuées ! »
Luxbag ne compte pas en rester là : depuis janvier le process de fabrication d’étuis semi-rigides en lin est au point. Et les ventes de housses, réalisées à 80 % à l’export, sont en train de décoller. Entre le 1er octobre 2022 et le 30 septembre 2023, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 260 000 euros. Celui des six mois suivants atteint déjà 180 000 euros.
L’innovation pour agrandir le marché
Le succès de cette gamme a repoussé la commercialisation d’une autre nouveauté : des étuis pour guitares et basses électriques en aluminium, un matériau mais que l’entreprise n’a jamais proposé à ses clients. Le dirigeant s’est donc mis en quête de sous-traitants capables de fabriquer la coque tandis que son équipe s’est occupé de l’intérieur de cet étui deux fois plus léger que les modèles standards. Il a trouvé deux entreprises, Blenet, spécialiste de la mécanique de précision et Mic Tôlerie, à Montrichard Val de Cher. Soit à moins de 10 kilomètres de l’atelier de Luxbag.
Avec ce nouveau produit, dont la commercialisation est attendue fin 2024, la TPE vise un public moins confidentiel que celui des hautboïstes et des cornistes. « C’est un marché mondial et si ça marche, il faut que la production puisse suivre », anticipe Patrice Pivron.
D’autant que l’entreprise fabrique également pour Vermon, un client historique, des mallettes pour des appareils d’endoscopie qui partent en Asie. « Il s’agit de dispositifs médicaux donc soumis à des réglementations spécifiques. Satisfaire les demandes des douanes et les exigences d’un client japonais, ce n’est pas rien, mais c’est unen expérience qui nous a énormément appris. Ce type de projet nous convient car il s’agit de moyennes séries et il est dans notre état d’esprit : nous vendons un savoir-faire, pas un catalogue. »
Parler la même langue que ses clients
Cette spécificité permet à Luxbag de travailler comme sous-traitant (l’entreprise a produit une série pour Dome France, entreprise de maroquinerie fine pour les instruments à vent dans le Loir-et-Cher) mais aussi de fabriquer des étuis sur mesure pour des musiciens à l’instar du guitariste et chanteur Calogero ou de ce musicien japonais ayant pris contact directement avec l’entreprise pour un étui. Au total, 30 % du chiffre d’affaires sont réalisés en BtoC.
Malgré la crainte d’une nouvelle crise économique en raison des actuels tensions et conflits au Moyen-Orient, la TPE a embauché une personne pour développer sa gamme Plum’ Case et compte encore augmenter ses effectifs d’ici la fin de l’année. Et malgré des journées chargées, l’ancien guitariste professionnel « a repris le manche » : il joue une fois par semaine avec un habitant de son village. « Dans mon quotidien je croise beaucoup de musiciens et de facteurs d’instruments. C’est un atout de parler la même langue qu’eux ». Un atout en France, mais aussi à l’international.
Sophie Creusillet