Les PME et ETI françaises qui souffrent actuellement de l’augmentation des prix des matières premières et des perturbations de leurs supply chains internationales vont devoir continuer à faire le dos rond pendant de longs mois encore. Entre la fin de la « mondialisation heureuse » et le nouvel ordre mondial, le conflit en Ukraine aggrave la crise des matières premières et de l’énergie, diagnostique le dernier rapport Cyclope, publié le 8 juin.
Le 36e rapport CyclOpe, paru début juin, fait le bilan de la pandémie de Covid et tente de tirer les premières leçons des répercussions de la guerre en Ukraine. Pour 2022, les auteurs le résument par cette phrase : « Le monde d’hier » de Stefan Zweig. Cette citation rappelle à la fois une pandémie mondiale la plus forte connue depuis le début du 20e siècle avec la grippe espagnole et la première guerre « européenne depuis 1945 ». « Nous sommes en train de vivre une crise majeure identique par ses conséquences à ce que le monde avait pu connaître dans les années 30 et les années 70 », détaille Philippe Chalmin, professeur d’histoire économique à Paris-Dauphine et co-directeur de l’ouvrage.
« Les marchés des matières premières sont la face émergée des tensions économiques et géopolitiques de la planète. Flambée des prix du gaz, des produits agricoles, sanctions contre le pétrole russe… c’est la fin des trente années de mondialisation heureuse, d’autres trente glorieuses commencées depuis les années 90 avec la chute du communisme soviétique et l’ouverture progressive de la Chine à l’économie de marché », argumente le professeur.
Une flambée généralisée des cours
En 2021, à son point le plus haut, la tonne de cuivre culminait à 10 400 USD (+ 125 %) et celle de minerai de fer à 230 USD (+ 145 %). Aujourd’hui, les prix n’ont toujours pas reculé et continuent de flamber avec un pic atteint le 7 mars.
La tonne de cuivre s’envolait à 10 800 USD, la tonne de nickel les 100 000 USD, le baril de pétrole les 140 USD, le blé les 14 USD le boisseau et les 400 USD la tonne, ou encore le gaz naturel au-delà de 300 euros le Mégawatt.
On est loin du « retour à la normale » que l’on pouvait espérer pour 2022 il y a encore quelques mois.
En 2021, selon le rapport, l’ensemble des matières premières ont augmenté de 49 % sur un an, alors qu’en 2020, cet indice avait baissé de 19 %, en raison des « confinements ». Les prix avaient cependant rebondi dès le second semestre 2020, mais ils ont désormais largement dépassé leur niveau de 2019.
La plus forte progression des prix est celle du gaz naturel (Europe) avec + 397 %, suivi par le fret conteneur (+ 287 %) et l’acier (+ 170 %). S’agissant des matières premières et intrants agricoles : les engrais ont dominé les débats avec une hausse de + 100 %, suivi par l’huile de soja (+ 97%) et le maïs (+ 65%).
La crise logistique n’est pas en reste
En 2022, les tarifs des transports de conteneurs ont été multiplié par 10. « Dans les années 2010, le prix pour balader une marchandise entre la Chine et l’Europe était d’une stabilité ‘dramatique’ et tournait autour de 1 000 USD, un prix très bas » précise Philippe Chalmin.
Cette année, le marché a totalement changé : il est de l’ordre de 8 à 10 000 USD. « Cela avait commencé dès la fin 2020 avec la reprise économique américaine. On peut alors parler de la commoditisation des marchés dérivés sur le frêt conteneur », ajoute ce dernier.
Aujourd’hui, les approvisionnements en hydrocarbures non russes engendrent également des problématiques de transport.
On soulignera également l’augmentation de 135 % de l’acier, + 70 % du bois, + 64 % du brent, + 59 % du minerai de fer et de + 51 % du cuivre.
L’appétit de la Chine assèche le marché mondial
L’an dernier déjà, la crise sur les produits agricoles n’était « pour une fois pas climatique », expliquent les auteurs. Elle était due à la Chine, devenue le premier importateur mondial de grains avec 62 millions de tonnes de céréales et 100 millions de tonnes de graines de soja. « Ce qui est totalement nouveau », affirme Philippe Chalmin. La crise ukrainienne en a rajouté car les 5 millions de tonnes de blé et 15 millions de maïs attendent d’être chargés dans les ports ukrainiens.
Par ailleurs, la Chine consomme énormément de viande, environ 25 % de la viande mondiale (100 millions de tonnes), rappelle l’économiste Jean-Paul Simier. Aujourd’hui, on produit 350 millions de tonnes de viandes dans le monde. « Globalement, sur la planète, on consomme de plus en plus de viande, malgré le discours anti-viande en Europe ». Et d’ici 2050, la consommation devrait augmenter de 40 %.
Or, pour produire de la viande, il faut des grains, des céréales et du soja. « La Chine représente 20 % de la population mondiale, 10 % de terres cultivables, 7 % d’eau. Cela va être un énorme problème alimentaire pour les années à venir », conclut Jean-Paul Simier.
La Chine est totalement dépendante de l’extérieur pour alimenter leur population et leurs animaux. « Le coût de production de la viande est 2 à 3 fois supérieurs à celui de l’Europe ou des Etats-Unis », rappelle l’expert. « La Chine va donc continuer à importer, malgré les stocks qu’elle va faire de céréales et de soja. Non seulement elle va continuer à importer beaucoup de porc européen, mais ce qui est plus impressionnant, c’est qu’elle va importer beaucoup de bœuf, considéré comme la viande des nouveaux riches. On parle déjà de 3 millions de tonnes de viande importée. Si bien que depuis 2/3 ans, il assèche littéralement le marché des viandes », conclut-il.
Claire Pham